Cendrillon de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris – Dorothée Gilbert et Hugo Marchand
“Poussiéreuse“, “Ringarde“, “Poussive“… Disons-le, la production de Rudolf Noureev de Cendrillon, que le Ballet de l’Opéra de Paris reprend pour les Fêtes, ne fait pas franchement l’unanimité. Le danseur/chorégraphe a voulu transposer le conte dans l’univers du Hollywood des années 1920. Cendrillon est transformée en star du grand écran par son producteur-bonne fée, tandis que le prince devient un acteur-vedette. Même King Kong ne manque pas à l’appel pour un clin d’oeil aux succès cinématographiques de l’époque. Mais ce n’est pas tant la production qui pêche que la chorégraphie indigente. Nous sommes dans un conte, un spectacle qui est là pour faire rêver, et cette évocation en pacotille du cinéma a son charme. Il n’y a par contre rien à danser, alors qu’il y a un nombre impressionnant d’artistes en scène. Rudolf Noureev semble s’être obstiné à proposer une chorégraphie la moins brillante et inspirée possible. Preuve de leur immense talent, Dorothée Gilbert et Hugo Marchand y brillent pourtant de mille feux dans les rôles principaux, tout comme François Alu qui dirige la scène au doigt et à l’oeil. Mais pourquoi s’obstiner à ne surtout pas toucher à un ballet qui, reprise après reprise, n’en finit plus de montrer ses faiblesses ?
L’histoire de la danse n’est faite que de transformations. Marius Petipa ne cessait de modifier ses ballets, aussi en fonction de ses interprètes. Si ses oeuvres ont traversé le temps, c’est aussi parce qu’elles n’ont cessé d’être pétries, ne laissant intactes que les chefs-d’oeuvre magistraux comme la descente des Ombres. Mais pour Rudolf Noureev à l’Opéra de Paris, gare à qui changerait une cinquième On prend une version (tiens, la générale filmée de la précédente reprise par exemple) et l’on est prié de tout danser de façon identique. Même si le ballet montre des faiblesses de plus en plus insistantes, même si tout le monde semble trouver le temps long. C’est Rudolf, on ne touche pas et c’est comme ça. Une façon de faire qui finit par agacer concernant sa Cendrillon. Parce que – mais oui j’assume – son idée de transposer le conte dans le Hollywood des 20′ a un certain charme. Il y a cette idée de rêve de petite fille, les paillettes (dont de magnifiques souliers), le Prince au brushing idéal, un peu d’humour, une pointe de burlesque, des claquettes parce que ça fait toujours plaisir. Il y a de quoi proposer un ballet qui se savoure comme une belle papillote de Noël. Un peu sucré, certes, mais parfois ça ne fait pas de mal.
Il y a même la superbe partition de Prokofiev qui raconte si facilement l’histoire. Mais chose curieuse, Rudolf Noureev semble avoir chorégraphié ce ballet sans l’avoir écoutée une seconde. Tout est non seulement tarabiscoté, mais répétitif et sans aucune imagination. Tout est fait pour être le moins brillant possible. Pas de grande variation (si ce n’est pour l’acteur-vedette), pas de belle coda (on est dans un conte de fées oui ou non ? On veut du champagne !), pas de pas de deux qui emporte. Pas de chouettes moments brillants pour amuser les demi-solistes (les Saisons atteignent des sommets de platitude, l’on avait pourtant droit à Marion Barbeau ou Fanny Gorse), pas d’ensemble de corps de ballet qui emmène le public dans sa valse. Il y a un monde fou en scène, mais personne ne semble avoir grand-chose à danser et chacun semble être là pour de la figuration. La platitude de la chorégraphie empêche par la même occasion aux moments plus burlesques d’exister pleinement, comme la scène des claquettes pour Cendrillon.
C’est toutefois tout à l’honneur des interprètes d’y arriver à y briller. Et à ce petit jeu, Dorothée Gilbert et Hugo Marchand sont dans une autre dimension. Pour elle, il n’y a pas le moindre doute dès la première seconde : malgré sa robe grise de Cendrillon, la future star, c’est elle. Elle est la plus gracieuse, la plus jolie, la plus brillante. Tout comme Hugo Marchand, qui incarne le jeune premier de rêve : c’est le plus beau, le plus grand, le plus fort. Un peu cliché ? Bien sûr. Mais comme dit plus haut, cela ne fait pas de mal, d’autant que les deux protagonistes gardent un peu de distance avec leur personnage. Leurs duos sont de petites merveilles de belle danse et de complicité, qui se savourent d’autant plus qu’ils n’ont plus eu le droit pendant un certain temps à danser ensemble. On est là pour en prendre plein les mirettes, ils sont tout simplement les meilleurs pour cela. En producteur-bonne fée, François Alu marque encore une fois par sa présence époustouflante en scène et son jeu d’acteur qui porte jusqu’au bout du second balcon. C’est lui qui dirige ce petit monde, autour de qui tourne le corps de ballet. Un producteur paternaliste envers sa jeune et jolie protégée, mais il l’est aussi avec son jeune premier, ce qui évite au personnage de virer antipathique. Dans le rôle de la marâtre, Aurélien Houette prend de plus en plus de plaisir à ces rôles de demi-caractère, prenant dignement la place de Stéphane Phavorin. Il a l’art du burlesque, du second degré et de l’humour, tout en proposant un je-ne-sais-quoi qui rend son personnage attendrissant. Malheureusement, les deux soeurs du soir sont passées à côté de ce second degré, trop sages et appliquées pour faire rire.
Malgré cette absence, la distribution dans son ensemble sauve les meubles de la pénible chorégraphie. Le flash des photographes crépitent comme il se doit lors de l’arrivée de Cendrillon, la chaussure à paillettes éblouit, King Kong montre ses muscles lors de la scène du bal transposée dans un plateau de cinéma. Tout le monde y croit double pour emmener malgré tout le public dans ce conte de fées délicieusement suranné. Un miracle qui montre cependant ses limites. Pourquoi se faire tant de mal alors qu’un bon dépoussiérage chorégraphique pourrait donner tout son allant à une production qui offre beaucoup d’opportunités – et à pas mal de monde – de briller ? On ne voit pas sans cela comment cette Cendrillon pourrait supporter une série de plus… Damned, c’est déjà ce que l’on se disait il y a sept ans lors de la dernière reprise. Trois directions se sont succédées depuis, et visiblement la réflexion n’est toujours pas amorcée.
Cendrillon de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Opéra Bastille. Avec Dorothée Gilbert (Cendrillon), Hugo Marchand (l’Acteur-vedette), Valentine Colasante et Émilie Cozette (les deux soeurs), Aurélien Houette (la Marâtre), François Alu (le Producteur), Daniel Stokes (le Professeur de danse), Charline Giezendanner (le Printemps), Marion Barbeau (l’Été), Silvia Saint-Martin (l’Automne), Fanny Gorse (l’Hiver), Nicolas Paul (le Directeur de scène), Francesco Mura (son Assistant) et Pierre Rétif (le P!re). Mercredi 5 décembre 2018. À voir jusqu’au 2 janvier.
Flechon
Je n’ai jamais aimé cette version.
Léa
Est-ce que les ayants droit de Noureev pourraient être un des éléments de “blocage” d’un dépoussiérage de la chorégraphie? A ce point-là, avec un avis partagé de manière aussi consensuelle, c’est quand même du gâchis.
Pascale M.
Pour ma part, je me garderai bien d’aller revoir cette “Cendrillon” qui m’avait terriblement ennuyée (quoique dansée par Sylvie Guillem, il faut le faire !). D’une façon plus générale, l’Opéra devrait peut-être arrêter de s’en tenir systématiquement aux versions de Noureev. La musicalité très particulière de ses chorégraphies (dont beaucoup de danseurs sont las) a un peu fait son temps et on aimerait enfin revoir à Paris la pétillante “Cendrillon” d’Ashton et découvrir celle de J. C. Maillot, ou bien s’émerveiller du classique “Casse-noisette” de Balanchine ou apprécier la nouvelle version de Belarbi.