Cendrillon de Maguy Marin – Ballet de l’Opéra de Lyon
La question du répertoire contemporain revient régulièrement dans le monde de la danse. Les créations dans ce langage ont parfois une durée de vie courte avec une difficulté à s’inscrire dans le temps. Celles qui perdurent questionnent : faut-il, comme les ballets classiques, les remodeler selon les interprètes ? Les adapter ? Cendrillon de Maguy Marin en est un bon exemple. Créée en 1985, l’oeuvre est devenue une oeuvre phare du Ballet de l’Opéra de Lyon, l’une de ses pièces signatures qui ancre la troupe dans une sorte de tradition. Mais à revoir plus de 30 ans après sa création, la production interroge. Certains moments, comme universels, ont résisté au temps. D’autres moins. Mais cette production frappante – tous les artistes portent un masque comme des jouets vivants – reste une oeuvre forte, qui a marqué l’histoire de la danse, et interprétée d’une façon exceptionnelle par la compagnie lyonnaise.
Cendrillon de Maguy Marin pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, c’est un peu Giselle pour le Ballet de l’Opéra de Paris : une oeuvre sur laquelle on revient souvent, qui permet de voir le niveau de la troupe, qui offre aux solistes des rôles sur lesquels se frotter pendant toute une carrière, des opportunités pour les plus jeunes aussi. Et pour cette reprise de Cendrillon à l’automne, le verdict est unanime. Si la compagnie lyonnaise connaît des remous en coulisse – rappelons que son directeur Yourgos Loukos a été condamné à six mois de prison avec sursis pour discrimination et harcèlement envers une danseuse, et qu’il est toujours en poste – la troupe est en pleine forme sur scène, affichant des personnalités brillantes et un répertoire propre qu’elle a à cœur de défendre.
Créée en 1985, cette Cendrillon de Maguy Marin paraît étonnante lorsque l’on regarde les créations actuelles – radicales et engagées – de la chorégraphe. Place ici à un conte, certes pas toujours féerique, mais qui assume son côté spectacle et émerveillement. Condensée, cette Cendrillon crée des personnages transformés en poupées géantes, dans un monde enfantin (le Prince charmant cherche sa belle sur un cheval à bascule). Les danseurs et danseuses ont toutes le visage recouvert d’un masque en dur, qui empêche toute expression de transparaître. Pourtant, chacun des personnages en scène est vivant d’une façon troublante, ces interprètes leur donnant vie par une gestuelle nourrie où chaque mouvement a une intention forte. C’est par eux et elles que cette production s’inscrit pleinement dans la durée, trouvant vie tant que ses interprètes en insufflent à leur personnage de poupée.
Le parfum qui se dégage de cette Cendrillon est ainsi toujours aussi troublant : nous sommes dans un monde enfantin, mais les cauchemars ne sont jamais loin. Les deux sœurs sortiraient presque d’un film d’horreur avec le fantasme de la poupée qui prend vie. Cendrillon, dansée avec délicatesse par Aurélie Gaillard, fait la balance en apportant douceur et rêverie au premier acte. Le monde enfantin y est à ce moment-là en pointillés. Nous sommes comme dans une salle de jeux géante, mais fantasmée, onirique, entre deux mondes. Ce juste équilibre n’apparaît cependant plus dans la longue scène du bal. Ici, la musique s’arrête pour faire place à des babillages enfantins, tous les personnages jouent comme dans une cour de récréation. Et le second degré comme les différentes grilles de lecture disparaissent, pour ne laisser l’impression de n’être que devant un simple spectacle pour enfants, où l’adulte ne se retrouve plus vraiment.
Se pose alors la question du remaniement des grandes pièces contemporaines. Le ballet classique n’a cessé d’évoluer en ce sens, en fonction des chorégraphes, des interprètes, des productions. C’est comme cela aussi que les grandes œuvres de Marius Petipa ont traversé le temps. Qu’en est-il pour cette Cendrillon ? Si la dernière partie retrouve l’équilibre du début – et ainsi son propos universel – la question de son vieillissement arrive, car ses faiblesses apparaissent de plus en plus clairement. Faut-il alors repenser une partie du ballet ? Le faire évoluer ? Ou au contraire ne plus y toucher pour respecter l’oeuvre, même si ce procédé est finalement en contradiction avec l’histoire de la danse ? Cette Cendrillon frappe, d’autant plus que le Ballet de l’Opéra de Lyon la possède sous tous les angles. Mais il reste l’impression qu’à ne pas bouger, l’oeuvre glisse de plus en plus vers le “ballet pour enfants” (y compris dans sa communication) alors qu’il s’agit avant tout d’une pièce qui se veut universelle.
Cendrillon de Maguy Marin par le Ballet de l’Opéra de Lyon, à l’Opéra de Lyon. Avec Aurélie Gaillard (Cendrillon), Adrien Delépine (Prince), Marissa Parzei (Marâtre), Julia Carnicer et Jacqueline Bâby (les deux Soeurs), Raúl Serrano Núñez (le Père), Kristina Bentz, Elsa Monguillot de Mirman et Chiara Paperini (trois Ballerines) et Noëllie Conjeaud (la Fée). Jeudi 1er novembre 2018.
Jean Muller
Bonjour,
J’ai eu l’opportunité de découvrir cette mise en scène si particulière, un excellent moment.