Cinq femmes oubliées de l’histoire de la danse
Chorégraphes ou directrices, les femmes sont toujours sous-représentées en 2019 dans les institutions de la danse en France. Pourtant, dès le début de l’histoire de la danse, elles ont pris place en tant que créatrices. Mais elles ont souvent été oubliées par l’histoire. Ou l’histoire n’a retenu qu’une partie de leur travail. Gros plan sur cinq femmes qui ont beaucoup compté dans l’évolution de la danse et qui n’ont pas forcément la place qu’elles méritent dans les livres d’histoire.
Mademoiselle de La Fontaine – 1655-1738
De Mademoiselle de La Fontaine, on ne connaît aujourd’hui presque rien. Pourtant, elle fut la première danseuse professionnelle de l’Académie royale de musique à Paris en 1681. Un véritable exploit car à l’époque, les femmes n’ont pas le droit de se produire sur scène et la danse est réservée aux hommes de l’aristocratie. “Les femmes dansent au bal, mais elles ne dansent pas sur une scène. C’est un tabou que l’on retrouve dans les théâtres un peu partout dans le monde“, rappelle Sylvie Jacq-Mioche, historienne de la danse. Sous Louis XIV, la danse est une affaire d’hommes et considérée comme un art qui prépare à la guerre. Mademoiselle de La Fontaine est la première femme à s’y faire une place, devenant soliste Soliste et obtenant le privilège de composer ses entrées. L’une de ses élèves s’imposera également “pour avoir les mêmes droit que les hommes d’un point de vue du mouvement“.
Marie Sallé – 1707-1756
Marie Sallé reste surtout connue dans l’histoire de la danse pour avoir raccourci et allégé les tenues des danseuses de son époque. L’idée coquine de montrer ses chevilles ? Pas vraiment. Il s’agissait surtout de pousser la technique féminine. “Pour battre l’entrechat, pour bouger correctement, il faut un bas de jambe libéré. Il s’agissait d’avoir des mouvements qui soient dans la même esthétique que ceux des hommes“, explique Sylvie Jacq-Mioche. Et l’apport de Marie Sallé à la danse ne se contente pas, loin de là, de cette question de costumes. Née dans un milieu intellectuel, Marie Sallé est l’une des premières à réfléchir sur l’abandon du masque pour mettre en avant l’expressivité du visage.
Chorégraphe, l’une des premières alors que l’on ne considère pas les femmes comme créatrices à l’époque, Marie Sallé monte “L’entrée des roses” dans le célèbre opéra-ballet Les Indes galantes. “Elle y danse de façon expressive en racontant la vie et la mort d’une rose. Elle est dans une pantomime narrative“. Elle met ainsi en place les prémices du ballet-pantomime, tout comme Auguste Vestris et Jean-Georges Noverre Noverre. Mais l’histoire n’a retenu que les deux derniers. D’abord parce que seul Noverre a écrit. Ensuite parce que Marie Sallé a du mal à s’imposer en France, d’une part parce qu’elle est une femme, d’autre part par la modernité de sa vision de la danse. Elle connaît ainsi un plus grand succès à Londres, plus ouverte sur beaucoup de choses notamment dans l’art. “Marie Sallé était une intellectuelle, une femme qui pense. Elle vaut bien mieux qu’une réputation de femme galante que l’histoire a gardée“.
Marie Taglioni – 1804-1884
Marie Taglioni, tout le monde connaît. Elle est celle qui a consacré la pointe en créant le ballet La Sylphide et l’une des stars de son époque. Mais la danseuse, tout comme Marie Sallé, a eu une influence bien plus grande que cela. D’abord par son travail d’interprète. “Les femmes sont souvent créatrices dans le cadre de leur travail d’interprète. Et c’est un travail qui a souvent été nié. Ne serait-ce que philosophiquement, l’interprète serait forcément soumis au créateur, ce qui n’est pas toujours le cas“, continue Sylvie Jacq-Mioche. Et de rappeler que si c’est Filippo Taglioni le chorégraphe de La Sylphide, c’est bien sa fille Marie qui en reste la figure emblématique. À l’image, 200 ans plus tard, de Sylvie Guillem, qui n’a pas été chorégraphe mais est restée l’instigatrice de nombreuses créations.
Marie Taglioni a de plus eu une forte influence pour le maintien de l’école française et de son niveau. Dans les années 1860, quand elle devient professeure à l’Opéra, la tendance est de donner tous les grands rôles à des danseuses étrangères et de ne laisser aux ballerines venant de l’École de Danse que le corps de ballet. “Marie Taglioni recherche une élévation du niveau et le moyen de prouver à la direction qu’il peut y avoir de l’excellence dans ce que fournit l’école“. Elle crée ainsi une classe de perfectionnement au sein de la troupe et instaure un examen qui permet de valoriser celles et ceux qui travaillent. L’ancêtre du Concours de promotion disent certains, même si, les structures d’alors étant si différentes de celles d’aujourd’hui, cela reste un abus de langage. Mais la volonté de maintenant un niveau et de préserver l’école est bien là. “Elle a eu une influence dans la pédagogie et dans le maintien de l’école française, le fait qu’elle n’ait pas été oubliée et perdue. Elle veut remettre les danseurs et danseuses au travail, qu’ils aient à nouveau confiance alors qu’on ne leur demande que de faire du corps de ballet. Elle veut redonner une logique aux distributions. Et montrer qu’il y a de l’excellence dans la troupe et dans l’école française“.
Marie Taglioni est enfin chorégraphe : elle crée Le Papillon pour son élève Emma Livry. “En étant chorégraphe, elle n’est pas dans la transgression, ce n’est pas un métier interdit aux femmes. C’est juste qu’une femme chorégraphe, une femme créatrice, cela n’existe pas“. Une absence de modèle qui n’empêche pas à Marie Taglioni de se lancer.
Bronislava Nijinska – 1891-1972
La plupart du temps, Bronislava Nijinska est réduite à être “la soeur de”, une interprète de plus des Ballets russes. “Alors qu’elle est fondamentale !“, assure Sylvie Jacq-Mioche. Tout comme son frère Nijinski, Bronislava Nijinska est chorégraphe. Et avec ses ballets Les Biches ou Le Train bleu, “elle fait entrer son monde contemporain dans la danse“. Les Biches raconte ainsi une après-midi de la jet-set de l’époque, avec les flirts, l’allusion à l’homosexualité féminine, des danseurs et danseuses habillées comme à la ville. Le Train bleu évoque la Côte d’Azur, avec là encore les jeux de séduction et une allusion aux Jeux Olympiques. “Ses oeuvres parlent de la vie du public. Il y a une modernité dans la chorégraphie comme dans les thèmes abordés“. Pourquoi reste-elle ainsi minorée ? “Ses oeuvres n’ont pas forcément beaucoup de succès à leur création, donc n’ont pas forcément été reprises“. Bronislava Nijinska crée aussi peu avant 1929, date de la dissolution des Ballets russes, ce qui a mis un coup d’arrêt à sa carrière… Même si un certain George Balanchine, qui a créé pour la troupe à la même époque, n’en a pas souffert dans sa carrière par la suite.
Dotée d’une excellente mémoire, Bronislava Nijinska reste aussi l’intermédiaire à l’arrivée ou au retour sur les scènes européennes de ballets beaucoup dansés en Russie. Partie à Londres après les Ballets russes, elle a ainsi beaucoup évoqué ses souvenirs de La Fille mal gardée avec un certain… Frederick Ashton, qui a gardé beaucoup de cette transmission dans sa version du ballet devenue un tube aujourd’hui. Rappelons enfin que si les Cahiers de Nijinski sont souvent évoqués dans les indispensables d’une bibliothèque danse, Bronislava Nijinska a aussi publié ses mémoires “qui sont passionnantes“.
Janine Charrat – 1924-2017
De la même génération de Roland Petit ou Maurice Béjart, la chorégraphe Janine Charrat est aujourd’hui presque complètement oubliée. “Elle avait pourtant énormément de talent“, rappelle Sylvie Jacq-Mioche. Elle a 20 ans quand elle monte Jeu de cartes, dansé pendant longtemps par pas mal de compagnies, avec le rôle du joker créé par Jean Babilée. Tout comme Bronislava Nijinska, Janine Charrat fait entrer son monde contemporain dans la danse. Son ballet Adame miroir par ainsi de l’homosexualité. En 1953, son oeuvre Les Algues se déroule dans un asile, où un homme amoureux se fait internet pour rejoindre sa bien-aimée. Tout le monde est en costumes de ville, cela évoque la folie, l’internement… 30 ans avant la Giselle de Mats Ek.
Janine Charrat faisait aussi pleinement partie de l’ébullition artistique des années 1960 de Saint-Germain-des-Pré. “Il y avait énormément d’inventivité chorégraphique dans ses ballets. Elle utilisait le langage classique tout en étant dans l’absolue modernité dans la thématique et la recherche du mouvement. Et puis elle a initié beaucoup de choses, comme le fait d’adapter ses ballets à la télévision“. C’est d’ailleurs lors d’un tournage que son costume prend feu, la blessant grièvement et mettant un coup d’arrêt à sa carrière. Cet accident peut expliquer, entre autres, l’oubli aujourd’hui de Janine Charrat. Avec aussi quelques mauvaises décisions, comme son refus de prendre la direction du nouveau Ballet de la Monnaie et de conseiller Maurice Béjart à la place (un chorégraphe qu’elle a beaucoup influencé, ce que ce dernier reconnaîtra toujours). Il y a aussi les mauvais concours de circonstances. En 1968, elle remonte la pente et conçoit une chorégraphie pour le Théâtre de Paris… Mais tout est annulé avec Mai 68 et c’est à nouveau la ruine. Elle laisse derrière elle plus de 60 ballets, aujourd’hui oubliés.
Elisabeth
Oubliées…le mot est un peu fort non?
Sauf par les néophytes, ce sont des femmes connues dans le milieu de la danse classiques.
Emilie
Merci pour cet article Amélie !
Liliana Couto
Je m’excuse, mais aucune d’elles ont été oubliés.
christiane
Elles font partie de l’histoire de la danse .Elles apparaissent dans tous les livres reportage sur la danse .Elles ne sont pas méconnues du tout .Sauf des personnes qui ne s’intéressent aucunement au monde de la danse .donc cet article ne devrait pas paraitre ici ,mais dans un magazine sur l’art ,pour faire étendre ces connaissances
Pascale M.
Il est regrettable en effet que les ballets de Janine Charrat n’aient pas une petite place à l’Opéra. Mais il est vrai que l’on n’y danse pas davantage en ce moment ceux de Roland Petit ou de Béjart…
Lommel Daniel
j’ai bien connu, et personnellement, et Bronia Nijinska et Janine Charrat avec lesquelles j’ai eu le plaisir et l’honneur de travailler. Elles sont loin d’être inconnues effectivement. Mais vous savez ce qui est important dans la danse c’est de participer intimement à cette évolution.J’ai eu aussi le bonheur de travailler avec Roland Petit et Harald Lander et e particulier avec Maurice Béjart pendant une quinzaine d’année, mais vous citez ici les fleurons de la danse française et russe. il est évident que l’on parle moins des femmes, en général. Mais c’est dû à l’histoire avec un grand H.
Harmel
Cette biographie est terriblement lacunaire. Janine Charrat a continué à marquer la danse bien des années après son accident , elle a été directrice de la danse au Centre Georges Pompidou a crée des ballets à l’opéra de Bordeaux “Hécube” au Casino de Paris ou elle a réécrit” Adame Miroir (livret de de Jean Genet) puis Palais des Glaces (livret de Pierre Rhallis) et en a profité pour révéler de nombreux et nombreuses chorégraphes et danseurs danseuses: Elinor Ambash, Martine Harmel entre autres sans exclusives etc…..