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Soirée Béjart/Nijinski/Robbins/Cherkaoui : un Faune fascinant, un Boléro décevant

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6 mai 2013

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Soirée Béjart/Nijinski/Robbins/Cherkaoui, par le Ballet de l'Opéra de Paris, au Palais Garnier. Trois ballets : L'Oiseau de Feu de Maurice Béjart, avec Mathias Heymann (l'Oiseau de Feu) et Allister Madin (L'Oiseau Phénix) ; L'Après-midi d'un Faune de Vaslav Nijinski, avec Nicolas Le Riche (le Faune) et Émilie Cozette (la Nymphe) ; Afternoon of a Faun de Jerome Robbins, avec Hervé Moreau (le Faune) et Eleonora Abbagnato (la Nymphe) ; Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, avec Aurélie Dupont, Marie-Agnès Gillot, Muriel Zusperreguy, Alice Renavand, Letizia Galloni, Jérémie Bélingard, Vincent Chaillet, Marc Moreau, Alexandre Gasse, Daniel Stokes et Adrien Couvez.

Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

En ces temps de centenaire du Sacre du Printemps, l'Opéra a programmé une soirée Revival Ballets Russes. Autour de L'Après-midi d'un Faune dans sa version originale gravitaient trois réinterprétations de ballets, plus ou moins réussies, plus ou moins vieillissantes. La force du temps a gagné ce soir, puisque c'est le premier cité qui a véritablement dominé la soirée, par son incroyable modernité dénuée de toute fioriture.

Mais événement oblige, commençons plutôt par Boléro, dans la très attendue version de Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet et Marina Abramović. Les répétitions et rencontres promettaient beaucoup : la notion de transe, le rapport à la musique, le centre vide et attirant, les 11 solistes en lieux et place du Dieu/de la Déesse dans la version de Béjart... Ahh, le Boléro de Béjart, difficile de passer après lui. Le duo de chorégraphes de ce soir semblent d'ailleurs lui rendre hommage, en démarrant leur pièce comme celle de leur prédécesseur, un spot blanc sur deux mains.

Puis la pièce enchaîne d'une fascinante façon. Aurélie Dupont rayonne au milieu, avec dix danseurs et danseuses gravitant autour, répétant la même phrase chorégraphie dans une sorte de longue litanie. Un grand miroir en fond de scène déforme les perspectives, le centre se perd, les ombres se multiplient, on rentre dans un autre monde... Et puis, et puis, et bien c'est à peu près tout. La chorégraphie est complexe, mais la façon de danser est sage, lisse. C'est beau visuellement, mais c'est un peu froid, alors que l'on est tout près à tourner avec eux. Ce Boléro comporte quelques moments puissants, comme le tout début, l'instant des rencontres - d'un coup, les personnages sur scène se rendent compte de l'existence de l'Autre -, et la toute fin, autour d'une grande silhouette noire. Et entre tout ça ? Des moments jolis, beaux à regarder, à analyser, mais pas vraiment prenants.

Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

Il manque à ce Boléro comme une force pour donner tout le sel à cette transe. On repense alors à James O'Hara, le danseur de Cherkaoui ayant participé aux répétitions. Il avait en lui, dans la façon de tourner son corps, de se jouer de l'apesenteur et du centre de gravité, quelque chose de proprement fascinant. Que n'avaient pas les artistes sur scène ce soir là. Cela met en fait en cause la fameuse phrase déclarant que les danseurs et danseuse de l'Opéra de Paris peuvent tout danser. Oui, mais de quelle façon ? Sidi Larbi Cherkaoui a fait du Sidi Larbi Cherkaoui, et d'une belle manière, mais sans forcément se servir de ce qui fait le propre des artistes de l'institution. Et ces derniers n'ont pas vraiment su s'approprier cette façon de danser, la transcender.

Esthétiquement parlant, les éclairages omniprésents étaient pour moi de trop. Il y avait Marina Abramović sur la feuille de distribution, il fallait donc que cela se voit. Et un grand miroir, pourtant une fabuleuse idée, n'était visiblement pas  suffisant. À moins que l'artiste n'ait pas fait suffisamment confiance à la danse, et a absolument voulu habiter la scène d'une autre façon. Le geste, pourtant, se suffit souvent à lui-même. À vrai dire, je n'ai rien contre une scénographie imposante, si elle a un sens. Mais dans ce Boléro, elle cherche uniquement à faire beau, à montrer qu'elle existe. Le mouvement, lui, est oublié, noyé dans  ces lumières qui, tout de même, faisaient un peu gadget et polluaient le tout.

L'intérêt de la soirée s'est donc trouvé dans L'Après-Midi d'un Faune, et surtout du plus vieux. Un peu muséal la version de Nijinski ? Oui et non. Elle est marquée dans son style, mais il suffit d'un grand interprète pour lui donner toute la vie qu'il lui faut. Nicolas Le Riche a été celui-là. À un an de la retraite, c'est bien lui qui domine la compagnie, par sa force, son talent d'interprète et sa science du geste. Son Faune est à la fois un homme d'une grande intelligence, qui sait comment attirer l'attention de la Nymphe, et un animal tout instinct dehors, ne comprenant pas la pudibonderie de ces demoiselles. Sa danse est d'une infinie précision et d'un total naturel. Et sans pourtant en faire des tonnes, il transforme ce ballet en 12 minutes über-sexuelles... Benji, si tu passes par ici, tu sais quelle doit être ta première décision une fois au pouvoir : donner un contrat de guest à Nicolas Le Riche.

Nicolas Le Riche dans L'Après-midi d'un Faune de Nijinski

Nicolas Le Riche dans L'Après-midi d'un Faune de Nijinski

La comparaison avec Afternoon of a Faun de Jerome Robbins, qui vient juste après, est des plus intéressantes. On s'amuse ainsi à retrouver certains gestes du Faune dans l'attitude très travaillée des deux protagonistes. Mais Hervé Moreau et Eleonora Abbagnato, aussi beaux soient-ils, ont peut-être pris leur rôle un peu trop au sérieux. La Nature est ici remplacée par une salle de danse, lui est un danseur à l'échauffement, elle une danseuse au grand plié ultra-moelleux. Ils se regardent dans la glace, qui est en fait la salle de spectacle, et se parlent à travers leur mutels reflets. Les deux artistes jouent très bien les danseurs égocentriques et glamour, mais il manque comme un second degré, un léger détachement qui donne tout le charme à cette si jolie relecture.

Eleonora Abbagnato et Hervé Moreau dans Afternoon of a Faun de Jerome Robbins

Eleonora Abbagnato et Hervé Moreau dans Afternoon of a Faun de Jerome Robbins

La soirée a enfin commencé par L'Oiseau de Feu de Maurice Béjart, qui a mieux vieilli que dans mon souvenir. Le corps de ballet est impliqué, dominé par Mathias Heymann toujours aussi fulgurant, même quand il part un peu à l'économie. Dommage que le danseur reste là encore dans le premier degré, son surjeu n'aide pas vraiment l'oeuvre à trouver sa dimension actuelle. Son coéquipier du soir, Allister Madin, dans le petit rôle du Phénix, était plus juste dans les intentions. Reste à lui de s'imposer comme soliste, et ne plus danser comme simple tête de file du corps de ballet, ce qui devrait se faire au fur et à mesure des représentations.

Soirée Cherkaoui/Nijinski/Robbins/Cherkaoui-Jalet, jusqu'au 3 juin au Palais Garnier

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Amélie Bertrand

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