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D’Est en Ouest – Groupe Grenade de Josette Baïz

Josette Baïz poursuit depuis 1992 un travail de transmission et de formation remarquable avec le groupe Grenade, qui rassemble 80 enfants et adolescent.e.s âgés de 7 à 18 ans. Ce groupe unique est devenu un vivier pour sa propre compagnie, mais aussi pour  d’autres chorégraphes. Josette Baïz ne se contente pas de former ces apprentis danseurs et danseuses, mais elle les confronte aux grands chorégraphes français et internationaux. Pour le dernier spectacle de Grenade, intitulé D’Est en Ouest, de Melbourne à Vancouver, elle a fait appel ni plus ni moins à Eun-Me Ahn, Akram Khan, Barak MarshallWim Vanderkeybus, Crystal Pite et Lucy Guerin. Ces extraits de pièces réalisées par des grands noms de la danse contemporaine actuelle offrent une occasion inespérée de se frotter à des styles et des esthétiques diverses. C’est une grande réussite et une ode joyeuse à la danse par de très jeunes danseurs et danseuses à la technique déjà très affutée.    

Louder! Can you hear me d’Eun-Me Ahn – Groupe Grenade

Si les styles sont différents, les chorégraphies choisies par Josette Baïz pour son spectacle D’Est en Ouest ont en commun d’explorer peu ou prou la question du genre et de l’androgynie. La coréenne Eun-Me Ahn attaque en fanfare avec Louder! Can you hear me (2006), choisissant dix jeunes ou très jeunes danseuses et danseurs et en les habillant toutes et tous de jupes fluos, couette rehaussées pour certaines comme elle les affectionne pour dessiner une esthétique pop asiatique. Pieds nus, ils traversent la scène de jardin à cour et de cour à jardin à quatre pattes sur des rythmes de musique électronique. Derrière cette façade très sucrée et adolescente se joue une chorégraphie exigeante, parfaitement maitrisée. Eun-Me Ahn s’y entend à merveille pour régler entrées et sorties et offrir un moment joyeux qui surprend par la qualité technique de ces jeunes interprètes.

La suite nous replonge dans un passé récent, aux débuts des années 2000 lorsqu’émergeait sur la scène londonienne le chorégraphe britannique d’origine bangladeshi Akram Khan. Kaash, qui signifie “Et alors” en hindou, est une pièce hypnotique créée en collaboration avec le sculpteur Anish Kapoor et qui introduit le musicien Nitin Sawhney, sera le complice régulier d’Akram Khan. Les dix jeunes interprètes de Grenade s’emparent avec conviction de cette pièce où le travail des bras est essentiel. Ce mouvement perpétuel du haut du corps donne le point d’équilibre de la chorégraphie. Là encore, les artistes partagent le même costume : pantalons recouverts de chasubles créant un univers unisexe.

Barak Marshall nous fait radicalement changer de style et semble au contraire prendre très au sérieux la différenciation des genres. Dans Monger (2006), le chorégraphe israélien s’essaye à une forme de danse-théâtre narrative où un groupe de cinq danseuses et cinq danseurs incarnent le personnel de maison d’une fantomatique Mrs Margaret. Sur cette trame, Barak Marshall invente une série de tableaux comiques s’inspirant parfois de danses  folkloriques, toujours avec une forte dose d’humour. Mais alors que l’on croyait ce petit monde bien organisé émerge une délicieuse scène de travestissement, lorsque deux danseurs assis côte à côte chaussent chacun une chaussure à talon et se lance dans une fausse scène de drague. Là encore, on est saisi par la maitrise du collectif Grenade qui restitue avec précision et engagement cette pièce qui jette sur le monde un regard doux-amer.

Kaash d’Akram Khan – Groupe Grenade

La première image de Speak low if you love to speak (2015) du flamand Wim Vandekeybus est saisissante : les dix danseuses et danseurs sont en robe rouge, visage recouvert d’un voile qui leur cache totalement le visage. L’image intrigue et laisse espérer une variation attrayante sur le thème de l’amour et de ses états intérieurs comme le promet la note d’intention. Las ! Mélangeant technique classique et danse contemporaine, la pièce de Wim Vandekeybus  paraît brouillonne et vaine. Il en va tout autrement avec l’extrait de Grace Engine de Crystal Pite. Il ne nous en livré qu’un trop court extrait. La chorégraphe canadienne avait pris pour point de départ “le claquement dynamique et dangereux d’un train, la notion de métal froid enfermant des corps chauds”. Dans l’extrait choisi pour Grenade, quatre jeunes gens en  costumes bleus composent une chaine qui de déplace en un mouvement permanent tout en rondeur sous un éclairage tamisé. Cela dure à peine quatre minutes. Suffisamment pour reconnaître le style d’une chorégraphe aujourd’hui incontournable, figure majuscule de la danse contemporaine.

C’est l’australienne Lucy Guerin qui a conçu le final. Attractor (2017) est une pièce de groupe mettant sur scène toute la troupe de Grenade sur  de la musique heavy métal. Entre transe et performance, c’est une manière habile de clore ce programme dans une débauche d’énergie fort plaisante. Il y a une joie d’être sur scène qui est communicative et fait plaisir à voir. D’Est en Ouest est un vrai cadeau de Josette Baïz et le plus beau des florilèges de chorégraphes contemporains.

Monger de Barak Marshall – Groupe Grenade

 

D’Est en Ouest de Josette Baïz par le groupe Grenade à la MAC Créteil. Avec des extraits de Louder, can you hear me d’Eun-Me Ahn, Kaash d’Akram Khan, Monger de Barak Marshall, Speak low if you speak love… de Wim Vandekeybus, Grace Engine de Crystal Pite et Attractor de Lucy Guerin. Samedi 16 mars 2019. À voir en tournée en France en avril

 

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