Ballet Royal de Flandre – Soirée Sidi Larbi Cherkaoui
Sidi Larbi Cherkaoui revient en France avec sa compagnie, le Ballet Royal de Flandre dont il a pris la direction en 2015. Le chorégraphe belge y présente deux de ses œuvres. Faun d’abord, qui propose une relecture du célébrissime ballet de Nijinski Prélude à l’Après-midi d’un faune sur la musique de Claude Debussy, créé en 2009 au Sadler’s Wells de Londres à l’occasion du centenaire des Ballets Russes et devenu un classique du chorégraphe. Puis Memento Mori, une pièce originellement créée pour les Ballets de Monte-Carlo en 2017. Le Ballet Royal de Flandre a mis ses deux œuvres à son répertoire et en propose une interprétation personnelle, frôlant la perfection.
Sidi Larbi Cherkaoui à l’affiche, c’est l’assurance de voir le public affluer, même sous les travées dégoulinantes de chaleur de la Grande Halle de la Villette qui avait soigné son accueil en offrant éventails et bouteilles d’eau pour survivre à des températures peu humaines. D’emblée, on admire les danseuses et danseurs d’être sur scène dans cette intenable fournaise. Le Ballet Royal de Flandre, c’est aussi la certitude de voir une compagnie de grande qualité. On se souvient de l’une de leurs dernières venues au Théâtre de Chaillot en 2011 avec l’interprétation exceptionnelle du chef d’œuvre de William Forsythe Impressing the Czar. Depuis, la compagnie a connu quelques vicissitudes, une crise de direction sur fond de coupes budgétaires. Mais Sidi Larbi Cherkaoui a repris le gouvernail, conservé la tradition classique de la troupe et enrichit le répertoire. On aurait ainsi préféré pour cette étape parisienne découvrir les nouvelles pièces que le chorégraphe belge a imaginées pour le Ballet Royal de Flandre.
Mais ne boudons pas le plaisir puisque cette affiche met en lumière les belles qualités de cette troupe. Memento Moria été écrit pour les Ballets de Monte-Carlo il y a deux ans, dernière pièce d’une trilogie. Le rappel n’est pas anodin car on y perçoit l’écho de la compagnie monégasque et de son directeur Jean-Christophe Maillot : un goût et un talent pour l’utilisation du langage académique mis au goût du jour, un propos qui sans être littéralement narratif, refuse l’abstraction pure. Memento Mori ou « Souviens-toi que tu vas mourir » est une variation de 45 minutes sur ce thème, parfaitement construite. Sidi Larbi Cherkaoui opte pour une fluidité permanente où le mouvement ne s’arrête jamais. L’image initiale nous montre un couple passionnément enlacé comme ayant peur de se perdre. La scénographie impose un climat noir sans être morbide : trois anneaux géants enserrés les uns dans les autres et source lumineuse presque unique. Les 20 danseuses et danseurs entrent et sortent de scène dans un tourbillon effréné, constamment sur le plateau sauf pour laisser la place à d’autres combinaisons, solos, pas de deux ou pas de trois. Sidi Larbi Cherkaoui n’épargne pas la troupe, sollicitée dans tous les secteurs avec des portés très hauts,souvent acrobatiques, insérant même des contorsions extrêmes. Il est un chorégraphe contemporain qui sait utiliser avec une parfaite maitrise la grammaire académique. On perçoit que le chorégraphe belge a observé les maîtres actuels du genre et notamment William Forsythe, source d’inspiration obligatoire.
La troupe est flamboyante ! Techniciens éprouvés aux grandes qualités gymniques qui conviennent parfaitement pour ce langage. Mais après cette pièce de groupe, place à l’intimisme avec Faun que l’on a vu cette année à l’Opéra de Paris et dansé par le Ballet de Bordeaux. Sidi Larbi Cherkaoui n’a pas décalqué le moins du monde le ballet de Nijinski mais a trouvé sa voie dans la musique de Debussy en y ajoutant celle de Nitin Sawhney. Le dispositif scénographique avec des vidéos montrant une forêt à différents moments et différentes saisons induit une vision très animale de Faun. L’interprète du jour est sans conteste le meilleur que l’on ait vu. Philippe Lens danse le Faune depuis six ans, il en possède tous les détours et toutes les nuances. Ce n’est pas pour rien que Sidi Larbi Cherkoui lui a demandé de transmettre le rôle aux danseurs de l’Opéra de Paris et à ceux du Ballet de Bordeaux. Il s’est acquitté de cette tâche consciencieusement, n’en doutons pas ! Mais il y a cette part d’indicible, d’unique qui, quoi qu’on fasse, ne s’apprend pas.
Soirée Sidi Larbi Cherkaoui par le Ballet Royal de Flandre à la Grande Halle de la Villette. Memento Mori avec vingt danseurs et danseuses ; Faun avec Philipe Lens et Nicola Wills. Mercredi 26 juillet 2019.