[Festival du cirque d’Alba-la-Romaine 2025] Kontact de Puéril Péril / Strano du Cirque Trottola
L’édition 2025 du Festival de cirque d’Alba-la-Romaine est lancée ! Une première soirée placée sous le signe de la force collective et des artistes comme apporteurs de rêve et de fantaisie dans un monde en chaos. La compagnie Puéril Péril claque avec Kontact, pièce enthousiasmante pour six acrobates, aussi percutante que remplie d’humanité et portée par une riche écriture du mouvement. Puis le Cirque Trottola nous cueille au cœur avec Strano, pièce déstabilisante car parfois crépusculaire, mais rayonnante aussi, comme l’étincelle de poésie qui réchauffe. Une soirée circassienne aux multiples couleurs.

Strano – Cirque Trottola
Si vous nous lisez régulièrement sur DALP, vous connaissez notre intérêt pour le Festival de cirque d’Alba-la-Romaine, qui se tient chaque été autour du 14 juillet. Organisé par le Pôle Cirque La Cascade, il se déploie au cœur de la campagne ardéchoise de ce village, proposant à la fois une belle programmation mettant en valeur la diversité circassienne d’aujourd’hui, et une ambiance festive et conviviale que l’on apprécie toujours beaucoup. Cette édition 2025 ne faillit pas à la règle. La cérémonie d’ouverture a donné le ton, menée par Alain Reynaud, directeur de La Cascade mais présent en scène dans ses habits de clown, où les discours des politiques se mêlent à l’absurde, où l’air de jazz Summertime s’appuie sur le chant des cigales. Pour la soirée, place à deux spectacles s’appuyant techniquement sur l’acrobatie de groupe, sur une certaine idée du collectif aussi, sur l’envie de créer un moment à part, mais au résultat très différent. Le postulat de Kontact, le quatrième spectacle deKontact, n’a en soi rien de bien original. Sur scène, six acrobates mêlent des moments de virtuosité ébouriffants à des confidences personnelles face au public. Mais le spectacle twiste très vite, prend des chemins bifurqués et nous emmène à des endroits que l’on ne soupçonnait pas. La Voix – que j’appelle ainsi car elle rappelle évidemment la voix-off de la télé-réalité Secret Story – donne régulièrement quelques règles du jeu. Comment apprendre à se connaître ? Comment se dévoiler, donner les véritables détails qui en disent beaucoup sur soi ? Comment se lier et se connecter ?
Tout démarre en trombe et les six acrobates s’élancent pour quelques minutes Kontact. L’un empoigne le deuxième, la troisième bondit, le quatrième sert de porteur, le cinquième prend l’équilibre sur les épaules de la sixième. Tout semble naître sous l’impulsion du moment présent, porteuse d’une fluidité réjouissante. Mais ne nous y trompons pas : l’écriture est au cordeau, précise et net, bien plus complexe que ne le laisse imaginer cette apparente simplicité. Un vent de fraîcheur et de jeunesse souffle instantanément en plateau. Mais même si certains interprètes étaient encore au CNAC il y a quelques années, c’est une troupe aguerrie qui monte le spectacle – la compagnie Puéril Péril a fêté ses dix ans et Kontact est son quatrième spectacle, montrant une belle maturité artistique.
C’est peut-être là la recette de ce spectacle : des circassiens et circassiennes expérimentés et qui ont gardé la flamme et l’enthousiasme de leur tout premier spectacle. Il faut les voir, le visage rempli de bonheur d’être perchés si haut dans l’espace, de s’envoler ou de réussir une figure difficile. Il faut voir aussi l’effort de supporter d’eux d’entre eux sur les épaules, la tension de tenir, la difficulté parfois à aller au bout. Dans ce relativement petit plateau entouré par le public, rien ne peut être dissimulé. Les artistes ne cherchent pas à le faire d’ailleurs. Chacun et chacune à son tour se dévoile, par un mot, une anecdote, poussant aussi gentiment le public à sa propre introspection. Et tout cela raconte une génération qui ne veut plus rentrer dans des cases, un statut d’artiste qui n’est jamais anodin à prendre, encore plus aujourd’hui où le spectacle vivant est confronté à de multiples tempêtes. Kontact est en apparence simple et ça n’a l’air de rien six acrobates en chemise colorées sur un plateau carré en pleine campagne ardéchoise. Mais que de choses se passent en scène. Que d’émotions traversées, de joie immense, de drôleries qui peuvent vite virer aux larmes. Kontact raconte cela : notre besoin urgent de se serrer les coudes, et que ce n’est pas si difficile que ça de se rencontrer. Un vrai shoot de bonheur collectif, et le plaisir que l’on a à voir ce spectacle nous rappelle à quel point nous pouvons en manquer parfois.

Kontact – Compagnie Puéril Péril (archive)
Puis direction un forme plus attendue du cirque : un grand chapiteau rouge et quatre artistes au visage grimé de blanc et au nez rouge des clowns. Voilà plus de vingt ans que le Cirque Trottola écume les routes avec ses spectacles si plein de poésie. Strano, leur dernière création en piste depuis un an, nous parle aussi des artistes comme créateurs de liens vivants. Mais le ton est tout autre. Kontact porte le souffle d’une certaine jeunesse, Strano a des couleurs plus désabusées. Comme si la partie était déjà perdue, mais que l’on continue quand même, juste pour partager encore un peu un petit moment de poésie. Le chapiteau est ici un refuge aux bruits assourdissants du monde. À l’intérieur, quatre énergumènes : une force de la nature à la voix tonitruante, Rififi frêle et malicieuse qui semble porter en elle toute la poésie du monde, un inconnu qui apparaît et disparaît et une musicienne, dont les mains et les pieds dansent sur les claviers de son orgue. Peut-être sont-iels les derniers artistes sur Terre. Peut-être donnent-ils leur dernier spectacle. Alors quitte à faire le dernier, autant le faire bien.
Strano a quelque chose de crépusculaire. Mais là encore, que de joie traversées. Un rien devient propice à une blague ou une invention. Les trapèzes deviennent des jeux, une échelle géante et périlleuse se transforme en grand huit de fête foraine pour peu que l’on sait l’apprivoiser, un piano à queue devient un toboggan géant parce que pourquoi pas. Tout est presque sombre mais même dans l’obscurité peut naître quelque chose d’un peu fou, d’inattendu ou de joyeux, comme une étincelle qui nous illumine et nous réchauffe. Strano aussi raconte notre urgence à rester ensemble. Comme la position de l’artiste comme un rempart, peut-être le dernier, à la déperdition de notre époque. Mais ma conclusion un peu noire ne saurait entièrement résumer le spectacle qui, s’il est toujours porteur d’une certaine mélancolie, garde toujours un feu joyeux d’émerveillement qui nourrit longtemps après la fermeture du chapiteau.

Strano – Cirque Trottola
Festival de cirque d’Alba-la-Romaine
Kontact de la compagnie Puéril Péril, de et avec Réhane Arabi, Ronan Duée, Dorian Lechaux, Xavier Mermod, Patricia Minder et Barbara Lartigau, mise en scène de Dorian Lechaux, composition musicale de Maler. Mercredi 9 juillet 2025 au Théâtre de la Roche. À voir au festival Châlon dans la rue du 17 au 20 juillet, en tournée cet été et à la rentrée.
Strano du Cirque Trottola, conception Titoune et Bonaventure Gacon, avec Titoune, Bonaventure Gacon et Pierre Le Gouallec, et la musicienne Barbara Cornet. Composition musicale de Samuel Legal, Jean-Sébastien Bach, César Franck, Mauricio Kagel et Charles-Marie Widor. Mercredi 9 juillet 2025 au Chapiteau du Carbu. À voir jusqu’au 14 juillet au Festival d’Alba-la-Romaine, en tournée la saison prochaine.
Le Festival de cirque d’Alba-la-Romaine continue jusqu’au 14 juillet.