Thierry Malandain : “Je regarde Marie-Antoinette comme une femme, non comme une reine”
Marie-Antoinette, troisième commande de Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles au Malandain Ballet Biarritz, est à découvrir à l’Opéra Royal de Versailles du 29 au 31 mars. DALP a rencontré Thierry Malandain il y a quelques semaines avant une représentation au théâtre Kursaal à San Sebastián (Espagne). Le chorégraphe s’est confié, entre autre, sur la genèse de ce dernier ballet.
Sans Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, vous ne vous seriez pas lancé sur le thème de Marie-Antoinette. Pourquoi cette réticence ?
Parce que j’avais le sentiment que c’était trop risqué. Mais comme c’est une commande, il a bien fallu que je m’empare du sujet. J’avais lu la biographie très fournie de Stefan Zweig. J’ai commencé à travailler, mais plus j’avançais, plus je lisais d’écrits autour de la personnalité de Marie-Antoinette, plus je me disais que je n’y arriverais pas. Comment l’aborder ? Devais-je balayer toute sa vie ? La période de préparation a été traversée par beaucoup de questionnements.
Y a-t-il eu un déclic qui a permis que les choses se mettent en place ?
C’est toujours une fierté de danser dans un lieu comme l’Opéra royal de Versailles. Il fut inauguré en 1770 à l’occasion des noces du Dauphin Louis-Auguste, futur Louis XVI, et de l’archiduchesse d’Autriche Marie-Antoinette. J’ai donc décidé de raconter les années versaillaises de la souveraine, du banquet nuptial le 16 mai 1770 à l’entrée de la foule de Parisiennes en colère dans le château le 5 octobre 1789. Le ballet est conçu en quatorze tableaux, comme une revue de music-hall, qui respectent un ordre chronologique et mettent l’accent sur certains épisodes.
Marie-Antoinette est conçu en quatorze tableaux, comme une revue de music-hall
Quel est l’écueil avec un ballet narratif comme celui-ci ?
Le nombre de personnages. À un moment, on perd le public qui ne parvient pas à tous les identifier car il n’a pas forcément une connaissance précise de tous ces détails historiques. Malgré certaines ellipses, je devais forcément mettre en scène des personnages clés comme la du Barry, Louis XV, Axel von Fersen et même l’impératrice Marie-Thérèse qui est présente comme un fantôme.
La musique est très importante pour vous. Vous y apportez toujours un soin très particulier. Qu’est-ce qui a dicté votre choix pour ce ballet ?
Au début, j’avais pensé à Alfred Schnittke, un compositeur russe contemporain qui a composé des Concerto Grosso graves et sombres à la tonalité baroque. Mais ce choix s’est révélé impossible, d’abord parce qu’il fallait contacter trois maisons d’édition pour les droits, ce qui était trop onéreux. J’ai finalement opté pour Haydn, un Autrichien comme Marie-Antoinette. J’ai choisi les Symphonies No.6 Le Matin, No.7 Le Midi, et No.8 Le Soir. Et comme il me manquait un peu de musique, j’ai rajouté la Symphonie No. 73 La chasse et un extrait de Orphée et Eurydice de Gluck.
Que vous inspire Marie-Antoinette au final ? Ce personnage qui ne vous intéressait guère au début est-il parvenu à vous toucher ?
Il est vrai qu’au début, je me sentais plus d’affinités avec Louis XVI qu’avec Marie-Antoinette. C’était un scientifique, passionné de géographie et qui n’aurait pas été contre l’idée d’une monarchie parlementaire. En tous cas plus intelligent qu’on n’a pas bien voulu le montrer. Quand je crée, je dois faire corps avec les personnages que je les aime ou pas. À force d’essayer de comprendre ce qui s’est passé dans sa tête, j’ai fini par trouver Marie-Antoinette attachante. Elle arrive à 14 ans à la cour du roi de France. Quand elle devient reine, elle est au centre de toutes les attentions tout en étant sans doute frustrée par ce mariage non consommée. C’est sans doute pour cela qu’elle a eu besoin parfois de s’extraire des règles de la cour. C’est quand on la regarde comme une femme et non comme une reine qu’elle devient intéressante.
Quelles indications avez-vous donné à Claire Lonchampt qui interprète le rôle de Marie-Antoinette pour se glisser dans la peau de la souveraine ?
Dans mes ballets, les clefs de l’interprétation figurent déjà dans les séquences chorégraphiques. Et après, les danseurs et danseuses doivent faire leur part. Ils ont l’habitude de prendre possession de leur rôle. Lorsque je crée un ballet, j’ai besoin de m’identifier au sujet et aux personnages. Je suis devenue Marie-Antoinette. Ce qui dicte la chorégraphie c’est d’abord la musique, et ensuite ce que vit le personnage. Il y a d’ailleurs une évolution au fil du ballet. Marie-Antoinette gagne en maturité et en majesté.
Au début, je me sentais plus d’affinités avec Louis XVI qu’avec Marie-Antoinette.
Son goût pour les arts, notamment la danse, ne pouvait que vous séduire, non ?
Effectivement elle a défendu les arts. À cette époque, tous les aristocrates étaient danseurs et danseuses. Marie-Antoinette a appris la danse à Vienne avec Jean-Georges Noverre, qu’elle nomma Maître ballets de l’Opéra. Elle jouait de la harpe, jouait la comédie. A partir de cette époque, la danse n’est plus considérée comme un simple divertissement mais comme une chose sérieuse.
D’autres artistes se sont emparés de ce personnage. On se souvient de la Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Vous êtes-vous inspiré de certains partis-pris ?
J’avais vu le film quand il est sorti. J’en gardais peu de souvenirs sauf la musique rock, mais ce n’est pas la direction que je voulais donner. En revanche, j’ai vu L’échange des princesses d’après le livre de Chantal Thomas sorti en décembre 2017 qui m’a plus touché.
Comment nourrissez-vous votre inspiration ? Vous allez voir des spectacles ?
Peu. Je vois beaucoup de choses en vidéo notamment pour la programmation du Temps d’Aimer. Je ne saurais pas l’expliquer, mais je n’ai pas de souci avec l’inspiration. Quand je fais quelque chose, j’essaie de me l’approprier. Bien sûr si on me demande un ballet abstrait, je peux le faire. Mais j’ai besoin de les raccorder à ce que je suis dans le moment présent, pour ce soit pour moi porteur de sens. J’ai besoin d’être animé par quelque chose. J’ai beaucoup de mal à avancer s’il ne se passe rien. Pour produire, j’ai besoin que ça éveille quelque chose chez moi.
Comment vivez-vous le fait de répondre à une commande en tant que chorégraphe ?
Pas toujours bien. Mais comment renoncer à des financements quand c’est toujours l’argent qui fait défaut quand on est un créateur ? Une commande impose un cadre, mais oblige à se lancer. Par exemple, Cendrillon, on me l’avait demandé plusieurs fois et j’avais toujours refusé. Or, cette première commande de Laurent Brunner était l’occasion de danser à Versailles dans ce théâtre qui est extraordinaire. Comment refuser ? Mais je bloquais car j’étais convaincu qu’il fallait un grand nombre d’interprètes. Quand j’ai trouvé l’idée des pantins, quelque chose s’est libéré. Je me suis autorisé à le faire.
Pouvez-vous nous parler de votre prochaine création ?
C’est aussi une commande ! Pour janvier 2020. À l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Beethoven, je suis invité à l’Opéra de Bonn, ville natale du compositeur. J’ai beaucoup hésité sur le choix de la musique, Mais là je me suis enfin arrêté sur la Symphonie No.6, la Pastorale.
Je n’ai pas peur de la panne d’inspiration. J’en plein d’idées en tête
Votre mandat à la tête du CCN devait s’arrêter en décembre 2019 et il a été prolongé jusqu’en 2022. Cette décision vous satisfait-elle ?
Si le ministère de la Culture a évoqué que je poursuive jusqu’en 2022, nous en sommes encore au stade des dossiers pour ce renouvellement Après vingt ans à Biarritz, je ne trouve pas normal que je doive poser ma candidature pour poursuivre trois ans de plus. Je dois élaborer un projet en tant que directeur de ballet pour être confirmé dans mon emploi. C’est un peu humiliant au regard de mon parcours. La danse continue à ne pas être considérée en France à la place qu’elle mérite.
Vous trouvez que la danse, notamment la danse classique est négligée en France actuellement ?
Nous savons tous que le premier acte de gouvernement de Louis XIV a été de créer l’Académie royale de danse. On n’imagine pas aujourd’hui que le premier geste d’un président, même cultivé, soit en faveur de la danse. Même dans l’éducation artistique et culturelle à l’école, la danse est transparente. Au XXIe siècle, il me semble impensable que la danse ne soit pas présente comme une matière noble, un mode d’expression valorisé. Cette année, on fête les 350 ans de l’Opéra de Paris et il n’y a aucune pièce du répertoire, ni de chorégraphes français à l’affiche. Il y a quelques mois, on a rendu hommage à Jerome Robbins et pas à Marius Petipa. La danse est le parent pauvre de l’Opéra. Avant qu’on ne coupe la tête à Marie-Antoinette et Louis XVI, les arts étaient égaux entre eux. Qu’attend-on pour que cette égalité soit de nouveau de mise ?
Et après 2022 ?
J’arrêterai sans doute. Franchement, je n’arrive pas à me projeter dans l’avenir. Pendant vingt ans, j’ai créé pour 22 danseurs et danseuses. Je ne pense pas que je puisse faire comme des chorégraphes comme Jean-Claude Gallotta et revenir à une compagnie plus réduite. D’ici là je continue. Je n’ai pas peur de la panne d’inspiration. J’en plein d’idées en tête. Quand on est installé longtemps dans un même lieu, les spectateurs vous suivent. Ça oblige non pas tant à se renouveler, mais à se dépasser. Chaque ballet créé est un miracle.
Werner Bosshart
Je viens de passer un après-midi lumineux m’émerveillant à regarder votre création « Marie-Antoinette ». J’ai visionné « Noé » et « Silhouette ». Merci Monsieur Malandain, votre génie est exceptionnel. Viendrez-vous un jour à Genève ?
Amélie Bertrand
@ Werner : la compagnie tourne beaucoup (quand ses activités reprendront bien sûr) et passe régulièrement par la Suisse, il faut guetter (ou Lyon n’est pas très loin de Genève et la troupe s’y rend souvent).