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Helikopter / Licht d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj

Avec la reprise de sa pièce culte Helikopter et la création de Licht, Angelin Preljocaj propose un programme percutant et lumineux. Les deux pièces se répondent en un superbe diptyque, rendant un émouvant hommage au compositeur Karlheinz Stockhausen et déployant une écriture chorégraphique toujours aussi subtile, magnifiquement portée par les interprètes de la compagnie.

 

Helikopter d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj 

 

Angelin Preljocaj continue son passionnant travail de répertoire et création. Après une longue tournée mêlant des duos iconiques comme Annonciation associés à sa récente pièce Torpeur, le chorégraphe propose un programme hommage au compositeur Karlheinz Stockhausen, en mêlant une nouvelle création, intitulée Licht, et la reprise de sa pièce Helikopter.

Avant même que la lumière ne s’éteigne, rugissent les échos assourdissants du morceau Helikopter – Quartet, pièce d’avant-garde de Stockhausen qui superpose bruits d’hélicoptère, quatuor à cordes et voix égrenant des comptes aux intonations folles. De cette partition en apparence impossible à danser et à chorégraphier, Angelin Preljocaj, toujours avide de rencontres propres à le déplacer, a fait en 2001 une pièce culte. Sur le plateau, les projections de pales stroboscopiques se muent en échiquiers vrombissants, en lignes clignotantes ou rangées de chiffres vert fluo évoquant un univers où la technologie est reine. Six danseurs et danseuses luttent de tout leur corps contre la matière de cette musique qui les oppresse. Fluide et percutante, leur danse est d’une extrême précision et d’une synchronisation parfaite. L’écriture chorégraphique d’Angelin Preljocaj est peut-être l’une des plus riches qui soit, et il est toujours impressionnant de voir à quel point sa compagnie, de répertoire et de création, sait toujours l’incarner au présent.

 

Helikopter d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj 

 

Arabesques, tours attitudes, vrilles et cambrés engagent un profond travail du dos et un jeu constant avec le centre de gravité, qui rappelle parfois les subtilités directionnelles de la danse de Merce Cunningham. Parfois têtards qui ricochent sur un plateau devenu mare, ou encore hélices qui s’ouvrent et se ferment au rythme des pales d’hélicoptère, les interprètes explorent toutes les configurations possibles, du solo au groupe en passant par les duos, trios et quatuors, décalant parfois les attentes liées au sexe des interprètes. Énergique, leur danse l’est constamment, qu’elle se projette au sol ou dans l’espace – en témoignent les genouillères portées par plusieurs. Cependant, loin de se muer en gestuelle robotique, elle conserve une part très sensible et humaine, qui se déploie dans le solo final, dans le silence, comme un atterrissage après une longue nuit de tempête.

L’idée d’avoir remplacé l’entracte par l’extrait d’un entretien filmé en 2007 par Olivier Assayas entre Angelin Preljocaj et Karlheinz Stockhausen, juste avant le décès de ce dernier, donne tout son sens à la composition de la soirée. Empreinte de respect, d’admiration et d’humour, la conversation des deux artistes éclaire finement leurs processus de création. Chez tous deux, l’écriture est centrale, et Karlheinz Stockhausen va jusqu’à lui donner une fonction spirituelle, la composition demeurant selon lui ce qui survit à la mort, par-delà l’individualité. Dialoguant autour de ses incroyables partitions, strates de tempi et couches de son, Angelin Preljocaj et Karlheinz Stockhausen donnent à l’art une dimension philosophique, celle de rendre en un tout organique la polyphonie et la polyrythmie de la nature.

 

Licht d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj 

 

Sur l’écran, l’image s’estompe alors que commence Licht, création qui se veut un hommage à Karlheinz Stockhausen. Dans la musique techno et électro de Laurent Garnier, Angelin Preljocaj voit en effet un héritage de la musique concrète du compositeur. Son titre même, qui signifie « Lumière » en allemand, renvoie aux sept opéras composés par Karlheinz Stockhausen, un pour chaque jour de la semaine. Comme dans Helikopter, la musique fait entrer dans une forme de transe. Mais celle de Laurent Garnier confère à cette soirée une plus grande douceur, celle du regard que le chorégraphe porte sur une nouvelle génération dans laquelle il voit des raisons d’espérer malgré l’obscurité du monde.

Licht est ainsi une pièce ambitieuse, qui superpose les strates temporelles, jusque dans les costumes des interprètes. Les survêtements contemporains se muent ainsi en jeans qui pourraient évoquer les années 1980, tout comme le morceau Everybody’s Got to Learn Sometime des Korgis samplé par Laurent Garnier résonne lui-même avec une culture hippie. S’y donnent aussi à voir les échos à de nombreuses pièces d’Angelin Preljocaj, des Nuits à Eldorado, sa dernière collaboration avec Karlheinz Stockhausen.

 

Licht d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj 

 

Les douze interprètes, d’abord silhouettes arquées en contre-jour, forment un groupe dans un début très pop où les survêtements colorés soulignent la singularité de chacun et chacune. Au fil de tableaux explorant de riches imaginaires, les danseurs et danseuses se dénudent progressivement, alternant des mouvements de groupe arachnéens qui ne sont pas sans rappeler Crystal Pite et des duos saisissants irrigués de lumière, où les figures déploient un athlétisme d’une rare fluidité et sensualité. À nouveau, la chorégraphie se joue des attendus hétéronormés. L’image la plus frappante reste peut-être celle d’un entremêlement de corps d’où émerge chaque interprète, comme un fil aérien et suspendu.

Le dernier tableau donne à nouveau à entendre la voix de Karlheinz Stockhausen, alors que derrière des hublots les interprètes se muent en créatures extra-terrestres, ou peut-être angéliques. Avec une profondeur où le rire reste toujours présent, le compositeur évoque le paradis, état de conscience totale auquel il aspire après la mort. Uniquement revêtus de parures dorées qui pourraient évoquer les costumes de dentelle d’Eldorado, les danseurs et danseuses évoluent avec lyrisme, procurant à ce dernier tableau une douceur et une sensibilité qui rappelle qu’aussi abstraite et formelle soit l’écriture d’Angelin Preljocaj, elle est au fond la recherche des relations qui nous unissent.

 

Licht d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj 

 

Helikopter (2001) d’Angelin Preljocaj, musique de Karlheinz Stockhausen ; Licht (création 2025) d’Angelin Preljocaj, musique de Laurent Garnier. Avec les artistes du Ballet Preljocaj : Liam Bourbon Simeonov, Clara Freschel, Mar Gomez Ballester, Paul-David Gonto, Lucas Hessel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Beatrice La Fata, Yu-Hua Lin, Florine Pegat-Toquet, Valen Rivat-Fournier et Leonardo Santini. Lundi 14 avril 2025 au Théâtre de la Ville à Paris. À voir jusqu’au 3 mai, puis du 13 au 17 mai au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence, en tournée jusqu’au 31 juillet.

 
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