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Minuit et demi ou le Coeur mystérieux et Nocturnes de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

C’est le théâtre Victoria Eugenia de San Sebastián en Espagne qui a accueilli la nouvelle – et dernière pour sa troupe – création de Thierry Malandain Minuit et demi ou le Cœur Mystérieux sur la musique de Camille Saint-Saëns. Couplé à la reprise de Nocturnes sur les pièces pour piano de Frédéric Chopin, le chorégraphe sonde l’amour, la sensualité, l’attraction physique dans tous ses états au cours d’une soirée qui exsude une musicalité exceptionnelle, transfigurée par l’une des toutes premières compagnies françaises.

 

Nocturnes de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

 

Biarritz et San Sebatián ne sont séparés que par une frontière, une poignée de kilomètres et partagent des racines basques communes. Il y avait ainsi comme une évidence pour ces deux villes à conjuguer leurs désirs de culture et singulièrement de danse. Voilà maintenant 14 ans que le Teatro Victoria Eugenia et le Malandain Ballet Biarritz coopèrent via une convention d’objectifs qui a été renouvelée pour trois ans à la faveur de cette soirée de ballets. Thierry Malandain est un créateur prolixe, jamais pris en défaut d’inspiration et proposant presque chaque année une pièce d’un niveau remarquable. Le temps n’a en rien altéré la puissance de sa chorégraphie. Et cette dernière création, Minuit et demi ou le Coeur mystérieux, démontre une fois de plus l’excellence de son travail singulier dans le paysage français.

Il est en l’un des très rares chorégraphes qui imagine son œuvre en utilisant le vocabulaire académique, le triturant pour en faire un langage moderne et universel. Le public le suit. Les tutelles qui se sont succédé depuis 40 ans auraient bien tordu le coup à une esthétique jugée désuète au profit de profils contemporains qui pullulent et parfois se bousculent sans qu’on ait même le temps de les appréhender. Quelle erreur ! L’univers stylistique que compose Thierry Malandain depuis 1998, comprenant 85 créations, est un trésor qu’il faut absolument préserver. On se saurait imaginer que celle ou celui qui lui succédera à la tête du Centre Chorégraphique National de Biarritz ne réservât une place de choix à son répertoire. Et on espère que Thierry Malandain acceptera que ses pièces soient interprétées par la compagnie quand il devra la quitter. Tout le monde a en tête, alors que l’échéance se rapproche et qu’un nom devrait surgir cet été, du désastre du Ballet de Marseille lorsque Roland Petit du céder la place et emporta avec lui tout son répertoire. La compagnie marseillaise a mis des années à s’en remettre et a dû finalement abandonner son savoir-faire classique au bénéfice d’une toute autre aventure, celle de (LA) HORDE. Il y a trop peu de compagnies qui en France défendent l’art de la danse académique pour pouvoir se priver du talent de Thierry Malandain.

 

Nocturnes de Thierry Malandain – Mickaêl Conte

 

Cette soirée en fut une nouvelle démonstration. Nocturnes, qui ouvre le diptyque, avait été créée dans ce même théâtre de San Sebastián en 2014. Cette pièce pour 22 danseurs et danseuses nous dit que Thierry Malandain ne manque pas de culot ! Il en faut pour oser mettre sur scène un piano de concert et faire interpréter en direct des Nocturnes de Frédéric Chopin. Comment ne pas penser immédiatement à Jerome Robbins qui avait pour Chopin une admiration sans bornes et sur la musique duquel il bâtit plusieurs ballets ? Thierry Malandain ne s’est pas laissé encombré par ces références. Il semble en fait les assumer sans complexe.

Pour y parvenir, il a comme atout maître le pianiste Thomas Valverde qui donne une interprétation magistrale des Nocturnes avec ce qu’il faut de rubato et un romantisme contenu. Et quelle osmose avec la compagnie ! Les Nocturnes de Chopin sont en mode mineur, celui de la mélancolie. Il n’y a donc rien de joyeux dans la danse qu’imagine Thierry Malandain mais une exploration inquiète des états amoureux et sensuels déclinés dans une multitude de combinaisons : en duo, trio, quartet, sans souci du sexe des artistes, en solo parfois puisque la solitude est aussi un paramètre de l’amour. Ce qui claque d’emblée, c’est l’infinie musicalité de Thierry Malandain. Elle est portée au sommet dans une pièce où le piano est maître et impose la cadence. Ouvrant le bal, les danseuses et danseurs défilent de cour à jardin et s’éclipsent, ne laissant sur scène qu’un duo masculin, premier moment époustouflant de sensualité. Thierry Malandain fuit un homo érotisme trop facile au profit d’une danse qui traduit en mouvement la musique de Chopin avec un éventail de détails et de nuances. Le chorégraphe y utilise de manière récurrente la chute, telle une figure de style qui évoquerait la rupture ou les ruptures qui scandent un parcours amoureux. Il y a là une beauté immédiate tant le mouvement impulsé par le chorégraphe épouse la musique et la transcende. Jorge Gallardo a cousu des costumes dont la sobriété et les tons écrus habillent les danseuses et les danseurs avec élégance mais simplicité, laissant toute sa place à la danse et la musique.

 

Minuit et demi ou le Cœur mystérieux de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

 

Le scénographe et costumier chilien, collaborateur fidèle de Thierry Malandain, change de registre pour Minuit et demi ou le Cœur mystérieux, la nouvelle création du chorégraphe. Place à de grands manteaux noirs para-gothiques sur de longues chasubles rouges. C’est de dos que les 22 danseuses et danseurs se présentent à nous. L’atmosphère musicale est aussi radicalement différente. Camille Saint-Saëns succède à Chopin avec des mélodies extraites du célébrissime Carnaval des animaux et de chants avec orchestre moins connus et tout à fait surprenants. Il n’est pas facile de chorégraphier sur une musique chantée : c’est un aléa supplémentaire mais cela fonctionne parfaitement avec un ballet qui semble être le pendant de Nocturnes. On retrouve une structure semblable avec la succession de mélodies qui installent à chaque chant un moment singulier, une imagerie particulière. Moins par le sens des paroles que l’on ne comprend pas toujours que par le phrasé qu’elles imposent.

La chorégraphie suit les mêmes lignes directrices en égrenant petits groupes, duos ou ensembles qui ont en commun d’imprimer une force colossale. Thierry Malandain est un maître qui a su transmettre à une compagnie qu’il a façonnée une musicalité parfaite, clef de voûte de toute danse. Il invente une multitude de gestes pour dessiner la musique et nous la donner à entendre. Le ballet se conclut avec un bref solo d’Hugo Layer, danseur majuscule récompensé l’an dernier par le prix du Syndicat de la Critique. Son charisme brûle les planches. Il est rejoint par toute la troupe pour le final. Le rideau tombe et on reste quelques instants suspendus, interdits, nimbés par ce formidable voyage musical dansé, bousculés par les émois du cœur que Thierry Malandain a fait surgir.

 

Minuit et demi ou le Coeur mystérieux de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

 

Nocturnes de Thierry Malandain, musique de Chopin, par le Malandain Ballet Biarritz et Thomas Valverde (piano) ; Minuit et demi ou le Coeur mystérieux de Thierry Malandain par le Malandain Ballet Biarritz. Vendredi 16 mai 2025 au Teatro Victorai Eugenian San Sebastián. À voir du 6 au 8 août à la Gare du Midi de Biarritz, en tournée la saison prochaine. 

 
 
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