TOP

Rencontre avec Eléonore Guérineau avant son engagement au Ballet de Zurich – “J’ai toujours besoin d’apprendre”

À 30 ans, Éléonore Guérineau fait le grand saut. Après plus de dix ans de carrière au Ballet de l’Opéra de Paris, où elle est Sujet depuis plusieurs années, la danseuse a décidé de prendre une année sabbatique pour un poste de soliste au Ballet de Zurich. Éléonore Guérineau nous explique son choix, sa nouvelle vie qui arrive et comment le public peut l’aider dans cette aventure.

NB : Suite à la récente crise à la direction du Ballet de l’Opéra de Paris, certains sujets n’ont volontairement pas été abordés. 

Éléonore Guérineau

Quand nous nous sommes rencontrées en juillet 2017, vous disiez que vous vouliez aller jusqu’où est votre place. Votre place, aujourd’hui, est plutôt à l’étranger ?

Mon grade de Sujet à l’Opéra ne me pose pas de problème, même si bien sûr l’on espère toutes monter Première danseuse un jour. Mais aujourd’hui, j’ai moins d’opportunité pour danser des rôles, des choses auxquelles j’aspire.

 

Les résultats au dernier Concours de promotion, où personne dans votre classe n’a été classé, ont-ils joué sur votre décision ?

Les résultats du Concours ont été très durs à encaisser. Le Concours de promotion, c’est un mois de travail et de fatigue supplémentaire, fatigue aussi bien de répétition que de logistique : chercher une salle, se lever tôt pour avoir un studio, travailler entre deux répétitions, le soir jusqu’à 21h, même pendant le spectacle pour certaines à l’entracte. C’est très lourd. Ne voir personne classé a été difficile pour moi. Mais l’idée de profiter de mon année sabbatique et de partir un an date de septembre. J’ai en fait reçu le contrat du Ballet de Zurich la veille du Concours, même si j’avais demandé d’attendre les résultats pour donner ma réponse définitive.

 

Passer Première danseuse vous aurait-il fait changer d’avis sur votre décision de partir à Zurich ?

J’aurais bien sûr remis en question ma décision, mais je ne sais pas si cela m’aurait fait changer d’avis. Cela aurait en fait dépendu de ce que l’on m’aurait proposé de danser l’année prochaine, comme un grand rôle ou une aventure de création. Mais c’est aussi une très belle opportunité d’aller voir ailleurs, de voir comment ça se passe, de s’épanouir autre part et d’une manière différente. J’avais vraiment le sentiment d’avoir besoin de plus pour continuer à évoluer.

 

L’idée de partir est venue quand ?

Cette idée n’est en fait pas récente. J’avais déjà eu une proposition en 2009, alors que j’étais Coryphée. Mais cela ne faisait que quatre ans que j’étais dans le ballet, j’avais envie de me donner la chance de réussir dans cette maison, je n’avais pas encore fait mes preuves, je voulais défendre ma place. J’allais aussi me marier. Et puis j’avais aussi envie de changer un peu les codes. Je ne fais pas 1,70 m, je suis assez musculeuse. Mais je voulais montrer que, même sans être le parfait stéréotype de la ballerine de l’Opéra de Paris, on pouvait tout de même y arriver. Je ne regrette absolument pas ma décision de rester d’ailleurs, j’ai fait des rencontres incroyables.

Éléonore Guérineau

Votre taille, vous êtes la plus petite de la compagnie, a été un empêchement pour avancer ?

Nous pouvons nous exprimer avec notre personnalité, mais il faut avoir un certain standard physique. Ma taille a toujours été un frein, dès l’École de Danse. J’ai compris que, pour réussir, il fallait que ma danse et ma technique soient irréprochables. Je voulais ouvrir la voie à des gens comme moi, montrer que ce n’est pas parce que l’on ne rentre pas complètement dans le moule que l’on n’a pas sa place à l’Opéra.

 

Vous avez eu des rôles cependant : Giselle, Lise…

Oui, avec Benjamin Millepied. C’est seulement sous sa direction que je n’ai pas senti que ma taille était vue comme un problème. Pour lui, peu importe que l’on soit grande ou petite, blanche ou noire, le principal est de voir de la belle danse. Il a été très décomplexant.

 

Quand l’idée de partir est-elle revenue ?

Quand j’ai compris que je souhaitais interpréter plus de rôles de soliste, il y a 18 mois. L’idée de partir a ensuite mûri petit à petit. Au début, c’était non : j’ai ma famille à Paris, je ne vais pas bouger tout le monde, ce n’est pas possible. Mais c’était un si gros dilemme, la décision était difficile à prendre. En septembre 2017, l’idée avait fait son cheminement, les opportunités de grands rôles étaient peu présentes. Quand on a goûté aux rôles de solistes, c’est difficile de ne plus en faire. J’ai envie de m’épanouir artistiquement et émotionnellement. J’ai encore 13 ans de carrière à l’Opéra, je ne voulais pas rater une opportunité de voir autre chose et risquer de tomber dans une forme de routine, mettre mon ambition de côté. J’ai toujours besoin de me nourrir artistiquement, d’apprendre, de ne pas stagner, de découvrir, de continuer à avancer. Et puis je suis encore dans ces années où je peux danser les rôles classiques. Passé 35 ans, pour certaines compagnies étrangères, c’est déjà un début de retraite alors que l’on a un potentiel qui reste encore à exploiter. C’était maintenant ou jamais si je voulais partir.

J’ai toujours besoin de me nourrir artistiquement, d’apprendre, de découvrir, de continuer à avancer.

Comment s’est fait le déclic ?

Il fallait que je prenne une décision pour faire les démarches. Ce n’est pas évident. Mon compagnon m’a soutenue, m’a dit que l’on ferait en sorte que tout se passe bien pour nous et notre fille de 4 ans. Il voyait que j’étais en plein dilemme. J’ai alors pris conseil, auprès de gens de la Maison, de l’extérieur, de ceux qui étaient partis. Tous m’ont poussé dans mon choix de continuer à m’épanouir.

 

Et une fois la décision prise, comment se fait le choix de la compagnie ?

C’est une vraie réflexion ! Ok, je pars. Mais pour aller où ? Avec quelle direction artistique ? Avec quel répertoire ? Dans quel pays ? J’ai déjà fait un choix personnel en choisissant l’Europe, les États-Unis étant trop loin si j’étais séparée de ma famille. En Europe, je pensais au Ballet de Dresde où il y a plusieurs Français.se.s, à l’ENB ou au Royal Ballet mais les places y sont chères.

 

Qui vous a aidé dans ce choix ?

À ce stade de la réflexion, je me suis tournée vers une personne qui m’a donné beaucoup d’opportunités et qui m’a toujours fait confiance : William Forsythe. Je l’ai vu lors du vernissage de son exposition à Paris et il m’a sorti tout de suite : le Boston Ballet. Bon… C’est une très bonne compagnie, mais c’est loin ! (rire). Il me conforte en tout cas dans mon choix de partir, que cette année sabbatique sera une superbe opportunité. Le temps passe. Puis William Forsythe me recontacte pour me dire qu’un poste de soliste se libère au Ballet de Zurich. Il me demande si cela m’intéresse et de lui envoyer des vidéos, qu’il transmettra.

Éléonore Guérineau et Vincent Chaillet – Of Any if and de William Forsythe

Comment s’est fait le contact avec le Ballet de Zurich ?

Christian Spuck, le directeur du Ballet de Zurich, a vu mes vidéos. Je lui avais envoyé un peu de tout, du classique au contemporain, en sachant que sa compagnie a un répertoire varié. Il était très intéressé pour me rencontrer. Nous avons discuté le jour de la générale de Play d’Alexander Ekman, qu’il venait voir avec son assistant. Christian Spuck m’a d’abord expliqué comment fonctionnait sa compagnie dans les grandes lignes et sa vision de la danse. Il a terminé par un : “Pourquoi Zurich ?“. J’ai alors expliqué que je ne voulais pas avoir de regrets en voyant les années passer, que c’était le moment ou jamais de prendre cette opportunité qu’est l’année sabbatique. Que j’aimais le fait que Zurich soit une petite compagnie, car ce qui me tient à coeur, c’est de bien travailler les rôles avec un vrai suivi, de ne pas être prise par le temps, ce qui est souvent difficile dans les grosses troupes. Que ce qui m’importait, c’était d’apprendre, d’avoir le temps de faire les choses en profondeur comme lorsque j’avais travaillé Giselle avec Monique Loudières, d’appréhender un personnage à ma manière, avec ma personnalité et mon physique. Que je voulais aller à la rencontre de chorégraphes qui me donneront la chance de m’épanouir, de découvrir encore plus qui je suis en tant que personne et ce que je peux donner en scène. Christian Spuck et son assistant se sont regardés en souriant : “Mais c’est génial, c’est exactement comme ça que l’on fonctionne !“. Et malgré le stress d’un entretien d’embauche en anglais, nous avons partagé un bon moment. Il me dit qu’il est convaincu que l’on pourrait faire de belles choses ensemble et que c’était du donnant-donnant : j’apporte quelque chose à la troupe et la troupe m’apporte quelque chose. En discutant, nous avions réalisé que nous voulions la même chose, je comprenais pourquoi William Forsythe m’avait parlé de cette compagnie. C’est en tout cas un endroit où j’ai envie de m’épanouir.

 

Et comment les choses se sont-elles enchaînées ?

Christian Spuck me dit que c’était OK pour lui, mais qu’il fallait que je vienne prendre un cours rapidement à Zurich pour que les maîtres et maîtresses de ballet me voient. Sauf qu’à ce moment-là, j’étais blessée, je m’étais retourné le gros orteil. J’allais reprendre la danse mi-décembre, mais ça allait être de la rééducation très progressive pendant un mois. Il fallait donc bien compter deux mois pour être en pleine forme, ce qui nous amenait à la période du Concours de promotion. J’aurais donc voulu prendre le cours avec la troupe début mars, mais c’était trop juste pour eux : ils ne voulaient pas autant faire patienter des danseuses qui pouvaient avoir le poste en interne. Je me suis donc décidée à y aller fin-février, quelques jours avant le Concours que je comptais passer. Cette échéance m’a encore plus motivée pour revenir à mon meilleur.

 

Comment s’est passé votre accueil au Ballet de Zurich ?

J’ai été accueillie par la soliste Elena Vostrotina. Elle était extrêmement accueillante et bienveillante. Je suis arrivée en avance pour maîtriser mon stress, je n’avais en fait jamais passé d’audition ailleurs. Et il y avait une très bonne ambiance. J’ai d’ailleurs retrouvé un camarade de l’École de Danse à la barre, j’ai pu discuter avec lui de l’ambiance, des méthodes de travail, de la saison en règle générale, de la journée travail, cela m’a peut-être permis de me sentir plus à l’aise pendant le cours. Les danseurs et danseuses étaient en tout cas curieux, aussi de comprendre pourquoi j’étais prête à partir de l’Opéra, une compagnie qui fait rêver beaucoup d’artistes.

 

Comment s’est passé le cours ? Il est très différent de ce que vous avez l’habitude de faire ?

Oui, c’est très différent. À l’Opéra, le cours dure 1h30 avec une barre souvent dansée et des exercices au milieu très carrés, avec un temps de pointes. À Zurich, le cours dure de ¾ d’heure à une heure. La barre est très carrée, tout le monde met les pointes dès le début. Le cours est vraiment fait pour s’échauffer et préparer aux répétitions, là où se fait le vrai travail. J’ai trouvé ça intéressant : c’est bien de pouvoir progresser, mais j’aime aussi l’idée de préparer au mieux ce qui vient après le cours. Notre professeure était très attentive aux danseurs et danseuses, allait voir chacun.e pour demander comment ça allait, comment ils se sentaient et veillait à proposer des exercices adaptés en fonction. Les maîtres de ballet sont venus voir le cours, que la professeure a fait durer un peu plus longtemps pour qu’ils puissent me voir dans tous types d’exercices.

 

Et après le cours, vous avez pu suivre la compagnie ?

J’ai pu assister au filage d’Anna Karénine de Christian Spuck, la compagnie allait partir à l’étranger le danser. J’ai vu de très beaux interprètes, sans retenue. Je me suis dit que c’est ce que je voulais : pouvoir m’exprimer. À l’Opéra, nous nous connaissons depuis tellement longtemps que c’est parfois difficile de s’exprimer pleinement sans se sentir jugé. À Zurich, je savais que je serai comme une page blanche pour les gens que j’aurais en face de moi. Je pourrais y écrire qui je veux être vraiment, et comment je veux l’être, sans avoir à mettre un masque pour me protéger. C’est une chance qui n’est pas donnée à tout le monde. À Zurich, je pense que le masque sera plus facile à faire tomber. C’est ça qui va être passionnant et j’ai hâte de commencer. J’ai ensuite eu un entretien avec Christian Spuck, qui m’a confirmé que c’était bon pour lui et son équipe. Il m’a dit qu’il m’enverrait mon contrat quand la compagnie rentrerait de tournée. C’est comme ça que je l’ai reçu la veille du Concours de promotion.

La Fille mal gardée – Éléonore Guérineau

Et c’est là que les choses concrètes démarrent ?

Je suis évidemment très contente en recevant le contrat, les choses deviennent concrètes. Mais je comprends que, pragmatiquement, cela va être difficile. Le salaire est élevé, mais la vie à Zurich est élevée aussi. Mon mari a de grosses responsabilités professionnelles, je ne pouvais pas lui demander de partir. Et son salaire plus le mien ne suffiraient pas pour entretenir deux foyers, lui à Paris avec notre fille et moi en Suisse. Refuser était inenvisageable, ça aurait été un crève-coeur. Il fallait donc trouver du mécénat.

 

Qu’est-ce qu’il a fallu régler en premier ?

Le logement. Les loyers à Zurich sont deux à trois fois plus cher qu’à Paris. Habiter dans une chambre de 12 mètres carrés ne me fait pas peur. Mais quand ma famille vient en Suisse, je dois pouvoir l’accueillir, même si c’est en mode camping. J’ai donc cherché du mécénat, une sorte de sponsoring en échange de visibilité, sur les réseaux sociaux par exemple. Ce système est très courant aux États-Unis, moins en Suisse, pas du tout en France. J’ai rencontré des gens du monde de la danse, de l’entreprise, de l’entreprenariat. Tout a finalement été bouclé et j’ai pu trouver quelque chose. Je suis maintenant plus à la recherche d’échange artistique que matériel, de beaux projets peuvent être réalisés.

 

Et comment le public peut-il vous aider ?

J’ai mis en place une cagnotte en ligne pour financer les trajets de ma famille à Zurich, une fois par mois et pendant les vacances scolaires toutes les six semaines. Je pourrais ainsi garder un contact régulier avec elle. Je compte aussi des imprévus, si ma fille est malade et que je doive rentrer rapidement. Nous avons recueilli 70 % de la somme. L’argent ira à des choses très concrètes comme l’achat de billets d’avion. J’ai eu des dons très impressionnants, surtout des messages qui m’ont énormément touchée. J’ai eu de très belles histoires. Cela donne envie de créer quelque chose pour la suite, de monter un système de mécénat pour aider d’autres danseurs et danseuses dans ce genre de projet. Surtout que nous, artistes, avons de la visibilité à proposer.

 

Vous faites le choix de partir loin de votre famille. En tant que parent, comment ce choix se fait-il ?

Douloureusement, et je travaille encore dessus (sourire). Ma fille de 4 ans a compris. On ne veut pas que cela soit plus difficile que ça ne l’est déjà. C’est un choix qu’il faut que j’assume. Je veux montrer à ma fille que, quand on a la chance d’avoir une belle opportunité et de vivre de sa passion, il faut le faire à fond. Je veux lui montrer que sa maman est partie pour se réaliser. Et que si elle, elle a des rêves, elle pourra aussi se donner les moyens de les réaliser, que nous l’accompagnerons. C’est un choix difficile et que je le fais en toute connaissance de cause, même si ça ne sera pas évident au quotidien. Je veux montrer l’exemple à ma fille. Peut-être que cette porte était ouverte pour moi depuis longtemps mais que je ne m’autorisais pas à l’ouvrir. Maintenant, il faut aller au bout, assumer et le vivre pleinement pour montrer l’exemple que l’on peut réussir. Il ne faut pas que je culpabilise, il faut que j’avance.

 

Comment va être votre vie à Zurich ?

Ce sera une vie complètement différente, mais toujours dédiée à la danse. Je vais rencontrer de nouvelles personnes venant d’horizons différents, le Ballet de Zurich est une troupe cosmopolite. Et moi, je pourrais apporter mon style français. On se rend compte que nous l’avons seulement en partant de l’Opéra ! Mais oui, il y a une manière différente de bouger, d’amener les pas, une gestuelle particulière qui est difficilement descriptible. Cela va être d’autant plus passionnant d’avoir ces rencontres, de vivre les rôles, l’apprentissage de la langue aussi. On parle allemand à Zurich, mais anglais dans la compagnie. Tout cela va être une véritable aventure. Du point de vue familial, il faudra apprendre à gérer une organisation différente. Souvent, on ne prend pas le temps de profiter des choses, nous avons des vies bien remplies. Maintenant, il faudra profiter de chaque petit instant. Et ce sera aussi une véritable expérience pour notre vie familiale. Nous allons fêter nos 8 ans de mariage, c’est une façon de vivre un nouveau départ. On ne recommence pas une nouvelle vie, mais nous démarrons une nouvelle manière d’appréhender les choses, et ça ne fait pas de mal.

 

Que sera votre grade dans la compagnie ?

Le grade de soliste, ce qui peut être l’équivalent de Première danseuse. À Zurich, le grade de Principal est plus quelque chose liée à l’ancienneté, mais j’aurais les mêmes types de rôle. Il y a une quarantaine d’artistes dans la troupe, il y a en fait assez peu de monde dans chaque grade.

Je veux montrer l’exemple à ma fille. Lui montrer que sa maman est partie pour se réaliser. Et que si elle, elle a des rêves, elle pourra aussi se donner les moyens de les réaliser, que nous l’accompagnerons. 

Quel est le répertoire du Ballet de Zurich ?

Ils ont plusieurs cordes à leur arc. La troupe a un répertoire contemporain, avec des pièces de William Forsythe ou Jiří Kylián. Le directeur Christian Spuck chorégraphie beaucoup, ses propres ballets comme Anna Karénine, des pièces dramatiques néo-classiques ou de nouvelles versions de Roméo et Juliette ou Casse-Noisette. La compagnie danse aussi Giselle de Patrice Bart, qui est donné la saison prochaine, ou Le Lac des cygnes d’Alexeï Ratmansky.

 

Quel ballet vous fait particulièrement envie ?

J’ai beaucoup aimé Anna Karénine de Christian Spuck. Il y a tout ce que je veux aborder dans le travail d’interprétation : amener des histoires, des personnages, pouvoir transmettre l’émotion, ce que j’ai eu la chance de faire avec Giselle. J’aimerais beaucoup reprendre ce rôle d’ailleurs, aborder Roméo et Juliette aussi. Pour la danse contemporaine, j’ai envie d’être dans la rencontre. Surtout que, la troupe étant petite, cela se travaille toujours en petit groupe, le lien n’en est que plus fort.

 

Quels sont justement les avantages d’une compagnie qui a un petit effectif ?

Christian Spuck a été chorégraphe résident à Stuttgart et a travaillé avec de nombreuses compagnies puis nommé à Zurich en 2012. Le Ballet de Zurich lui permet d’avoir une petite troupe, pour avoir le temps de bien travailler, de faire les choses, de les approfondir, ce qui n’est pas forcément évident dans une grosse structure. Comme beaucoup de petites troupes, ils font moins de spectacle. Alors chaque représentation doit être unique. Le Ballet de Zurich a sept ou huit séries par saison, 8 à 10 représentations à chaque fois, parfois moins. Ils ont une cinquantaine de dates par saison. Chaque spectacle doit donc être au mieux, très fort, tout doit être là tout de suite. On ne peut pas se dire que l’on fera mieux le lendemain. Si une série ne compte que cinq dates, il faut que les cinq soient extraordinaires. C’est aussi ce qui fidélise le public, ce pour quoi il vient voir la troupe. C’est tout ce travail qui m’a donné l’envie de dire oui.

Giselle – Éléonore Guérineau et Arthus Raveau

Comment se déroule une saison au Ballet de Zurich ?

La saison démarre fin août et se termine à mi-juillet. Ils font de petites séries qu’ils peuvent donner plusieurs fois dans la saison. La troupe peut ainsi danser un ballet en novembre et le reprendre en mai. Ils sont ainsi en perpétuel travail. J’aime cette idée d’aborder un rôle et de le reprendre un peu plus tard, cela laisse le temps de mûrir les choses, de trouver d’autres pistes. Et l’on se maintient aussi dans une certaine diversité, sans être deux mois sur la même pièce. La compagnie part également en tournée : ils sont allés à Hong Kong cette saison, ils partent en Israël en juillet.

 

Quel est votre programme pour vos derniers mois à l’Opéra de Paris ?

J’ai profité de The Season’s Canon de Crystal Pite à fond ! Cette rencontre a été incroyablement marquante, elle a instauré un lien très fort entre nous. Nous partons à Novossibirsk en juillet avec ce ballet. Je serai aussi sur La Fille mal gardée. Et j’ai beaucoup d’organisation à terminer. J’essaye de faire des galas pour trouver des fonds, d’anticiper les besoins sur Paris pour aider mon mari, c’est un vrai changement pour lui aussi. D’habitude, il part tôt de la maison, il va devoir maintenant emmener notre fille à l’école. Il y a toujours des doutes et des inquiétudes, qui ne partiront pas tant que je ne serais pas là-bas.

 

Que va-t-il vous manquer de l’Opéra de Paris ?

Le Palais Garnier ! Le fait de venir ici chaque matin et de se dire : “Whaou, c’est ici que je danse“. Et bien sûr les ami.e.s, avec qui on partage beaucoup. Nous avons vécu tellement d’années ensemble, cela crée quelque chose d’unique. On ne m’enlèvera pas mes cinq ans à l’École de Danse et mes 13 ans de carrière ici. Ces personnes me manqueront énormément.

La première chose que je devrais faire à Zurich, c’est me réaliser et enlever cette carapace d’auto-protection.

Que vous a apporté l’Opéra qui peut vous donner de la force pour vivre cette expérience ?

Ma force de caractère, ça s’est sûr. C’est en même temps un avantage et un inconvénient. Ici, j’ai toujours été obligée de me battre pour obtenir les choses, de prouver, de démontrer que j’étais méritante, que j’avais ma place. Sauf sous la direction de Benjamin Millepied où, en ce qui me concerne, c’était devenu plus accessible. C’est aussi pour cela que, pendant cette période, j’ai été très épanouie. Je me suis sentie assez en sécurité pour me révéler d’avantage. Et la première chose que je devrais faire à Zurich, c’est me réaliser et enlever cette carapace d’auto-protection. Cette expérience ne sera pas toute rose non plus, l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. Mais ça sera important que le je fasse, et c’est ce qui me permettra d’évoluer. Car c’est aussi ce “masque”, cette carapace, qui m’empêche d’avancer. Cette protection peut parfois donner l’impression que je suis distante, que je suis juste une technicienne sans âme. Et quand on est mis dans une case, il est souvent difficile d’en sortir. Je pensais que Giselle avait montré que je pouvais proposer des choses. Ce n’était visiblement pas encore suffisant.

 

La saison prochaine, vous serez soliste : vous ne ferez plus de corps de ballet, uniquement des rôles de premier plan. Vous n’aurez plus à vous battre pour les obtenir. Quels sentiments cela procure-t-il ?

Je pense que je vais être déstabilisée au début (rire). En même temps, je serai déstabilisée sur tous les points. C’est une nouvelle vie, une nouvelle langue, de nouveaux amis… J’ai toujours eu peur du changement, même faire des choix est très difficile pour moi. Pourtant je suis celle qui fait cette démarche. Et rien que ça est déjà une manière de m’affirmer et de me faire confiance. Je ne sais pas où tout cela va me porter, mais en tout cas je n’aurais pas le regret de ne pas l’avoir fait. Je suis en fait trop dans la logistique aujourd’hui pour vraiment en profiter. L’euphorie est très vite retombée, a vite laissé place à la tristesse de quitter ma famille et mes ami.e.s et au stress de l’organisation. Quand le poids de l’administration sera passé, quand j’aurais terminé ma saison ici, je pourrais profiter. Je me devrais même de profiter, ne serait-ce que pour montrer à ma fille que tout va bien.

The Season’s canon de Crystal Pite – Éléonore Guérineau

Et pour la suite ? Vous projetez-vous déjà à la fin de la saison prochaine ?

C’est une question que je me suis posée. Mais il faut voir comment ça se passe, voir si cette expérience me nourrit suffisamment. Je peux prolonger ce congé d’un an. Cette réflexion se fera en temps voulu.

 

Enfin dernière question : quand connaîtrez-vous vos dates de spectacle pour que le public parisien vienne vous voir danser ?

Je ne sais pas ! (rires). Je ne sais pas encore comment cela fonctionne, j’en saurai plus en étant sur place. Mais dès que je connaîtrais mes dates, je les diffuserai sur les réseaux sociaux. Après mon annonce de départ, j’ai reçu un nombre incroyable de messages. Certains se disaient tristes de me voir partir, ça m’a beaucoup touchée. C’est comme si l’institution créait comme une sorte de rideau entre le public et nous, qui fait que le public n’ose pas nous aborder, et que cette annonce avait fait tomber ce rideau. Je suis quelqu’un de très abordable et je n’avais pas conscience de ça. Ça ne me dérange jamais que l’on vienne me parler après un spectacle. C’est pour le public que je danse.

 

Commentaires (4)

  • Eustochium

    Bienvenue chez-nous chère Éléonore !

    Répondre
  • BERNARD

    Bravo pour cette décision mais vous allez nous manquer à Paris
    On ne comprend pas le talent à l’Opéra!!!!!
    Ancienne de la maison tj passionnée de ce merveilleux métier

    Répondre
  • Elisabeth

    Merci pour ce superbe entretien.
    Eleonore, j’ai vraiment hâte de t’applaudir à Zurich !

    Répondre
  • Motet

    Quel beau parcours révélé par cet entretien je vous souhaite le meilleur dans votre nouvelle compagnie et je suis sure que votre petite fille sera fière de vous.

    Répondre

Poster une réponse Annuler la réponse