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Paroles de danseuses et danseurs confinés – Arnaud Mahouy, Marion Barbeau et Simon Le Borgne, Charlotte Nopal

Danseurs, danseuses, chorégraphes… Les artistes de la danse sont comme tout le monde confinés chez eux. Comment vivent-ils cet éloignement des théâtres et ces spectacles annulés ? Quelles routines ont-ils mis en place dans leur entraînement quotidien ? Comment gèrent-ils les questions matérielles ? Comment voient-ils l’après confinement ? Chaque semaine, DALP laisse la parole à quelques danseurs et danseuses d’horizons différents sur leur confinement. 

Cette semaine, place à Arnaud Mahouy (danseurs au Malandain Ballet Biarritz), Marion Barbeau et Simon Le Borgne (danseuse et danseur du Ballet de l’Opéra de Paris) et Charlotte Nopal (danseuse free-lance).

 

Arnaud Mahouy – Danseur au Malandain Ballet Biarritz

Le confinement

Nous étions en tournée dans le Sud-Est avec le Malandain Ballet Biarritz pour danser Marie-Antoinette. Tout était installé, nous étions en train d’arriver au théâtre pour commencer notre journée. Et tout a été annulé. Beaucoup d’étrangers de la troupe sont allés dans leur famille. Moi je suis rentré chez moi, à Biarritz, une terre privilégiée pour le confinement, même si nous n’avons pas vraiment le droit d’aller voir l’océan. Je suis juste passé au Ballet pour prendre un peu de matériel pour m’entraîner : un élastique, des balles pour se masser, un tapis de yoga.

Personnellement, je n’avais pas de prise de rôle ou de création lors des spectacles annulés. Mais il y avait de beaux rendez-vous manqués. On allait ainsi danser dans des théâtres qui accueillent la compagnie depuis 20 ans, comme Reims. Ces annulations sont pleines de petites déceptions : celles de rater des rendez-vous importants dans la vie de la compagnie.

Arnaud Mahouy

Son entraînement au quotidien

Je mets un réveil le matin, à peine plus tard qu’une journée normale. Je prends d’abord un moment pour moi avec du yoga. Le luxe de cette période reste d’avoir du temps pour soi et sa propre routine. Puis on se retrouve avec certains danseurs et danseuses sur Zoom ou Skype pour faire au moins une barre classique et un peu de milieu. Nous parlons beaucoup les uns avec les autres. Nous sommes une troupe, on passe nos vies ensemble, ce quotidien fait partie de notre ADN. C’est l’un de nous qui mène le cours. Nous avons une grande indépendance au Malandain Ballet Biarritz. En temps normal, nous sommes tous les jours pris en charge dans le travail. Mais dans une période comme celle-là, nous sommes très responsabilisés. La direction a confiance en nous, elle sait que l’on a un rapport quotidien à la danse et que chacun va faire ce qu’il faut pour lui.

Nous avons aussi un staff médical très développé dans laquelle la compagnie a mis beaucoup de moyens. Notre kiné et préparateur physique, en lien avec notre ostéopathe et notre médecin du sport, anime une chaîne Youtube et met en place énormément de vidéos et de tutos pour nous accompagner pendant le confinement. Cette chaîne est ouverte à tout le monde, le but est justement qu’elle soit utilisée le plus possible.

Personnellement, j’ai repris mes études il y a deux ans avec le cursus de Science Po pour les sportifs et sportives de haut niveau. Je regarde beaucoup de danse aussi. C’est très enthousiasmant, même si cela m’a questionné : et si les gens ne retournaient pas au théâtre après ? (rire). Mon quotidien est bien rempli mais personne ne s’ennuie dans la compagnie. En tant que danseur, on n’est pas de nature à s’ennuyer. On est aussi les ⅔ de l’année en voyage, à l’hôtel. Avec le confinement, on réhabite nos lieux de vie de manière quotidienne.

Le luxe de cette période reste d’avoir du temps pour soi et sa propre routine

Ce que le confinement change dans son travail

En temps normal, notre cours de danse classique quotidien nous sert à nous chauffer, travailler notre technique et surtout à préparer notre corps pour les services de répétition et/ou le spectacle. Là, on appréhende le cours sans nécessité, sans ce côté utilitaire. Cela permet de prendre plus de temps. Je me rends compte que je requestionne plein de choses et c’est très intéressant. L’on n’a pas forcément le temps de faire cette remise à zéro dans notre quotidien, là on explore d’autres territoires et sensations. Je repense à des idées de postures, la base de la technique, aller à l’essentiel et prendre le temps de changer mes appuis ou de les affiner. Changer les habitudes prend du temps, cette période nous offre ça.

Son état d’esprit

À Biarritz, nous avons un rythme très intense, avec 100 spectacles par an et beaucoup de tournées. Au début, on ne savait pas combien de temps le confinement allait durer. Si cela tenait 10 ou 15 jours, cela nous faisait souffler entre deux tournées intenses, même si c’est affreux d’annuler des spectacles. Le fait que cela dure plus longtemps met d’autres sentiments en place et fait naître quelque chose de beau en nous : le manque du public. On ressent forcément le manque de la pratique de la danse, mais on a aussi ce manque du public, du spectacle, du théâtre, de la scène. Au Malandain Ballet Biarritz, nous sommes beaucoup en scène. Et l’on se rend compte avec ce temps d’arrêt que la scène est une addiction !

Avec la danse très exigeante de Thierry Malandain, on a tous conscience du travail nécessaire. Personne n’est en vacances. Nous sommes tous très exigeants avec nos corps. Nous nous disons que, si demain les théâtres ouvrent, on ne peut que proposer un spectacle qui soit de la même qualité que d’habitude. La situation évolue de 15 jours en 15 jours. Je pense que l’on ne recommencera pas les spectacles avant un bon bout de temps, mais peut-être pourrons-nous revenir en studio plus vite…

L’on se rend compte avec ce temps d’arrêt que la scène est une addiction !

Et après ?

Nous sommes en chômage partiel dès avril, mais la compagnie assure un salaire à 100 % pour tout le personnel. Et nous sommes en CDI. Il n’y a pas la peur de la précarité, plutôt l’angoisse que la saison soit terminée. Une angoisse personnelle, parce que je n’imagine pas ne pas monter en scène pendant six mois. Et une angoisse pour la compagnie. Le Malandain Ballet Biarritz vit à 50 % de fonds propres. Quand il n’y a pas de spectacle, les subventions ne couvrent que la moitié des salaires. Chaque date annulée est un challenge supplémentaire à relever pour la troupe.

 

Marion Barbeau et Simon Le Borgne – Première danseuse et Sujet au Ballet de l’Opéra de Paris

Le confinement

Nous sommes partis près de La Baule, face à la mer. Lorsque le confinement a été déclaré, nous étions en pleine répétition de la création d’Alan Lucien Oyen. Au début, on croyait encore qu’il serait possible de danser les dernières dates en mai. Nous avons appris l’annulation officielle de toute la série fin mars, alors que nous étions tous dispersés.

Marion Barbeau et Simon Le Borgne

Une création en suspens

Nous avons eu cinq semaines de répétitions avec Alan Lucien Oyen qui sont passées très vite. Ce chorégraphe prend le temps : pendant les deux premiers jours, pendant six heures, nous sommes resté assis en tailleur en rond pour nous présenter, Alan Lucien Oyen nous posant des questions ciblées. C’était génial d’approfondir les autres. Et il nous demandait de travailler en autonomie, de créer nous-même notre matériel à partir de textes qu’il avait écrits. C’est donc un processus qui demande beaucoup de temps. L’annonce de l’annulation a été brutale pour tout le monde. On était très triste, on s’était beaucoup attaché à lui. Il a écrit à tous ses interprètes une lettre adorable. On ne sait pas encore s’il y aura un report. On ne sait même pas sur quoi on reprend, comment la programmation de fin de saison ou de la saison prochaine va être affectée.

Leur entraînement quotidien

Nous avons décidé de travailler autrement pendant ce confinement, comme on en avait envie depuis longtemps. On suit pratiquement quotidiennement le cours de Gaga par Zoom mis en place par des artistes de la Batsheva. On a aussi trouvé des cours de yoga pour danseurs sur Youtube qui sont très bien. Ce n’est que maintenant que l’on commence à trouver notre rythme.

Le cours de Gaga est idéal pour ensuite improviser, avec un corps vraiment disponible et alerte de ses moindres petites parties qui peuvent bouger indépendamment. Ça échauffe le corps et l’esprit, pour pouvoir ensuite improviser et créer. Et cela ne demande pas tant de place que ça, cette pratique s’adapte à notre environnement, on peut donc la pratiquer un peu partout.

Privilégier un autre entraînement plutôt qu’un cours classique nous manquait à l’Opéra, et cela nous apporte beaucoup. On a l’impression de pouvoir progresser dans une pratique dont on n’a pas l’habitude. Cela oxygène le corps et l’esprit. La danse classique s’apparente à notre routine habituelle, là on peut découvrir autre chose, changer d’air. Cela nous change aussi de ne pas avoir de planning défini, auquel on doit s’obliger. Là, on voit en début de la journée ce dont on a besoin. Cours de pilates ? Yoga ? On peut faire vraiment ce dont le corps a besoin au moment présent.

Notre cours Gaga échauffe le corps et l’esprit

 

 

Un temps de création

On est en fait assez excité d’avoir du temps pour créer de nouvelles choses ensemble avec ce confinement. Nous avons créé une petite compagnie il y a quelques mois mais on manquait de temps pour la développer sur les réseaux sociaux et pour se faire connaître. On essaye ainsi d’utiliser ce temps pour rassembler du contenu – des photos, des vidéos, des textes – pour définir et développer qui on est. Au tout début du confinement, on a eu le privilège d’avoir un petit endroit pour danser, une voisine qui nous a prêté une partie de sa vieille et magnifique maison avec un escalier monumental. On s’est amusé à faire plusieurs petits films de danse et théâtre, qui seront diffusés dans le cadre de notre compagnie.

Nous avions un projet à Milan début mai, annulé forcément. Mais d’autres sont à venir, même si tous ne sont pas encore définis de manière précise. Nous avons une résidence cet été avec d’autres danseurs et danseuses au Theater Heidelberg que dirige Iván Pérez. On prend du temps pour y réfléchir. Cela passe pour l’instant par des recherches, des discussions entre nous, des films, des lectures. On essaye de rassembler un maximum de documents et d’idées pour nous nourrir. Puis nous allons commencer à improviser ou créer des consignes d’improvisation pour travailler.

Tel que l’on a envisagé le confinement au début, pour l’instant, on a juste peur de manquer de temps ! On profite de chaque jour pour être créatif, même si on ne se projette pas à long terme. Cela prend du temps de développer quelque chose de nouveau. On ne veut pas précipiter les choses, on souhaite que cela vienne naturellement. Le rapport au temps est complètement différent. Dans une vie qui d’habitude va à 200 à l’heure, on apprécie d’avoir du temps pour nos projets à part qui nous tiennent à coeur.

On profite de chaque jour pour être créatif

 

 

Leur état d’esprit

On a de la chance d’avoir la sécurité de l’emploi, contrairement à des amis intermittents. Ce temps de confinement, on n’en a pas le choix. Alors autant en profiter pour avoir un peu de recul sur notre vie et sur ce que l’on fait. Cela permet de savoir ce que l’on veut vraiment : est-ce que notre vie à l’Opéra nous manque ? Si oui pourquoi ? On aime beaucoup notre travail d’artistes à l’Opéra de Paris, c’est une joie d’aller y travailler, on s’y épanouit. Mais on commence à avoir des projets à côté, qui demandent à avoir une indépendance.

Pour l’instant, nous ne sommes pas vraiment dans le manque des choses. Nous sommes plutôt dans l’état d’esprit d’être contents quand on les retrouvera. Il y a le manque de la scène, des amis, des grands studios. Mais au quotidien, nous nous occupons suffisamment pour ne pas trop y penser.

 

Charlotte Nopal – Danseuse free-lance

Le confinement

Je suis chez mon compagnon, à la campagne, entre Clermont-Ferrand et Saint-Étienne. J’étais chez lui pour quelques jours à l’annonce du confinement, je suis finalement restée sur place, avec juste une valise d’une semaine (sourire).

Charlotte Nopal

Son entraînement au quotidien

Toute de suite, j’ai mis en place un training quotidien, que j’ai retransmis en direct sur Instagram, pour s’entraîner ensemble. Pour l’instant, je reste avec mon propre training, peut-être que je suivrais des cours en ligne, je ne sais pas encore. Je travaille le renforcement musculaire et le fond, pour garder la technique et l’entraînement sur l’ensemble des choses. Je peux faire un renforcement musculaire, un entraînement classique ou contemporain. Puis je fais de l’improvisation où je travail quelque chose plus spécifiquement, comme la précision du geste, etc.

En temps normal, en tant que danseuse free-lance, je n’ai pragmatiquement pas forcément les revenus pour suivre des cours quotidiens. Et il y a parfois tellement de monde qu’on n’en profite pas vraiment, même si je préfère de loin être en studio pour un cours de danse classique ou pour des workshops. J’ai donc l’habitude de m’entraîner seule. Idem quand je suis en création et chorégraphie mes projets, seule en studio. Cela a pu m’arriver de travailler seule plusieurs semaines, même si ce n’était évidemment pas dans les mêmes conditions. En tant que free-lance, il y a des périodes où on n’a rien et il faut garder la motivation pour bouger seule. C’est notre quotidien de danseuse indépendante. Pour se motiver tout de même, il faut avoir des objectifs personnels par rapport à ce que l’on a envie de faire, ne pas “s’entraîner pour s’entraîner”. Mon objectif pendant ce confinement est de tout faire avec mon training pour être en forme quand tout sera terminé. Je suis censée partir en résidence pour mon projet First-Last en mai, je devrais en tout cas passer des auditions pour retrouver du travail. Je ne pourrais pas me permettre d’être larguée dans mon corps.

En tant que free-lance, il y a des périodes où on n’a rien et il faut garder la motivation pour bouger seule.

Les répercussions sur son travail

J’attendais une réponse d’audition, je devais faire un événement en avril repoussé en septembre : tout est gelé et en suspens. De façon générale, on ne sait pas si les productions auront lieu.

Je suis censée être en résidence à Biarritz mi-mai pour mon projet First/Last, mais je ne suis pas sûre qu’elle soit possible. Je travaille en tout cas comme si tout allait se faire normalement, pour avancer un maximum et continuer à garder le moral (sourire). First/Last est une série dansée que j’ai créée : les épisodes peuvent avoir lieu sur scène pendant le spectacle, et en vidéo sur les réseaux sociaux. C’est un duo, c’est donc assez compliqué d’avancer. Dans mon travail, je reprends mes écrits, ce que j’ai pu travailler en amont. Je vais vraiment travailler sur des états, un laboratoire de recherche de mouvements, pour tout de suite avancer en studio si la résidence est maintenue. L’idée est de donner des couleurs d’émotion à la chorégraphie. J’aurais ainsi un canevas pour travailler le mouvement avec mon partenaire une fois que nous serons réunis.

Je me prépare psychologiquement à ne pas travailler jusqu’en septembre

 

 

Et après ?

Je suis intermittente, je dois donc cumuler 507 heures de travail par an pour avoir ce statut. Pour l’instant, la date de renouvellement a été décalée par autant de semaines de confinement pour tous ceux et celles qui devaient renouveler leur statut en mars et avril. Mais pour ma part, mon renouvellement a lieu mi-août, et je n’ai pour l’instant que la moitié de mes heures. Pour l’instant, je suis donc censée trouver toutes mes heures manquantes entre la fin du confinement et mi-août, autant dire que c’est très compliqué. Les productions et compagnies vont avoir un gros manque à gagner, les festivals et événements d’été sont en suspens. L’activité va peut-être uniquement se relancer en juillet, voire septembre… Et cela entraîne des problèmes à la chaîne. Ce ne sont que des inconnus, encore plus que d’habitude (sourire). En tout cas, aujourd’hui, je me prépare psychologiquement à ne pas travailler jusqu’en septembre.

Son état d’esprit

En tant que free-lance, nous pouvons vivre de gros trous de carrière. Ce n’est pas anormal en soi. Ce qui me fait peur, c’est de ne pas savoir comment les gens vont réagir. Soit personne ne voudra aller dans les théâtres, soit tout le monde ira et il y aura un regain d’énergie. Personne ne sait ce qui va se passer et quand, y compris le ministère de la Culture, et c’est normal.

Dans mon quotidien, entre mon training, mon projet Firs/Last et mon blog Hilda, j’arrive à bien m’occuper. Mais à la fin de la troisième semaine de confinement, l’espace me manque, le studio me manque, comme le fait de ne pas être avec les gens. Toutes les initiatives de cours en live sur les réseaux sociaux sont géniales, mais ça ne remplacera jamais un vrai cours, une répétition. La danse est un art vivant, fait d’échanges, de contact. Je garde la motivation parce que je sais où je veux aller pour la suite, mais tout cela me manque et j’ai hâte de retourner en studio.

 




 

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