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Festival Wings of time Jiří Kylián – Day before Tomorrow – Ballet national de Norvège

Le Ballet national de Norvège consacre en cette fin de saison un riche festival autour de Jiří Kylián, Wings of time. Parmi les spectacles proposés, Day before Tomorrow revient sur trois pièces des années 1990 et 2000 du chorégraphe. Portées par des scénographies imposantes, elles montrent toute une facette différente de son travail. Wings of Wax célèbre la recherche perpétuelle et vaine des danseurs et danseuses d’échapper à la pesanteur. Gods and Dogs confrontent nos âmes animales et poétiques dans une beauté envoûtante. Et Bella Figura célèbre la mise à nu des artistes. Trois pièces magistrales et toujours aussi puissantes, interprétées avec conviction par la compagnie norvégienne.

 

Bella Figura de Jiří Kylián – Ballet national de Norvège

 

Entre Jiří Kylián et le Ballet national de Norvège, c’est une histoire qui dure. Voilà bientôt 40 ans que la compagnie danse des œuvres du chorégraphe, l’un des plus passionnants de notre époque, avec plus d’une vingtaine de pièces à son répertoire. Et c’est par un ballet de Jiří Kylián que l’institution avait inauguré en 2008 son magnifique nouveau bâtiment, tel un vaisseau sortant du fjord d’Oslo. Pour marquer ce long et fructueux compagnonnage, la directrice de la troupe Ingrid Lorentzen a proposé pour cette fin de saison un très riche festival autour de Jiří Kylián. Pendant plus de deux semaines, place ainsi à deux séries de spectacles regroupant sept pièces majeures du chorégraphe sur trente ans de créations, ses récentes installations, plusieurs temps de rencontres, des performances prenant place dans tous les coins de ce magnifique opéra, des projections… Un moment formidable et passionnant, intitulé Wings of time, pour découvrir un peu mieux l’œuvre de ce chorégraphe emblématique du XXe siècle, né à Prague au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et devenu l’un des plus grands créateurs européens en prenant la tête du Nederland Dans Theater en 1975.

Le programme Day before Tomorrow regroupe trois œuvres relativement récentes de Jiří Kylián, créées entre 1995 et 2008 pour le NDT et entrées au répertoire du Ballet national de Norvège dans le courant des années 2000. Toutes ont en commun une imposante scénographie, autour de laquelle gravite la danse. À l’image de l’immense arbre dénudé et à l’envers qui occupe tout l’espace de Wings of Wax. Il semble comme flotter dans les airs, échapper à la pesanteur… Comme essayent de le faire chaque jour danseurs et danseuses, dans une quête qui ne pourra jamais aboutir et qui en devient presque spirituelle. Sur les musiques de Philip Glass ou Bach, quatre couples se succèdent ainsi dans diverses formations, chacun et chacune se lançant dans cette recherche ultime de liberté, puissante même si vouée à l’échec, avant de repartir dans l’ombre. La danse se fait volontairement déliée, assumant une virtuosité académique et une certaine délicatesse, qui presque déstabilise dans l’univers de Jiří Kylián, dans lesquelles les artistes du Ballet national de Norvège se sentent à l’aise. Même si les interprètes ont parfois du mal à prendre vraiment leur place face à cet arbre hypnotique, fascinant, dont on ne peut détacher le regard. Melissa Hough et Douwe Dekkers apportent un supplément d’âme, de tensions intimes pour pleinement exister au centre de cette scénographie puissante.

 

Wings of Wax de Jiří Kylián – Ballet national de Norvège

 

Gods and Dogs revient à une gestuelle plus acérée, plus ancrée dans le sol. Dans un univers sombre et dépouillé, où seule une petite bougie – mais vaillante – est allumée à l’avant-scène, huit danseurs et danseuses déploient toute la grammaire kylianesque – ces portés en grand pliés secondes, ces arabesques penchés – entre animalité et profond lyrisme. Chacun et chacune livrent ses ambivalences profondes et intimes, portés par une chorégraphie à la fois profondément complexe et instinctive. En fond de scène, un immense chien se dévoile, comme courant vers les artistes. Peut-être est-ce la part animale de l’oeuvre. Alors qu’elle serait celle des Dieux ? Peut-être le long rideau de scène mouvant, prenant petit à petit tout l’espace en fond de scène. Composé de fines lanières métalliques, il ne cesse de changer de couleur et d’aspect, comme une longue vague ne devant jamais s’arrêter. Et devenant presque un neuvième danseur, quand les huit artistes, en quatre duos, semblent lui répondre par leur danse. Le long dernier solo masculin, devant ce décor mouvant et si étrange, reste d’une émotion profonde, gardant aussi une part de mystère.

 

Gods and Dogs de Jiří Kylián – Ballet national de Norvège

 

Pour terminer, la compagnie propose une reprise magistrale de Bella Figura. Pièce créée en 1995, elle est aujourd’hui au répertoire de nombreuses troupes et ses longues jupes rouges font maintenant partie de l’imaginaire collectif de la danse. « Bella Figura », comme « Faire bonne figure » : ce que font les artistes en scène, et spécialement les danseurs et danseuses qui ne doivent pas montrer la difficulté. Sur de si belles partitions baroques, les neuf interprètes du soir, sur la riche et précise chorégraphie du maître, semblent être perpétuellement dans ces dernières secondes : ces moments fugaces avant d’entrer en scène, ce moment où l’on rentre dans un état de concentration second, où l’on enfile le masque d’artiste. Paradoxalement, en mettant leur masque, chaque danseur et danseuses semblent se dévoiler au plus profond de leur âme. Chaque duo, chaque solo semble ainsi représenter cette dernière seconde, avant de faire le grand saut dans le vide de la scène. Chaque geste traduit une profonde intimité, celle de se mettre à nu émotionnellement face au public. Et c’est d’une absolue beauté. S’il ne devait rester qu’une seule pièce de Jiří Kylián, peut-être serait-ce Bella Figura.

Avant ou après le spectacle, le public était invité à découvrir les différentes installations du chorégraphe. C’est aujourd’hui plutôt par ce vecteur qu’il s’exprime, plus que par la création de nouvelles pièces chorégraphiques. Jiří Kylián met en scène chaque installation comme les scénographies de ces ballets, choisissant la lumière, la mise en espace, la musique même. Free Fall est ainsi un hommage à sa compagne, la danseuse et comédienne Sabine Kupferberg, dans une pièce sombre où le regard doit s’habituer à l’obscurité après la lumière aveuglante des quais d’Oslo devant l’Opéra. Un ensemble de photos construit l’œuvre, montrant tous les états émotionnels par lesquels peut passer cette artiste. Dans la salle suivante, sur la musique si connue d’Arvo Pärt, Ensō déploie un long cercle qui ne se termine pas : l’allégorie de l’artiste dont l’œuvre n’est jamais achevée.

 

Ensō de Jiří Kylián

 

Festival Jiří Kylián Wings of time par le Ballet National de Norvège – Soirée Day before Tomorrow

Wings of Wax de Jiří Kylián, musique de Heinrich von Biber, Philip Glass et Jean-Sébastien Bach, avec Melissa Hough, Douwe Dekkers, Taeryeong Kim, Dingkai Bai, Grete Sofie Borud Nybakken, Giuseppe Ventura, Hana Nonaka Aillon et Mathias Tannæs ; Gods and Dogs de Jiří Kylián, musique de Dirk Haubrich et Ludwig van Beethoven, avec Johanne Wien Pedersen, Pol Monsech, Anaïs Touret, Simon Regourd, Freya Nurzagaliyev-Thomas, Martin Dauchez, Whitney Jensen et Jonathan Olofsson ; Bella Figura de Jiří Kylián, musique de Lukas Foss, Alessandro Marcello, Giovanni Battista Pergolese et Giuseppe Torelli, avec Nora Augustinius, Whitney Jensen, Erik Murzagaliyev, Youngseo Ko, Simon Regourd, Isabel Vila, Alex Cuadros Joglar, Astrid Lyngstad et Marco Pagetti. Lundi 2 juin 2025 à l’Opéra d’Oslo.

 
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