[Festival du cirque d’Alba-la-Romaine 2025] NO(s) Façades des Josianes et Cirque la Compagnie / Mouton Noir de Wilmer Marquez & Paul Molina / Fidji de La Dépliante
Après une première journée autour du Cirque Trottola et la compagnie Puéril Péril, suite de l’escapade de DALP au Festival du cirque d’Alba-la-Romaine. Les filles des Josianes et les garçons du Cirque la Compagnie s’associent pour monter un spectacle fait sur-mesure pour le Théâtre antique. Cela donne No(s) Façades, empreint de tendresse, de voisins joyeux et d’une pointe d’esprit révolutionnaire. Puis place à deux seul-en-scène. Paul Molina nous raconte avec beaucoup de sincérité son chemin tortueux dans Mouton noir, pour passer d’élève modèle à artiste-footballeur free-style. Et Antoine Nicaud joue de l’absurde et de l’émotion qui arrive sans crier gare avec Fidji, à l’écriture percutante.

NO(s) Façades – Les Josianes et Cirque la Compagnie
Festival du cirque d’Alba-la-Romaine épisode 2 ! Place pour cette deuxième journée à la tête d’affiche de cette édition 2025. La grande scène du festival n’est autre que le Théâtre gallo-romain du village. Certes moins impressionnants que ses confrères de Lyon ou Vaison-la-Romaine, mais plein de charme, avec pour décor la campagne ardéchoise. Les spectacles y sont d’ailleurs programmés en début de soirée, pour profiter de la lumière et du cadre naturels qui donnent à la scène une touche unique. Pour l’affiche qui occupe chaque année ce théâtre romain, le festival aime proposer une création, laisser une carte blanche à une troupe, provoquer une rencontre, pour monter un spectacle imaginé spécialement pour ce lieu pas comme les autres.
Cette année, deux troupes mêlent leur univers, les Josianes et Cirque la Compagnie, pour la création No(s) Façades. La première est composée de huit artistes, uniquement des femmes, qui mêlent l’acrobatie, la danse et le chant polyphonique. La deuxième est entièrement masculine et a fêté ses dix ans il y a peu. Ces deux entités se connaissent bien et viennent du même territoire. Les rassembler pour un spectacle commun n’est donc pas tout à fait fortuit. Et sur scène, cela se voit : les deux troupes se mêlent avec bonheur et naturel. Le décor se compose de la grande façade jaune des Josianes, venue du spectacle de rue que la troupe féminine tourne en ce moment, agrémenté d’une autre dans les tons ocre. Nous sommes sur la place d’un village du Sud, et ça s’engueule entre voisins quand l’un est trop bruyant. Les volets claquent mais le ton est joyeux. L’on devine que l’on est ici comme dans une grande famille recomposée : on rit, on chante, on s’invective, on s’énerve parfois et on se prend dans les bras. On fête le 14 juillet (depuis combien de temps n’avez-vous pas chanté Au bal masqué, ohé ohé ?). On improvise un banquet devant la porte et on y invite tout le monde. Même trois voleurs de guingois, arrivés là par hasard et qui se demandent quelle est cette rue où souffle une folie douce.
No(s) Façades est une histoire simple : celle de la vie de tous les jours, du partage, de la communauté peut-être pas choisie au départ mais qui porte tellement. Tout y est fait avec beaucoup de tendresse et de sincérité, d’humour aussi, de clins d’oeil. Les artistes de Cirque la Compagnie bluffent par des numéros sachant trouver leur originalité, comme celui de la bascule qui multiplient les twists de surprises, ou un moment d’acrobatie sur quelques chaises. Les circassiennes des Josianes amènent la danse présente avec vitalité, un rythme rapide entre humour et poésie ou un numéro de mât chinois si plein de tendresse. Mais après avoir bien ri ensemble, le ton se fait plus grave. Après la place du village et les volets qui claquent, les huit artistes se rejoignent sur le toit. Et sous le soleil couchant de l’Ardèche, accompagnés par les cigales, ils et elles entament a capella un chant révolutionnaire occitan. Savoir vivre avec les autres n’est pas qu’une affaire de fête : c’est aussi l’idée, le besoin vital aujourd’hui, de se lever ensemble.

NO(s) Façades – Les Josianes et Cirque la Compagnie
La journée de cirque m’aura aussi permis de découvrir deux seul-en-scène. Tout d’abord Mouton Noir, où Paul Molina, champion de football freestyle, raconte son parcours dans un spectacle créé avec Wilmer Marquez. Le procédé est assez simple : un décor à deux facettes marquant l’évolution de l’artiste, et l’alternance de séquences virtuoses ballon au pied et de monologues introspectifs. Mais le tout reste très efficace. L’histoire de Paul Molina est celle de beaucoup : un parcours tout tracé, une prépa, une école de commerce, un travail stable et bien rémunéré. Mais l’envie d’être artiste est tapie dans l’ombre, parfois bien vivace, à d’autres moment enterrée profondément. Jusqu’à son éclosion, à coups de forceps et comme une évidence. Comment et pourquoi choisit-on de devenir artiste ? Comment sortir du chemin tout tracé pour trouver sa propre voie ? En se racontant avec toujours beaucoup de sincérité, Paul Molina dessine le portrait d’une jeune génération qui veut sortir du cadre imposé. Il nous embarque dans son cheminement personnel comme nous épate par sa virtuosité circassienne. Et donne très envie d’aller voir son nouveau spectacle Up, chorégraphié par Fouad Boussouf pour le free-styler et le musicien Gabriel Majou.

Mouton Noir de Wilmer Marquez par Paul Molina
En fin de soirée, Fidji de La Dépliante nous déstabilise comme nous cueille au cœur. Alors que nous sommes dans un festival de cirque, Fidji est plutôt une œuvre théâtrale, un monologue diablement bien écrit mais où la pratique circassienne – en tripode essentiellement – reste à la marge, ce qui a de quoi nous étonner au premier abord. Antoine Nicaud est seul, ou presque, en scène. Il joue son propre texte, peut-être se joue-t-il aussi lui-même. Voilà Starsky, un mec un peu grande gueule, un peu branleur, un peu naïf aussi. Starsky, il cherche son chat, Fidji. Et c’est parti pour un grand récit, fait de petits riens, de rêves surréalistes et d’histoires vraies tellement folles qu’on n’aurait pu les inventer – vous connaissiez le chat bourré de capteurs, envoyé par les Américains espionner les Russes en pleine Guerre froide et écrasé par un taxi à peine débarqué ? Mais au détour du burlesque et du parfois n’importe quoi, l’absence et le deuil arrivent comme un coup de poing, sans crier gare. Starsky s’arrête de parler, grimace. Puis repart dans ses boutades. Mais le coup au cœur est parti et ne nous lâche plus. Un seul-en-scène atypique et rare.

Fidji de La Dépliante – Antoine Nicaud
Festival de cirque d’Alba-la-Romaine
NO(s) Façades par Les Josianes et Cirque la Compagnie, avec Maria Del Mar Reyes, Hugo Ragetly, Julia Spiesser, Betty Mansion, Nicolas Provot, Boris Fodella, Una Bennett et Charlie Mach, écriture Una Bennett, Betty Mansion, Nicolas Provot, Julia Spiesser et Charlie Mach. Jeudi 10 juillet 2025 au Théâtre Antique. À voir jusqu’au 14 juillet.
Mouton Noir de Wilmer Marquez par Paul Molina, Création son Jorge Avellaneda. Jeudi 10 juillet 2025 à l’espace Cactus. À voir jusqu’au 14 juillet.
Fidji de La Dépliante, de et avec Antoine Nicaud. Jeudi 10 juillet 2025 au Plateau. À voir en tournée tout l’été et jusqu’en novembre.
Le Festival du cirque d’Alba-la-Romaine continue jusqu’au 14 juillet.