Danse dans les Nymphéas au Musée de l’Orangerie – Cinq questions à Isabelle Danto
Tout le monde a dans la tête le célèbre ensemble Les Nymphéas de Claude Monet, huit compositions qui occupent deux salles du Musée de l’Orangerie à Paris. La nouvelle directrice de cet établissement, Cécile Debray, voulait instiller du spectacle vivant. Elle en a confié la tâche à Isabelle Danto, critique d’art et spécialiste de la danse, qui a monté un projet passionnant : Danse dans Les Nymphéas. Depuis un an, un lundi par mois, des artistes aussi divers que François Chaignaud, Carolyn Carlson, Noé Soulier ou Fabian Barba, des compagnies telles que le Ballet de Lorraine, le CNDC d’Angers ou la Trisha Brown Company se sont ainsi succédés dans Les Nymphéas. Le chorégraphe et danseur américain Gabriel Schenker s’y produira le 27 mai pour terminer cette saison avec Pulse Constellations. Rencontre pour l’occasion avec Isabelle Danto qui nous explique ce passionnant projet qui amène la danse au musée.
Comment avez-vous réagi à cette proposition de la directrice du Musée de l’Orangerie Cécile Debray d’investir les salles des Nymphéas pour y danser ?
J’étais folle de joie car ce projet réunit deux de mes passions : la danse et la problématique des musées. Cela permettait aussi de renouveler une interrogation qui subsiste : quelle est la place aujourd’hui de la danse et où danser ? Et c’est un nouveau lieu qui propose une vraie programmation sur la durée. C’est l’intersection de la question de la conservation qui est celle des musées (que peut être un musée du XXI siècle ?) et le besoin aujourd’hui des musées d’introduire du vivant. Et la danse est un programme de choix pour rendre le musée vivant. La danse, qui cherche toujours de nouveaux territoires, de nouveaux formats et de nouvelles manières de travailler, s’intéresse de très près au musée.
Avez-vous eu carte blanche pour construire cette programmation ?
Cécile Debray avait une idée très précise de ce qu’elle voulait faire au Musée de l’Orangerie et l’orienter vers l’art moderne et contemporain. Elle souhaitait que cela se passe dans les salles des Nymphéas qui sont le joyau du musée, qui ne sont pas forcément un lieu très confortable pour la danse mais c’est tellement extraordinaire et magique que les artistes sont ravis de venir. Je me suis inscrite dans son projet. Sa première exposition était consacrée aux derniers Monet et à l’abstraction américaine, c’est une thématique qui me plaisait. Donc Merce Cunningham s’imposait presque naturellement avec cette notion d’event qui me séduit. Nous ne montrons pas que des créations mais c’est seulement un soir, deux représentations, un lundi par mois et cela ressemble à une sorte d’event.
Est-ce que les artistes ne sont pas aussi effrayés d’avoir à se confronter à ce chef-d’œuvre des Nymphéas ?
J’ai commencé avec Merce Cunningham et le Centre Chorégraphique National de Danse contemporaine d’Angers de Robert Swinston. Par définition, la danse de Merce Cunningham n’a peur de rien et s’adapte à tous les lieux. Ensuite, il m’a semblé que Carolyn Carlson s’imposait car elle est une figure majeure de la danse contemporaine, une icône ! Elle a été enchantée par cette proposition et elle est arrivée quasiment à l’aveugle sans avoir répété la veille, comme nous le faisons habituellement. Elle connaissait le lieu par cœur car c’est l’endroit où elle se retrouve quand son frère vient des États-Unis, presque comme un jardin secret pour se faire des confidences. Elle y reviendra la saison prochaine et elle sera filmée car elle souhaite garder une trace de ce solo Immersion dans les Nymphéas de Monet. Certains bien sûr ont un peu plus de mal parce qu’ils sont habitués à la boite noire de la scène mais tous sont enthousiastes.
Comment les artistes se positionnent dans ces deux salles des Nymphéas pour choisir où ils vont danser ?
On demande à chaque fois au chorégraphe et aux artistes où ils veulent danser. Robert Swinston m’a tout de suite répondu qu’il voulait investir tout l’espace des deux salles, les danseurs et danseuses passaient donc d’une pièce à l’autre. Carolyn Carlson et François Chaignaud ont choisi le panneau qui les intéressait. Nous nous adaptons à leurs demandes et à partir de là, nous organisons l’espace des deux salles : soit nous laissons la banquette centrale qui fait partie de l’architecture des salles, soit nous mettons des chaises et des coussins pour ce qui ressemblerait davantage à un récital de piano. Cela varie avec chaque programme.
Quel public vient à Danser dans les Nymphéas ? C’est un public déjà sensibilisé à la danse ?
Pas forcément et c’est cela aussi qui est intéressant. Je ne voudrais pas que cela reste dans l’entre-soi, cela doit s’ouvrir à tous. Une grosse partie du public, ce sont des visiteurs du Musée de l’Orangerie et d’Orsay. Mais j’ai été très touchée d’entendre des gens dire que c’était la première fois qu’ils voyaient un spectacle de danse. Les gens sont en général assez étonnés et ravis. Et ça doit être cela le musée, quelque chose qui suscite des rencontres. Danser dans les Nymphéas fait aussi venir le public de la danse, les professionnels aussi qui sont attirés par cette proposition. C’est donc très mélangé mais comme me l’a indiqué Cécile Debray, l’idée est de programmer quelque chose de juste et c’est ce que j’essaye de faire.
Danse dans les Nymphéas – Musée de l’Orangerie – Pulse Constellations de Gabriel Schenker le lundi 27 mai à 19h et 20h30. Carolyn Carlson ou Myriam Gourfink à venir la saison prochaine.