[Festival de Marseille 2025] Coup de Grâce de Michel Kelemenis
Il est un peu le glorieux régional de l’étape : le chorégraphe français Michel Kelemenis, directeur du KLAP maison pour la danse à Marseille, a revisité pour le Festival de Marseille une pièce de 2019. Coup de Grâce, écrite pour sept interprètes, comme une évocation des attentats meurtriers du 13 novembre 2015 ne se veut « ni une illustration, ni une commémoration » mais davantage une réponse à la barbarie, un acte artistique pour rappeler, comme l’écrit le chorégraphe que « quand certains dansent, d’autres tuent… ». Dans un écrin en arc de cercle cerné par un rideau de perles métalliques, les trois danseuses et quatre danseurs opposent la beauté, l’énergie créatrice à la barbarie et la mort. Michel Kelemenis conçoit en toute maîtrise une chorégraphie épurée ou se mélange clubbing et geste contemporain. Comme un acte de résistance.

Coup de Grâce de Michel Kelemenis
Continuons notre périple au Festival de Marseille et son édition 2025. Et après Chroniques de Peeping Tom, place à Coup de Grâce de Michel Kelemenis. Que peut-on imaginer de plus barbare que de tuer des gens qui ne se connaissent pas mais qui sont venus partager un moment en commun pour écouter une musique qu’ils aiment. Le 13 novembre 2015 au Bataclan, salle de spectacles parisienne, un commando islamiste sema la terreur parmi le public, tuant 130 personnes et en blessant 413 autres. Cette déflagration a laissé une marque indélébile sur toutes et tous. Elle fait partie de ces événements qui ne s’oublient jamais. Tout le monde sait très précisément où il était et ce qu’il faisait lorsqu’il apprit l’étendue de l’horreur. Il changea aussi le quotidien des artistes et spectateurs dont on se mit à inspecter les sacs pour éviter qu’une telle horreur ne se reproduise. On comprend que Michel Kelemenis ait souhaité démontrer une forme de résilience en créant Coup de Grâce, ode funèbre nerveuse innervée d’une vitalité constante. Le spectacle débute à sept, serrés les uns aux autres dans une déferlante de clubbing, presque de swing porté par une tension extrême et des gestes mécaniques. Les trois danseurs et quatre danseurs sont vêtus de noir, pas d’autre couleur que celle du deuil. Le chorégraphe resserre encore la focale en les faisant grimper sur une table à barreaux sciés forçant les corps à se frôler, se rapprocher langoureusement jusqu’au baiser dans une trajectoire d’autant plus fluide que l’espace est étroit. Le compositeur grec Angelos Liaros-Copola a conçu des sons en syncopes qui instillent une énergie évoquant parfois une transe collective.
La chorégraphie est aussi affaire de géométrie dans l’espace et Michel Kelemenis est un maître en la matière. Il trace des lignes complexes où les artistes se meuvent en toute liberté, en solo ou réunis pour des ensembles épurés d’une grande beauté formelle. Coup de Grâce s’aventure aussi du côté des citations avec un surprenant Chant du Cygne emprunté à Michel Fokine. Si Michel Kelemenis refuse de voir ce ballet comme une illustration de l’attentat du Bataclan, il induit malgré tout la violence et la mort. La poursuite lumineuse portée par un des danseurs se fait arme fatale. Le projecteur agit telle une mitraillette et se tourne vers le public pour lui rappeler que c’est lui qui fut visé ce soir du 13 novembre.

Coup de Grâce de Michel Kelemenis
La pièce avait vu le jour en 2019 mais le Covid a limité son impact. Le dixième anniversaire des attentats cette année était une occasion de la faire revivre avec une distribution en partie renouvelée. Les interprètes sont remarquables, capables tout aussi bien de jouer à l’unisson dans un mouvement épuré que d’interpréter des solos où il convient de lâcher prise. Aurore Indaburu, formée à l’école PARTS d’Anne Teresa de Keersmaeker, touche juste et fort avec une danse rapide, précise, appuyée par des lignes splendides. Son solo constitue un des climax de Coup de Grâce. Dans ce maelström implacable se glisse aussi le sauve-qui-peut, la tentation de fuir seul dans un élan de survie mais aussi les mouvements de solidarité collective. Tous ces moments sont retracés dans ces 60 minutes implacables.
Michel Kelemenis est un enfant de la très riche décennie chorégraphique française des années 1980, celles entre autres du regretté Dominique Bagouet dont il dansa les premières pièces. On retrouve dans son style ce goût pour une danse politique, signifiante sans être narrative. On ressort du KLAP de Marseille, ce lieu imaginé par Michel Kelemenis, quelque peu secoué sans pouvoir répondre à la question : l’art nous sauvera-t-il de la barbarie ?

Coup de Grâce de Michel Kelemenis
Coup de Grâce de Michel Kelemenis, avec Luc Bénard, Maxime Godard, Aurore Indaburu, Claire Indaburu, Anthony La Rosa, Hannah Le Mesle et Anthony Roques, création musicale d’Angelos Liaros-Copola. Samedi 21 juin 2025 au KLAP Marseille, dans le cadre du Festival de Marseille.
Le Festival de Marseille continue jusqu’au 6 juillet.