TOP

Alvin Ailey American Dance Theater : épisode 1

Lundi 25 juin 2012. L’Alvin Ailey American Dance Theater au Théâtre du Châtelet, dans le cadre des Etés de la Danse. Arden Court de Paul Taylor, Journey de Joyce Trisler, Minus 16 de Ohad Maharin, Streams d’Alvin Ailey, Takademe de Robert Battle, Home de Rennie Harris et Revelations d’Alvin Ailey.

Revelations_2.jpg
Les Etés de la Danse à Paris, le Miami City Ballet en 2011, l’Alvin Ailey American Dance Theater en 2012. Deux troupes très différentes, par leur histoire, leur répertoire, leurs artistes. Un point commun toutefois : l’accueil du public parisien, enthousiaste lors de la première, debout lors des applaudissements nombreux, criant des “Bravos” à n’en plus finir.

Cette première représentation, début de quatre semaines de spectacle au Châtelet jusqu’au 21 juillet, voulait donner un panorama de ce qu’est la compagnie aujourd’hui, en faisant de louables effort pour inclure des nouveautés, l’Alvin Ailey American Dance Theater étant déjà venu deux fois à Paris depuis 2005. La soirée n’était pas parfaite, mais tout de même riche. Elle montrait très justement les questionnements de la compagnie, et que se pose toute troupe fondée par une personnalité emblématique. Comment perdurer à la mort du chorégraphe ? Faut-il continuer à jouer toutes ses pièces, même celles qui ont mal vieilli (tout génial qu’il soit, un chorégraphe ne peut pas faire 135 chefs-d’œuvre sur 135 pièces). Vers quelle style contemporain aller ? Quelle création faire ? L’Alvin Ailey American Dance Theater n’a pas encore résolu tous ces questionnements, mais reste vivante, à l’affût, et porté par des danseurs et danseuses formidables.

Sur les sept pièces présentées, il y a eu des coups de cœur, et des choses qui laissent plus perplexes. Commençons donc par les premières. Minus 16, par exemple, une création de 1999 signée Ohad Maharin. Une vingtaine d’artistes sont en demi-cercle, costume et chapeau, assis, l’air grave. Une musique tribale-rock’n’roll s’élève… S’agit-il d’une prière commune ? D’un rite initiatique dont un seul des danseurs ne parviendra pas à prendre le dessus ? Qu’importe. Comme pour Le Boléro, on se laisse hypnotiser par ces ensembles, ces gestes vifs et répétés où la voix se mêle parfois. Il ne s’agissait que d’un extrait, quelle frustration de ne pas voir la pièce en entier.

Autre pièce de 1999, mais inventée par Robert Battle cette fois-ci, Takademe. Il s’agit d’un formidable solo sur une voix récitant très raidement un texte. On pourrait dire une danse hip hop, jazz, un mélange des deux saupoudré d’humour. Kirven James Boyd se lance sans réfléchir dans ces trois minutes de danse pure, mêlant fantastique énergie et corps chewing-gum, un mélange de force et de totale légèreté. L’Alvin Ailey American Dance Theater n’est pas une compagnie contemporaine comme on l’entend en Europe. Elle puise ses racines dans la danse jazz, le gospel, et se moule aujourd’hui parfaitement dans le hip hop, style qui semble être né pour la compagnie.

Takademe.jpg
Après les coups de cœur, viennent les pièces qui laissent un peu pus perplexes. Home de Rennie Harris est la dernière création de la compagnie, dans une veine hip hop-battle de rue. L’énergie demandée est calibrée pour la troupe, l’ambiance à la Fame reste sympathique. La recherche chorégraphique ne semble toutefois pas très aboutie, et le ballet tourne vite en rond. Une pièce d’ambiance, sans plus, qui n’exploite pas vraiment les capacités techniques des artistes.

Streamsd’Alvin Ailey, créé en 1970, laisse place à d’autres questionnements. Il n’y a que chez Martha Graham que les académiques ne font pas vieillots ? La pièce souffre d’un certain passéiste, et a du mal, telle quelle, à supporter le passage au XXIe siècle. Cela fait un peu ballet-musée en fait, ces pièces qu’une compagnie veut absolument montrer sans autre argument que “Pour l’histoire”. Le final, beau et envoûtant, laisse toutefois une bonne impression globale.

Streams.jpg
Très subjectivement parlant, le solo Journey de Joyce Trisler (1952) m’a laissée de marbre. La chorégraphie est belle, la soliste Sarah Daley est belle, mais je suis restée au bord de la route, je m’excuse. La pièce était précédée d’une de Paul Taylor, Arden Court (1981), la moins réussie du programme à mon sens (et qui ouvrait d’ailleurs la soirée, heureusement c’est allé crescendo). On touche doigt pour ma part les quelques errements stylistiques que peut avoir la compagnie. Car les gestes néo-classiques de Paul Taylor (très beaux au demeurant) ne sont pas servis comme il se devrait par la troupe d’Alvin Ailey. ça ne pas mal ensemble, les danseurs et cette danse, ça ne leur convient pas, c’est trop mal assorti. Tout le monde, personne en fait, ne peut tout danser.

La soirée se déroule ainsi, en véritables coups de cœur, curiosités et questionnements. Pour se terminer en apothéose, avec Relevations d’Alvin Ailey, la grande pièce du chorégraphe, son ballet-signature comme ont dit. Les chants gospels traditionnels se font entendre, un groupe se met en mouvement… et la danse démarre. Il y a parfois un peu de folklore avec ses tenues venues de Louisiane, on retient un magnifique trio en tenue contemporaine, un encore plus magnifique duo sur Fixe me Jesus. Et tous ces artistes qui semblent danser du plus profond de leur âme, portés par la musique.

Voilà ce ballet-signature, celui où tous les artistes de la troupe semblent avoir le besoin de puiser pour se souvenir d’où ils viennent, en tant que danseurs. Et aussi en tant que personne. La condition noire était indissociable du travail d’Alvin Ailey, et indissociable de cet hymne à la liberté qu’est Revelations. Peut-être qu’il y a des images visuellement un peu datées, peut-être que c’est un peu facile, du gospel, des battements de mains, ça fonctionne forcément. Qu’importe, je n’ai pas cherché à bouder mon plaisir, et j’ai adoré cette pièce. Comme la plupart du public d’ailleurs, d’où l’enthousiasme décrit en début de billet.

Revelations.jpg
L’Ailey American Dance Theater se cherche encore, mais ce n’est pas très grave en fait. Parce qu’il y a cette trentaine de danseurs et danseuses, à la présence physique impressionnante, aux regards perçants, presque transfigurés quand ils dansent. Alors vivement la suite.

Commentaires (5)

  • a.

    et rien d’Ulysse Dove?

    Répondre
  • Elo

    Je vois qu’on a aimé les mêmes choses ! Top 3 (pas dans l’ordre) : Minus 16, Takademe et Revelations. J’ai beaucoup aimé l’énergie des danseurs, ça se voyait qu’ils vivaient leur danse à fond. Et le public a répondu présent pour une fois “triomphe” ne semble pas exagéré ! 😉

    Répondre
  • petitvoile

    Les académiques sont vieillots partout ! C’est surtout Cunningham qui s’en était fait un poncif.
    Des chorégraphies bof de cette soirée, notons pour leur défense que la chorégraphie en Amérique n’est pas top du tout en général depuis un certain temps…

    Répondre
  • La Alvin Ailey American Dance Theater va venir au Gran Teatre del Liceu de Barcelone au mois de septembre. J’ai hâte d’aller les voir.
    J’ai vu Minus 16 par IT Dansa, la jeune compagnie de l’Institut du Teatre de Barcelona et j’avais beaucoup aimé. La pièce entière vaut le coup d’être vue même si c’est le passage des chaises qui est le plus hypnotique.

    Répondre
  • @ A. : Il n’y avait aucun ballet d’Ulysse Dove prévu pour cette première, mais trois de ses chorégraphies sont au programme de juillet.

    @ Elo : Mais oui, ça fait plaisir d’entendre un tel enthousiasme de la part du public, et leur énergie compense les faiblesses de certaines chorégraphies.

    @ Programme inégal, mais j’avoue que l’enthousiasme des danseurs a rattrapé le coup pour moi.

    @ Alice : Hâte de lire ta chronique sur la troupe !

    Répondre

Poster un commentaire