[Festival d’Avignon 2025] Nôt – Marlene Monteiro Freitas
Le Festival d’Avignon, bastion du théâtre fondé par Jean Vilar, a offert sa Cour à la danse pour ouvrir le bal de sa 79e édition. Si le fait est assez rare pour être souligné, le geste est moins radical qu’il n’y parait. Car l’artiste honorée de cette invitation, Marlene Monteiro Freitas, se distingue dans le paysage chorégraphique par sa danse éminemment théâtrale. Artiste complice de l’édition 2025, la chorégraphe cap-verdienne a donné le ton du festival sur une NÔT (« Nuit » en créole cap-verdien) pour le moins dissonante.

NÔT de Marlene Monteiro Freitas
Pour entrer dans NÔT, la nouvelle création de Marlene Monteiro Freitas qui a ouvert l’édition 2025 du Festival d’Avignon, mieux vaut laisser Les Mille et Une nuits dans une toile de fond lointaine (très lointaine). À l’entrée dans la Cour d’honneur du palais des Papes, la scénographie imaginée par Yannick Fouassier et Marlene Monteiro Freitas elle-même n’entretient qu’une relation longue distance avec l’œuvre littéraire, et encore plus avec l’imaginaire qu’elle éveille. Structuré par des estrades à jardin et des grillages érigés en hauteur ou en pyramide, l’ensemble frappe d’abord par sa blancheur quasi immaculée. Outre les chaises alignées et les linges bordant des lits de camp, des bassines bleues et des pichets à eau, quelques micros à pied et des tambours colorent ce dispositif éclectique où tout semble pouvoir arriver. Mais la chorégraphe cache d’abord bien son jeu : le danseur en jupette blanche et chaussettes noires montantes, qui fait un petit tour de piste façon salsa supplément popping, n’offre qu’un sage trompe-l’œil de ce qui s’apprête à défiler. Si les résonances avec la littérature arabe sont infimes, celles du ballet russe s’imposent avec retentissement sur Les Noces d’Igor Stravinsky. À travers ce chef-d’œuvre chorégraphique du début des années 1920, c’est Bronislava Nijinska, femme chorégraphe de génie longtemps négligée par l’histoire contemporaine de la danse, qui est convoquée en figure tutélaire.
Sur les longs extraits de cette partition complexe portée par un chœur de femmes, où les notes rondes de piano se heurtent à des percussions fracassantes et cinglantes, Marlene Monteiro Freitas déploie une esthétique outrancière dopée au grotesque et au burlesque. La scène se transforme en terrain de jeu où huit performeurs et performeuses s’avancent à petits pas dans des robes droites en velours noir. Certains personnages portent un col claudine jaune fluo, d’autres des masques façon poupée biscuit au teint lisse et jaunâtre, aux yeux noirs exorbités et trois mèches de cheveux graisseux collées sur le front.

NÔT de Marlene Monteiro Freitas
Entre babil infantile, playback colérique ou soliloques suraigus, la chorégraphe façonne ces étranges pantins à taille humaine à la gestuelle mécanique, aux regards intenses et aux expressions exacerbés. Aux gémissements de plaisir masturbatoire de l’un, briquant énergiquement son entrejambe avec un chiffon, font écho les grognements scatophiles d’un autre, remontant les gradins en feignant de se goinfrer avec le contenu de son pot de chambre, ou encore le trio de percussionnistes battant la mesure avec une raideur militaire et des yeux médusés. L’ambiance ne tarde pas à plonger dans le malaise. Sa ribambelle de numéros toujours plus baroques et inouïs, concilie répétition et inventivité : ici, un performeur se transforme en demi-marionnette en faisant des pieds avec ses mains pour enchaîner trente-six entrechats sur une chaise. Là, trois interprètes s’improvisent musiciens en faisant tinter des couteaux comme des triangles (ou des coupes de champagne pour porter un toast).
De concert avec l’œuvre musico-chorégraphique d’Igor Stravinsky et Bronislava Nijinska, les réminiscences du rituel nuptial s’imposent quant à elles de façon évidente. Ablutions purificatrices, banquet festif, draps et visages ensanglantés : la consommation du mariage oscille entre blague fallacieuse et scène de torture. Pourtant, le divers de ces visions déjantées peinent à s’articuler pour prendre forme organique. Il y a bien quelques passages frappants, tel que le mini-concert exalté de Mariana Tembe ou le final galvanisant sur The Mercy Seat de Nick Cave & The Bas Seeds. Mais entre leurs frasques tantôt astucieuses, tantôt excessives, les pièces du puzzle se juxtaposent sans parvenir à s’emboîter pour atteindre un véritable climax. Dommage pour ce spectacle qui donne l’impression de s’être laissé déborder par la richesse de sa matière performative et peut-être aussi, par les murs imposants de la Cour d’honneur.

NÔT de Marlene Monteiro Freitas
NÔT de Marlene Monteiro Freitas, scénographie Yannick Fouassier et Marlene Monteiro Freitas, son Rui Antunes, avec Marie Albert, Joãozinho da Costa, Miguel Filipe, Ben Green, Henri « Cookie » Lesguillier, Tomás Moital, Rui Paixão et Mariana Tembe. Mardi 8 juillet 2025 dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, dans le cadre du Festival d’Avignon.
À voir en tournée européenne en 2025, puis en France en 2026 : les 4 et 5 mars 2026 au Quartz (Brest), du 25 au 28 mars au Parc de la Villette dans le cadre de la saison du Théâtre de Chaillot (Paris), les 22 et 23 avril à La Comédie de Clermont-Ferrand, les 28 et 29 avril à la MC2 (Grenoble), les 6 et 7 mai à la Maison de la Danse (Lyon).