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[Montpellier Danse 2025] Thikra Night of Remembering d’Akram Khan et Manal AlDowoyan / “…” de Camille Boitel et Sève Bernard

Montpellier Danse 2025, c’est parti ! La 45e édition de ce temps fort de la danse contemporaine a démarré avec deux créations très différentes, symboles aussi de l’éclectisme que cultive ce festival en pleine transition. D’un côté Thikra Night of Remembering d’Akram Khan et Manal AlDowoyan autour des rituels féminins, riche de magnifiques moments portés quatorze puissantes danseuses comme de quelques facilités. De l’autre, « … » de Camille Boitel et Sève Bernard autour de la chute et de la déconstruction, aux idées qui fusent comme à la ligne directrice qui se cherche parfois. Deux spectacles, qui malgré leurs certains déséquilibres, marquent la scène par leurs choix artistiques engagés et leurs fulgurances.

 

Thikra Night of Remembering d’Akram Khan et Manal AlDowoyan

 

Des rites féminins mêlant danse indienne et danse contemporaine par l’un des plus importants chorégraphes de la scène mondiale d’un côté. Un bric-à-brac circassien éloge de la chute et de l’absurde par un duo d’artistes français de l’autre. Jean-Paul Montanari avait plutôt imaginé la dernière création de la Batsheva pour l’ouverture de son ultime Montpellier Danse. L’actualité internationale en aura décidé autrement, mais le directeur emblématique du festival, décédé il y a quelques mois, n’aurait cependant pas renié cette première soirée, entre Akram Khan et Camille Boitel & Sève Bernard. Elle fut à l’image de ce qu’est devenue en 45 ans Montpellier Danse : un festival éclectique qui n’a pas peur de la diversité des formes et des écritures, exigeant, attirant les têtes d’affiche internationales comme portant la création Hexagonale. Quel beau coup de feu pour lancer Montpellier Danse, festival en pleine transition mais donnant toujours le ton de la saison estivale.

Pour sa création Thikra Night of Remembering, Akram Khan s’est inspiré d’un lieu archéologique unique, celui d’Al-‘Ula en Arabie Saoudite. Le chorégraphe britannique, qui crée depuis plus de 20 ans des pièces magiques mêlant danse contemporaine et danse traditionnelle indienne, s’est tourné vers les légendes loingtaines (« Thikra » signifie “Souvenir”). Et surtout ce que lui inspirent les rituels féminins ancestraux. Quatorze artistes sont ainsi sur scène, toutes de magnifiques, virtuoses et puissantes interprètes de danse indienne. Dans le groupe aux robes uniformes grises, on distingue des personnages, qui sortent du lot par leur attitude comme la couleur de leur robe : la jeune femme symbole de juvénilité tout en blanc, la prêtresse en violet profond, la femme âgée synonyme d’expérience. Je venais pour ma part de terminer l’ultime épisode de The Handmaid’s Tale. Une série si riche en rituels féminins, ancrés de force dans les corps pour espérer être perçus comme ancestraux. Mais aussi de moments de sororité devant l’adversité touchant toutes les femmes. Il y avait un peu de ça en scène. Ensemble, les quatorze interprètes jouent ce qui semble être un rite ancestral, mais qui marque encore la vie des femmes. Il y a d’abord la célébration de la jeunesse. Puis la violence de mettre son corps sous emprise, de contraindre ses cheveux, son visage, de la faire entrer dans un moule qui ne lui convient pas. Vient ensuite la longue étape du deuil, avec la vie qui s’éteint petit à petit, le chœur des femmes tout autour pour un dernier soutien. La jeune fille en blanc reprend la suite. Pour un rituel de renaissance ? Plutôt celui de la résilience, de rester debout et fière, puissante malgré les épreuves qui ont cheminé la vie.

 

Thikra Night of Remembering d’Akram Khan et Manal AlDowoyan

 

Thikra Night of Remembering n’est pas exempte de défauts. La scénographie de Manal AlDowoyan a ainsi du mal à se trouver inventive – la grotte premier degré à la limite du carton-pâte est bien dispensable – tout comme à porter l’intention des artistes. La musique, peu marquante en soi, pousse souvent le volume au maximum. Elle a la volonté de nous envelopper dans ce monde à part, elle en devient surtout trop envahissante et presque gênante. Akram Khan marque aussi une fascination pour les cheveux de ses danseuses – ce fantasme sur les cheveux des femmes, que ce soit pour les cacher comme pour les sexualiser, que c’est masculin – qui n’est pas loin de gâcher la danse. Sa chorégraphie si expressive, mêlant la spiritualité de la gestuelle de la danse indienne à la puissance terrienne de la danse contemporaine, n’a pas besoin de ces effets de cheveux. Les quatorze danseuses en scène, au regard pénétrant, à la physicalité intense, n’en ont pas besoin non plus. Mais malgré ces facilités, Thikra Night of Remembering possède la densité d’un spectacle complet, mené avec art par un chorégraphe qui sait rendre vibrant tout ce qu’il propose.

Changement d’ambiance avec « … » de Camille Boitel et Sève Bernard, dans la cour en plein air de l’Agora. Les deux artistes de cirque veulent ici travailler sur la déconstruction. Et, plutôt que de manipuler des objets, se laisser manipuler par eux. « … », c’est l’art de la chute avec drôlerie, de la bizarrerie, d’un décor mouvant qui semble prendre vie aux multiples surprises. Tout l’enjeu est d’y répondre par un geste artistique, en s’amusant gentiment avec les conventions théâtrales. Le début de la pièce est savoureux. Un couple foutraque rentre chez lui, ne cesse de tomber (quel art de la chute chez ces deux artistes !), mettant en action tout leur petit monde. Puis le décor se dévoile : un immense bazar en scène, avec des ustensiles et échelle dans tous les sens. Du n’importe quoi ? Pas du tout ! Au contraire, voilà un magnifique jeu de dominos merveilleusement pensé. Camille Boitel se lance et c’est le grand jeu du battement d’ailes du papillon : chaque mouvement d’objet en entraîne un autre, ajusté par le circassien, qui subit le mouvement comme il semble parfois le créer.

 

« … » de Camille Boitel et Sève Bernard

 

Le spectacle semble ensuite se diluer un peu. La scène est dégagée, de grands pans noirs structurent l’espace, avec lesquels toute la bande (car ils sont bien plus que deux) s’amusent à se cacher. Il y a beaucoup d’idées, de suggestions, de points de départ et de surprises. Mais il reste la sensation d’assister à plein de saynètes mises bout à bout, toutes surprenantes, mais qui ont du mal à faire un tout, à former un spectacle cohérent. Il faut ce chœur mystérieux, surgissant du public et dont les notes s’envolent dans le ciel de la nuit estivale, pour me rattraper sur un final envoûtant. 

 

Thikra Night of Remembering d’Akram Khan et Manal AlDowoyan, musique d’Aditya Prakash, avec Pallavi Anand, Ching-Ying Chien, Kavya Ganesh, Nikita Goile, Samantha Hines, Jyotsna Jagannathan, Mythili Prakash, Azusa Seyama Prioville, Divya Ravi, Aishwarya Raut, Mei Fei Soo, Harshini Sukumaran, Shreema Upadhyaya, Kimberly Yap, Hsin-Hsuan Yu et Jin Young Won. Dimanche 22 juin à l’Opéra Comédie de Montpellier dans le cadre de Montpellier Danse. À voir du 2 au 18 octobre au Théâtre de la Ville à Paris et en tournée européenne.

« … » de Camille Boitel et Sève Bernard, avec Camille Boitel, Sève Bernard, Clémentine Jolivet (jeu et manipulations), Étienne Charles (jeu, régie lumière et plateau), Benoît Kleiber (jeu, portés et manipulations) et Kenzo Bernard (jeu, régie son et manipulations). Dimanche 22 juin 2025 à l’Agora Montpellier dans le cadre de Montpellier Danse. À voir du 2 au 16 octobre au Théâtre Garonne de Toulouse, les 14 et 15 novembre au Carré Magique de Lannion, au Trio-s d’Inzinzac-Lochrist les 27 et 28 novembre, du 7 au 9 décembre au Théâtre de Saint-Nazaire, les 18 et 19 décembre au Canal de Redon.

Montpellier Danse continue jusqu’au 5 juillet.

 
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