[Vaison Danses 2025] Beauséjour de Mourad Merzouki – Compagnie Käfig
29e édition de Vaison Danses, un festival à part porté par son navire amiral, le Grand Théâtre antique de Vaison-la-Romaine avec sa jauge de 3.000 personnes, qui en fait un lieu unique. Et constitue aussi un défi : il faut remplir en proposant des spectacles qui conviennent à toutes sortes de publics, aussi bien les aficionados que les moins aguerris. Son directeur Pierre-François Heuclin s’y entend à merveille en faisant appel à des chorégraphes blockbusters, comme cette année Angelin Preljocaj et Mourad Merzouki, qui avait fait carton plein avec Beauséjour créé l’an dernier aux Nuits de Fourvière. Mais il a aussi convié Anne Teresa de Keersmaeker, qui n’était jamais venue à Vaison Danses. Resserré sur deux semaines, l’édition 2025 affiche une belle santé artistique fondée sur un programme éclectique et des esthétiques diverses.

Beauséjour de Mourad Merzouki – Compagnie Käfig
Vaison Danses a déjà une riche histoire dans le catalogue des festivals. Depuis sa première édition, il a connu des soirées mémorables : Maurice Béjart, Sylvie Guillem y furent des hôtes réguliers. Angelin Preljocaj continue de rafler la mise en 2025 et les 3.000 places du Théâtre antique sont déjà vendues pour Requiem(s), qui clôturera l’édition 2025 de Vaison Danses le 23 juillet. Entre un ciel parfois capricieux à Vaison-la-Romaine et les affres du Covid, Mourad Merzouki a dû attendre l’été 2022 pour y faire ses débuts. Mais il a instantanément conquis le public et pour son retour cette saison, sa dernière création Beauséjours’est jouée à guichets fermés. Ces blockbusters de qualité sont évidemment une nécessité financière pour l’équilibre du festival. Mais Pierre-François Heuclin est soucieux d’élargir la palette stylistique de l’événement. Et c’est ainsi que pour la première fois, Anne Teresa de Keersmaeker est venue à Vaison Danses e avec Il Cimento dell’Armonia et dell Inventione, co-écrite avec Radouan Mriziga que nous avons vue au Festival de Marseille l’an dernier. Il était à prévoir que le public serait plus clivé. Quelques huées se sont faites entendre mais c’est aussi la mission d’un festival de solliciter les spectateurs et spectatrices sans nécessairement les flatter. En revanche, Crocodile de Martin Harriague, récemment couronné par le Grand prix du Syndicat de la critique, a été chaudement accueilli au théâtre de la Nymphée désormais équipé pour recevoir des spectacles de plus petits formats.
Le festival, c’est aussi la ferveur de celles et ceux qui arrivent deux heures avant l’ouverture des portes pour être sûrs de ne pas être assis trop hauts. Même si la visibilité est optimale, on peut préférer ne pas s’éloigner de la scène pour jouir des expressions des danseuses et des danseurs. Et les 15 interprètes de Beauséjour de Mourad Merzouki ne sont pas avares de mimiques en tout genre que l’on peut apprécier même de loin. Le hip-hop est entré dans la danse contemporaine il y a maintenant 40 ans. Ce temps conduit les pères fondateurs tels que Mourad Merzouki à s’interroger sur le vieillissement, celui des corps sollicités à l’extrême: « La vieillesse peut être le séjour bienheureux où réside la beauté ! Beauté qui défie le temps , qui résiste et qui existe autrement », écrit Mourad Merzouki, nous livrant ainsi la clef du titre du spectacle et sa structure.

Beauséjour de Mourad Merzouki – Compagnie Käfig
Il n’y a rien de triste dans la vision que le chorégraphe nous propose. Sur la musique électro aux accents tango signée Müller et Makaroff, Mourad Merzouki compose une parade festive où deux groupes se font face, se mêlent ou dialoguent. Les costumes flashy aux couleurs pétantes et aux imprimés audacieux signés Pauline Zurini ajoutent un surplus de gaieté bienvenue. Ils déboulent en fanfare, toute jeunesse dehors, virtuosité assurée Puis côté cour, c’est un tout autre défilé qui s’annonce : vieux, empesés, perclus de douleurs, ce second groupe avance avec difficulté. À moins que cette vision des corps diminués et amoindris ne soit qu’un leurre. Car subitement, les voilà qui se redressent comme une forme de rébellion, le refus de considérer l’âge comme un frein rédhibitoire au mouvement et à la danse. Le geste s’adapte, compose avec les limites que le corps impose mais il n’abdique pas. C’est une vision résolument joyeuse de la vieillesse qui une heure durant se déploie dans une ambiance ultra festive et drôle où l’on ne se prive pas de cabotiner.
Mourad Merzouki a construit un spectacle feel good superbement interprété par la compagnie Käfig. Un an après sa création, le spectacle est plus que rodé et les enchaînements se succèdent dans une totale fluidité. Le plaisir du spectacle en plein air, c’est de sentir davantage encore le public, 3.000 personnes qui se laissent embarquer avec bonheur dans ce Beauséjour que le chorégraphe nous promet. On ne peut qu’être sensible aux intentions de Mourad Merzouki, à ceci près que cette vision quelque peu idyllique du temps qui passe ne tient pas tout à fait sa promesse. Lors d d’une rencontre bord de scène animé au cœur du théâtre antique par Pierre-François Heuclin, un spectateur a opportunément posé la question : les danseuses et les danseurs qui incarnent la vieillesse sont en fait de très jeunes artistes de la compagnie qui se griment et s’installent avec excellence dans ce que le chorégraphe imagine du corps vieillissant. C’est la limite du propos et Mourad Merzouki l’admet volontiers. Reste un spectacle joyeux, fédérateur et résolument optimiste, ce qui ne saurait nuire en ces temps compliqués.

Beauséjour de Mourad Merzouki – Compagnie Käfig
Beauséjour de Mourad Merzouki par la compagnie Käfig, dans le cadre du festival Vaison Danses. Avec Rémi RMS Autechaud, Hugo Ciona, Sabri Mucho Colin, Mathilde Devoghel, Killian Drecq, Soufiane Faouzi Mrani, Nathalie Fauquette, Maé Nayrolles, Bastien Bastos Guto, Pauline Journé, Mathis Kaddaoui, Laura Mello Rella, Vanessa Petit, Pauline Rousselet, Maxime Thach et Teddy Verardo. Samedi 12 juillet 2025 au Théâtre antique de Vaison-la-Romaine. À voir cet été le 13 août aux Nuits de la Citadelle à Sisteron, en tournée la saison prochaine dès le 3 octobre.
Vaison Danses continue jusqu’au 23 juillet.