Marie Didier, directrice du Festival de Marseille : « Le festival a toujours été aux avant-postes sur la question du handicap »
La 30e édition du Festival de Marseille débute le 12 juin et se tiendra jusqu’au 6 juillet. Pour cette édition anniversaire, 36 propositions artistiques dont cinq créations, huit premières en France, trois re-créations et une création in situ sont à découvrir dans dix-huit lieux de la cité phocéenne. La programmation fait la part belle à des artistes investis dans la représentation du handicap et dans le changement de regard sur les interprètes handicapés. Point d’orgue : le 29 juin avec une journée dédiée autour de la thématique : « Comment le handicap transforme l’art, le monde de l’art et les représentations ? » Et cette année encore, l’accueil des personnes en situation de handicap sera une priorité avec 2.000 places à 1 euro, via une billetterie solidaire, 23 spectacles accessibles aux personnes sourdes et malentendantes et 9 aux déficientes visuelles. DALP fait le point avec Marie Didier, directrice du festival, très engagée sur cette question. Comme elle l’écrit dans son édito : « La culture est un outil pour se connaître et connaître les autres, au-delà des différences sociales, de genre, d’âge, de couleur de peau, d’apparence, de langage, de système de pensée et de vision du monde. »

Marie Didier, directrice du Festival de Marseille
Depuis de nombreuses années, le Festival de Marseille se situe à la pointe de la représentation du handicap dans le spectacle vivant. Mais cette année, vous franchissez un cap supplémentaire. Quel a été le déclencheur de cette envie de renverser le regard sur le handicap ?
Il est vrai que pour cette 30e édition, un accent particulier est mis dans la programmation et dans l’approche qu’on a de cette question du handicap. Mais c’est un sujet sur lequel le festival a été aux avant-postes. Le déclencheur, c’est sans doute la venue de la Candoco Dance Company en 2015. C’est une compagnie qui tourne peu en France. Je pense que sa présence a marqué les esprits. En parallèle, des rencontres avec des communautés de danseurs et danseuses locaux à travers des ateliers de danse inclusive ont contribué à nourrir la réflexion. Et c’est aussi à partir de ce travail d’ateliers dans différentes institutions et établissements de santé de la ville qu’est née la compagnie, L’autre maison. Son chorégraphe Andrew Graham est un ancien danseur de Candoco. Il existe un héritage dans le festival qui n’a cessé de grandir.
C’est aussi le fruit de l’engagement de toute une équipe ?
L’équipe du Festival est assez stable depuis des années, notamment dans les questions de relations avec les publics. Cette stabilité a aussi permis que le projet grandisse. Au début, la question était de s’adresser à des publics très divers dont les publics en situation de handicap. L’accent a très vite été mis sur toutes les questions d’accessibilité.

Over and Over (and over again) – Candoco Dance Company
Il y a plusieurs leviers : rendre accessible le spectacle vivant, mettre au plateau des artistes en situation de handicap mais aussi être un lieu de réflexion comme vous le proposez dans cette journée du 29 juin intitulée « Comment le handicap transforme l’art, le monde de l’art et les représentations ». Vous aviez envie d’aller plus loin ?
Le festival a été à l’avant-garde en invitant des compagnies dites inclusives. Puis il a été moteur sur les questions d’accessibilité. Nous nous sommes demandés comment agrandir l’espace pour développer une pensée. En 2024, nous avons perçu le besoin de parler de la question du regard. Comment aborder une œuvre qui a été créée ou interprétée par des artistes en situation de handicap ? Qu’est ce que ça change dans le jugement, dans la perception du public, de la sphère professionnelle, de la sphère médiatique ? Nous avons vraiment eu besoin d’affronter ces questions importantes qui traversent tout le spectacle vivant. Comme le festival a aussi une dimension internationale, l’idée est de susciter la rencontre avec des esthétiques qui ne sont pas dominantes ici en France ou en Europe portées par des artistes qui viennent d’autres cultures.
Quel est le programme de cette journée ?
Elle mêle des rencontres, des performances. Là où l’on déplace le curseur par rapport à l’année dernière, c’est que l’on cherche à comprendre ce qu’est le validisme. On constate un glissement de la question du handicap comme phénomène politique, espace de revendications et de croisements de différentes formes de discriminations. Donc cette année, finalement, nous avons voulu introduire une conférence très interactive avec beaucoup d’échanges avec le public, avec des mises en situation pour repérer et essayer de penser un peu contre nous-mêmes. Il y a tout un cheminement à accomplir et tant de choses à déconstruire dans lesquelles nous sommes immergés depuis tant d’années. Cet événement ne sera ni descendant ni moralisateur. Les artistes et personnes invitées proposent des formes vers lesquelles nous ne serions peut-être pas allés spontanément. Plus performatives, plus liées à des expériences et des récits personnels, elles déplacent aussi le festival en terme de disciplines, nous qui sommes identifiés « danse ». Au travers de films, de conférences et de rencontres, d’ateliers de danse, de cartes blanches et de créations confiées à des artistes et collectifs directement concerné·es par le handicap comme No Anger, Annie Hanauer, Clément et Guillaume Papachristou, la Candoco Dance Company, nous cherchons à mieux penser les expériences situées à l’intersection de plusieurs oppressions. Et à interroger par exemple des questions encore tabous comme la vie affective des personnes en situation de handicap.

Starting with the Limbs de Annie Hanauer, présentée lors de la journée « Comment le handicap transforme l’art, le monde de l’art et les représentations ? »
Est-ce difficile en tant que directrice d’un festival de défendre ce type de propositions auprès des partenaires ?
Il y a une vraie communauté d’intérêts à creuser cette question du handicap. Une élue à la ville de Marseille est notamment un grand soutien, en encourageant ce type d’initiatives. Je constate une écoute, une dynamique et une reconnaissance du travail que nous accomplissons. Nous sommes identifiés auprès des personnes en situation de handicap et c’est très gratifiant de les voir dans les salles. Quand six à huit personnes malentendantes assistent à une représentation avec un gilet vibrant, que des personnes non voyantes sont accompagnées par des souffleurs d’images ou qu’elles accèdent au spectacle grâce à un dispositif d’audiodescription, ça dessine une autre physionomie du public. C’est cela l’inclusivité d’un festival. Au Théâtre de la Criée il y a une dizaine de places pour les fauteuils roulants, il se trouve qu’on les remplit tous.
Avez-vous initié des échanges avec d’autres programmateurs autour de cette question du handicap ?
Nous avons commencé à rejoindre des réseaux de l’Europe du Nord et anglo-saxons, notamment en Grande-Bretagne où depuis les JO de Londres de 2012, il y a beaucoup de moyens et d’objectifs sur la place des artistes en situation de handicap. Il existe des festivals, des compagnies. La dynamique y est plus forte. En France, le contexte de production et de diffusion n’est pas très favorable à ces prises de risque. Mais il faut continuer à essayer de faire bouger le secteur de la culture sur ces questions.
Le Festival de Marseille du 12 juin au 6 juillet. Journée « Comment le handicap transforme l’art, le monde de l’art et les représentations le 29 juin au Théâtre de la Criée.
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