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Rocío Molina – Carnación

Artiste co-produite par le Théâtre de Chaillot, c’est hors-les-murs à la Grande Halle de la Villette que Rocío Molina a fait vibrer Carnación, titre du spectacle créé en 2022 à la Biennale de Séville. Après une exceptionnelle Trilogie pour guitares, la danseuse revient à une forme plus habituelle en puisant dans ses émotions et ses fantasmes pour construire son propos. Appuyée par un chœur et le chanteur Niño de Elche, Rocío Molina dégage la même incandescence sur scène, bien que son récit s’étiole et se perde parfois alors que la bailora semble fuir sa virtuosité pour explorer d’autres territoires.

 

Carnación de Rocio Molina

 

Rocío Molina n’est jamais là où on l’attend. On l’a vue vivre sa grossesse sur scène d’Avignon à la salle Jean Vilar du Théâtre de Chaillot dans un spectacle qui n’avait rien d’exhibitionniste mais qui plongeait dans le tréfonds de son art. L’enfant amené à devenir le centre de son existence allait-il tarir son désir de danser ? Une interrogation qui souligne l’extrême sincérité de Rocío Molina. Avec Carnación, elle nous emmène cette fois dans le théâtre de ses désirs, « le mien en particulier et de sa stigmatisation. Le désir est ici compris comme le manque de l’autre ; il comprend le désir sexuel mais le dépasse largement », explique la danseuse en préambule. Le questionnement met l’eau à la bouche et l’entrée en scène de Rocío Molina dégage une onde de vibrations. Elle est de ces danseuses dont la présence s’impose instantanément et irradie une force incroyable et irrésistible. Perdue dans un jupon de tulles, elle apparaît du fond de la scène pour grimper sur une chaise, lui faire un sort et la prendre d’assaut. Tête renversée, jambes en l’air, ses jupes se déplient, son corps se tord à sa guise. Elle recommence encore et encore, provoquant un comique de répétition qui place Carnación dans le registre de la fantaisie et de l’humour.

Mais qui signifie Carnación ? Rocío Molina livre la clef du titre de son spectacle. « Au sens propre, Carnación renvoie à une technique picturale pour donner de la couleur à la chair dans la peinture. Sur un plan poétique, cela renvoie au fait d’animer la ‘viande’ comme si donner couleur à la chair, c’était lui donner une âme ». Il faut entendre couleur au sens figuré, davantage comme l’intention, le tempérament que Rocío Molina veut impulser. Et c’est du côté de l’enfermement et du corps contraint qu’elle explore ses propres désirs, s’aventurant dans de trop longues scènes de bondage empruntées à la technique japonaise du shibari.

 

Carnación de Rocío Molina

 

C’est tout d’abord son partenaire sur scène, Niño de Elche qui est l’objet de cet enroulement sophistiqué de liens, désir de domination et du contrôle de l’autre. Mais Rocío Molina retourne contre elle-même ses propres fantasmes et décline plusieurs facettes de ce thème de l’empêchement et du corps enfermé. Elle se niche dans une jupe en osier qu’elle renverse et avec laquelle elle tente d’avancer. Puis elle se lie de manière savante et c’est dans cette posture incommode, enroulée, repliée qu’elle tente et réussit à arpenter la scène.

On reste fasciné par cette imagination en mouvement perpétuel. Mais quelque chose manque qui organiserait le récit, le rendrait plus lisible. Rocío Molina semble se méfier de sa virtuosité et il y a dans Carnación comme un refus revendiqué de se refuser au public, de ne pas lui offrir ce qu’il attend. Pour la première fois, la danseuse s’éloigne presque totalement du flamenco. Il faudra se contenter d’un bref et percutant solo dansé sur des sons de violons électriques. C’est trop peu pour une partie du public qui déserte la salle ou profite d’’un fondu au noir dans le spectacle pour huer fort impoliment. Comme si sa réputation l’avait précédée et que certains étaient venus voir une bête de scène flamenca.

Rocío Molina est tout sauf ça ! Son art n’est jamais démonstration virtuose mais une plongée dans les vicissitudes de l’âme. Le flamenco qu’elle a fait imploser pour en livrer une version punk n’est qu’un vecteur parmi d’autres dans sa quête artistique. Elle est aujourd’hui l’une des artistes les plus passionnantes, dépassant très largement le seul milieu du flamenco. Elle offre de la plus belle des manières ses interrogations, ses doutes. Cela peut être maladroit mais tout artiste a le droit de se perdre quelquefois. Quelles que soient ses insuffisances, Carnación n’ennuie jamais. Il ouvre au contraire l’appétit pour le prochain spectacle de Rocío Molina à découvrir cet automne au Théâtre de Nîmes dont elle est artiste associée.

 

Rocío Molina et NIno de Elche  – Carnación

 

Carnacíon de Rocío Molina, avec Rocío Molina, Niño de Elche (chant et direction musicale), le Jeune Choeur de Paris. Mercredi 4 juin 2025 à la Grande Halle de la Villette. Prochain spectacle de Rocío Molina : Calentamiento au Théâtre de Nîmes les 26 et 27 novembre 2025 et au Festival de Danse de Cannes- Côte d’azur le 30 novembre 2025. 

 
 
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