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[Festival de Marseille 2025] Chroniques de Peeping Tom

Premier des blockbusters à l’affiche du Festival de Marseille, le collectif belge Peeping Tom a inauguré au Théâtre de la Criée sa nouvelle création Chroniques après une avant-première à Nice. La chorégraphe argentine Gabriela Carrizo, qui fonda la compagnie, a renouvelé ses interprètes pour cette nouvelle pièce. Le spectacle s’inscrit dans le droit fil de l’esthétique de Peeping Tom : une scénographie luxuriante signée Amber Vandenhoeck qui stimule en permanence l’imagination, une plongée dans un univers onirique qui cultive constamment l’étrangeté, un humour de tous les instants pour une danse athlétique quasi-acrobatique. Chroniques se regarde comme on lit un livre de nouvelles telles des saynètes fantasques où le réel se heurte à la mythologie.

 

Chroniques de Peeping Tom

 

En 25 ans d’existence, Peeping Tom, sous la houlette de ses fondateurs Gabriela Carrizo et le danseur et chorégraphe français Franck Chartier, s’est imposé sur la scène internationale avec une série de spectacles de danse théâtre devenus instantanément cultes, tels que la trilogie Vader-Moeder-Kinderen ou encore 32 rue Vandenbranden, une pièce entrée au répertoire du Ballet de Lyon. Aucun de ses spectacles ne se ressemble mais tous ont en commun un univers singulier où le fantasque, le burlesque, le surréalisme croisent une danse percutante, ultra physique qui frôle l’extrême. Chroniques, la nouvelle création de la troupe dont la première a eu lieu au Festival de Marseille, n’échappe pas à la règle. Il y a bien une trame narrative mais cette histoire est éclatée. Car Chroniquesse décline en séquences dans une scénographie en triangle, bordé par un rideau de fond de scène qui, selon l’éclairage, apparaît comme une peinture abstraite ou bien se transforme en une forêt profonde loin de toute humanité. Ils sont cinq à habiter cet espace improbable composé de menhirs déglingués, où un drôle d’alchimiste cultive ses potions dans des flacons d’où émanent des fumées aux couleurs étranges. Une fois le décor posé, que le voyage commence ! Il va nous mener dans des territoires aux confins du réel, dans un monde fantasmatique où les cinq compères vont se frotter, s’affronter, se combattre violemment.

Cette compagnie évolue en perpétuel mouvement. Ornés de chapeaux en métal à la mode des conquistadors – à moins qu’il s’agisse de galures chinois ! – ils instillent une inquiétude et comme une méfiance mutuelle. Mais ils s’apprivoisent par moments, ce qui donne lieu à une partie de football improvisée où l’on shoote sur demi-pointes. On ne cesse aussi de se heurter aux curieux objets éparpillés sur la scène provoquant un mouvement où le rebond impulse le geste et la force. La danse est physique, acrobatique, parfois à la limite d’un contorsionnisme qui n’abdiquerait jamais l’élégance.

 

Chroniques de Peeping Tom

 

On chercherait en vain ce qui relie les cinq interprètes tous masculins dans un monde pré ou post apocalypse. Il y a comme un portrait de survivants échoués dans le déroulement de Chroniques. Les univers se catapultent au rythme des changements de costumes, de la chasuble aux connotations religieuses au costume deux pièces. Toutes les scènes n’ont pas la même force mais certaines sont des réussites implacables : ainsi le détournement du mythe de Prométhée qui s’enroule et paraît écrasé sous son rocher animé par de curieux complices. Une séquence chaplinesque dont Chroniques est truffé. On verra ainsi débarquer un genre de cosmonaute venu du siècle dernier. Les objets inutiles, sortes de machines de fer à la Jean Tinguely, mues par un mouvement perpétuel prennent vie. Dans Chroniques, les objets inanimés ont une âme ! D’autres moments fantastiques nous cueillent au fil du spectacle. On s‘y perd parfois dans ce monde plongé presque constamment dans la pénombre. Mais Gabriela Carrizo sait nous rattraper au vol avec une séquence que l’on croirait inspirée par La Guerre des Étoiles, quand l’un des protagonistes peut utiliser son bras tendu pour heurter et faire choir ses potentiels ennemis, prétexte à un ballet impeccablement réglé où les corps chutent, se vrillent et rebondissent indéfiniment. Il y a là davantage d’humour et de distance que de violence réelle. Chroniques est un livre des métamorphoses. Certaines nous parlent davantage que d’autres mais chacun y trouvera son compte.

Le spectacle débute au Festival de Marseille un long périple dont on pressent qu’il sera triomphal. À juste titre : avec Peeping Tom est née une nouvelle forme de danse théâtre qui manquait singulièrement d’artistes au long cours depuis la disparition de Pina Bausch. Gabriela Carrizo défend une tout autre esthétique mais elle s’inscrit dans cette veine d’une danse exigeante qui ne raconte pas d’histoires mais nourrit nos imaginaires et peuple nos rêves.

 

Chroniques de Peeping Tom

 

Chroniques de Gabriela Carrizo en co-réalisation avec Raphaëlle Latini, par la compagnie Peeping Tom. Avec Simon Bus, Seungwoo Park, Charlie Skuy, Boston Gallagher et Balder Hansen – scénographie: Amber Vandenhoeck. Vendredi 20 juin 2025 au Théâtre de la Criée, dans le cadre du Festival de Marseille. À voir en tournée : du 14 au 16 novembre à l’Antipolis théâtre d’Antibes, du 20 au 21 novembre au Théâtre des Salins de Martigues, du 27 au 29 novembre au Théâtre Liberté de Toulon, du 5 au 6 décembre au Carré de Sainte-Maxime, du 12 au 19 décembre au Théâtre Royal Flamand de Bruxelles, du 4 au 6 mars 2026 au théâtre Le Vilar de Louvain-la-Neuve en Belgique, à la Grande Halle de la Villette Paris du 2 au 8 avril et en tournée européenne.

Le Festival de Marseille continue jusqu’au 6 juillet : Michel Kelemenis du 21 au 23 juin, Mehdi Kerkouche du 25 au 27 juillet, Christos Papadopoulos les 27 et 28 juin, la journée Comment le handicap transforme l’art, le monde de l’art et les représentations ? le 29 juin… 

 

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