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La danse tribale d’Akram Khan

C’est un peu mort à Garnier/Bastille depuis la Nouvelle Année. Comme j’ai tout de même besoin de ma dose de ballet, je me réfugie là où ça danse. Et au Théâtre de la Ville, ça danse bien, ça danse même très bien. Après ma bonne soirée avec le Ballet de l’Opéra de Lyon la semaine dernière, je suis ressortie enthousiaste le vendredi 4 mars de la dernière création d’Akram Khan, Vertical Road.

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Le pitch m’avait fait pourtant un peu peur, en parlant “d’une esthétique Butô qui aurait basculé de la révolte de la chair au raffinement des corps” ou d’un “chemin spirituel qui s’opposerait à l’horizontalité de la vie profane“. Un peu trop danse contemporaine intellectualisante ? Pas du tout ! Vertical Road est une danse tout ce qu’il y a de plus instinctive et vibrante.
Et ça danse. Réflexion surprenante, mais je suis souvent ressortie frustrée d’un spectacle contemporain, un peu sur l’économie du mouvement. Chez Akram Khan, ça saute, ça tourne, ça bondi, ça pas de deux, ça se tend et se détend. Le tout me fait penser à une sorte de danse tribale ancienne, mêlée d’un peu d’art martiaux. C’est à la fois aérien et très ancré au sol, c’est beau, c’est prenant. L’énergie était d’autant plus forte par le choix de la musique, celle Nitin Sawhney, avec un rythme marqué par des basses assez envoûtantes (mais musique enregistrée, et peut-être un peu trop fortement diffusée pour les oreilles sensibles).

Ils sont sept danseur-se-s accroupi-e-s au sol. Derrière eux, une sorte de toile opaque blanche qui coupe la scène en deux. Et derrière elle, un homme, qui visiblement a envie de passer de l’autre côté voir qui sont ces gens. Je ne sais pas si c’est parce que le soliste, formidable Salah El Brogy, ressemblait à Saïd, mais ce ballet m’a fait penser à Lost.

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Lui, le soliste, c’est Locke, et il aimerait bien découvrir qui sont ces Autres. Après quelques énervements sur la toile, qui ne veut pas s’ouvrir, Locke arrive à les retrouver. Il veut se mêler à eux, s’essaye à leurs danses, mais a parfois du mal à les comprendre (ou a peut-être un peu de nostalgie de son ancien monde). Il est toutefois quelqu’un d’ambitieux, et ne dirait pas non à prendre la place du chef des Autres, Ben. Et il y arrive, non pas par la force physique, mais par une certaine emprise mentale. Le voila qui dirige tout ce petite monde d’une main, comme de vulgaire marionnette (l’un de mes moments préférés au passage).

Mais les Autres sont remplis de surprises. L’enchantement se casse, Locke se cherche. Et dans cet autre monde, il y a des choses qu’il ne faut pas faire. Comme d’essayer de piquer une femme alors en pleine roucoulade avec un autre. L’orage éclate, les Autres se retournent contre lui, et dans une ultime danse sauvage, s’en vont de l’autre côté. Locke est de nouveau seul, et ne veut surtout pas de cette solitude. Il recommence sont combat contre cette toile qui refuse de se plier, refuse de lui donner accès à ce qu’il cherche le plus. Et au moment où l’on croit qu’il abandonne, qu’il se résigne, il lui suffit d’un geste de la main pour que la barrière s’affaisse d’elle-même. Le chemin initiatique, la Vertical Road, est terminé.

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Comme dans Lost, on ne comprend pas bien ce qui se passe et où l’on est (surtout que je n’en suis qu’au début de la cinquième saison) (pas de spoiler svp). Mais comme dans Lost, cela n’a finalement aucune importante. Car la danse, son énergie, se suffit à elle-même. Les questions Où-suis-je/Où-vais-je sont oubliées pour juste se laisser guider par les pas des danseur-se-s. Il n’y a besoin de rien, pas même de comprendre, pour se laisser emporter par Vertical Road. La danse, c’est quelque chose de simple. Une bien belle soirée.

Vertical Road, d’Akram Khan, au Théâtre de la Ville jusqu’au 13 mars.

© Photos : Richard Haughton

Commentaires (3)

  • J’aime beaucoup ta façon de raconter cette soirée, c’est un peu l’histoire qu’il me manquait (et encore, comme tu dis, on n’a pas vraiment besoin de comprendre – ou plutôt, on ne comprend pas rationnellement mais parce qu’on le vit avec les corps des danseurs).
    Et c’est la première fois que je pourrais avoir le début d’une légère envie de risquer un œil à Lost.

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  • @mimylasouris:Et encore, je pense que chacun a dû percevoir une histoire différente.

    Quant à Lost, oui, il faut s’y mettre, je m’y suis laissée embarquer sans m’en rendre compte 😉

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  • sans blague, c’est un blog tr�s bon, j’aime l’id�e mani�re dont vous organisez vos points de vue par l’autorit�, alors vous parler de chacun individuellement, tr�s intelligent d’entre vous, envisager d’avoir un lecteur nouveau blog

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