Les Vagues – Noé Soulier
Les Vagues, titre de la dernière pièce de Noé Soulier, a été créée l’été dernier au prestigieux festival berlinois Tanz im August. Le chorégraphe français est allé chercher dans le chef-d’œuvre éponyme de l’écrivaine britannique Virginia Woolf une source d’inspiration, mais surtout un matériau susceptible de nourrir et enrichir son interrogation sur le geste et ce qu’il peut dévoiler de chacune et chacun d’entre nous. Construites pour quatre danseuses, deux danseurs et deux percussionnistes, Les Vagues nous emmènent dans un récit de nos expériences corporelles articulé sur un dialogue attentif entre les musiciens et les interprètes.
Noé Soulier est une figure singulière parmi les jeunes chorégraphes français. A seulement 31 ans, il a déjà construit une œuvre originale fondée sur quelques interrogations essentielles : qu’est-ce que le geste ? Que dit-il de celle ou de celui qui l’exécute ? Quelles réactions provoque-t-il parmi le public ? Comment le geste fait-il appel à leur mémoire ? Ces questions, déjà présentes dans ses pièces précédentes, sont au cœur des Vagues qui est peut-être la pièce la plus aboutie de Noé Soulier. Il y a tout d’abord ce jeu de va-et-vient entre les musiciens Tom de Cock et Gerrit Nulens de l’Ensemble Ictus et les six danseur.se.s, comme un fil invisible qui semble les relier, comme un récit composé ensemble qui permet l’expression de la chorégraphie et produit une musicalité très charnelle.
C’est un peu le paradoxe Noé Soulier, chorégraphe cérébral, toujours en questionnements et en recherches de réponses qu’il va puiser dans la littérature, la philosophie ou les arts plastiques. Pourtant le résultat n’est jamais désincarné. La danse est belle et bien présente dans Les Vagues, interprétée à un rythme soutenu qui ne laisse ni les danseur.se.s, ni le public souffler. Dans son travail de création, Noé Soulier a fixé la chorégraphie en reliant des phrases créées en studio à partir d’indications : frapper, éviter, lancer et même imaginer qu’une partie du corps pouvait se détacher. C’est à partir de ces improvisations et des interactions entre tous les interprètes que s’est opérée la fabrication. Mais sur scène, rien ne se voit de ce processus si ce n’est une sensation de spontanéité : les sauts, les chutes, les arrêts brusques, tout cela semble s’écrire devant nous aux sons des percussions et des xylophones.
Du roman Les Vagues, œuvre complexe à narrateurs multiples de Virginia Woolf – que Noé Soulier a suggéré à ses interprètes de lire – trois extraits sont lus en anglais. Il n’y a là aucun maniérisme mais le besoin de conserver le rythme ternaire de la langue anglaise intraduisible en français. Le programme donne toutefois la traduction de cette langue drôle et poétique. Cette lecture est comme un temps de pause et de reconcentration. Car Les Vagues imposent des moments de danse puissants : des duos, des trios, des corps-à-corps, tout cela exprimé dans un vocabulaire où l’on repère des récurrences comme ces arabesques jambes cassées qui font le leitmotiv de la première séquence. Certes, la pièce n’est pas exempte de redites qui auraient pu être gommées. Mais Les Vagues complètent avec bonheur l’œuvre de Noé Soulier, passionnant “work in progress“.
Les Vagues de Noé Soulier au Théâtre de Chaillot. Avec Stéphanie Amurao, Lucas Bassereau, Meleat Fredriksson, Yumiko Funaya, Anna Massoni et Nans Pierson (danse), Tom de Cock et Gerrit Nulens (percussions, Ensemble Ictus). Mercredi 14 novembre 2018. À voir en tournée jusqu’au printemps 2019 en France et à l’étranger.