[Sortie ciné] Une joie secrète de Jérôme Cassou
On a découvert ces performances flash sur internet. Baptisées “Une minute de danse par jour” et initiées juste après les attentats de Charlie Hebdo par la chorégraphe Nadia Vadori-Gauthier, ces danses ont rapidement constitué un “acte quotidien de résistance poétique”. Le film documentaire Une joie secrète, réalisé par Jérôme Cassou, témoigne de l’engagement de cette femme qui, par son investissement physique des espaces de notre quotidien, publics ou plus intimes, nous invite à porter un regard différent sur le monde dans lequel nous évoluons. Doux, drôle, déjanté en apparence, mais aussi grave et profond car il questionne en filigrane le rôle de l’artiste dans notre société contemporaine.
Allongée sur un muret face à Notre-Dame au lever du soleil le lendemain de l’incendie ravageur, une femme bouge lentement son corps comme si elle tentait d’émerger d’un état de sidération. Le geste est minuscule, à peine esquissé, bouleversant… Cette minute de danse filmée le 16 avril 2019 ne figure pas dans le documentaire Une joie secrète, bouclé plusieurs mois avant, mais elle illustre parfaitement la démarche de Nadia Vadori-Gauthier. Une pratique devenue rituelle que ce film permet d’éclairer. Caméra à l’épaule, pour être plus en symbiose avec son sujet dansant, Jérôme Cassou saisit ces minutes volées à la course du temps et en révèle le making-of.
À l’heure où ces lignes sont écrites, Nadia Vadori-Gauthier en est à sa 1.701e danse. Au fil des jours, cette action éphémère, spontanée s’est transformée en carnet de voyage chorégraphique et citoyen. Tout le monde peut avoir accès à ces pépites sur la page facebook de la chorégraphe. Depuis 2015, elle danse chaque jour, quel que soit l’endroit où elle se trouve. Dans les rues de Paris (le plus souvent), à la campagne avec des vaches, en forêt avec les arbres, avec les résidents d’une maison de retraite, face à un cordon de CRS dans une manif de Gilets Jaunes. “L’engagement de danser chaque jour a la profondeur du geste répété qui martèle un message lancé au monde. Ce processus d’intervention urbaine n’a pas seulement l’objectif d’être chorégraphique, il a l’ambition d’être un appel à la vie”, résume Jérôme Cassou.
La force du film, c’est de rehausser l’importance du geste de la chorégraphe. En suivant ses déambulations, en demandant à d’autres chorégraphes ou spécialistes de la danse ce que leur inspire cette démarche, Une joie secrète exalte le parfum subtil de cette œuvre poétique qui raconte notre époque. “Je danse comme on manifeste, pour œuvrer à une poésie vivante, pour agir par le sensible contre la violence de certains aspects du monde.”
Le réalisateur a filmé la chorégraphe comme une “héroïne contemporaine“. Une artiste engagée, docteure en esthétique et sciences de l’art, qui sait très bien utiliser les réseaux sociaux pour diffuser ses danses de résistance et rendre compte des états du monde contemporain. Plus qu’une leçon de danse, Une joie secrète délivre une leçon d’insoumission : aux carcans physiques, aux diktats esthétiques, aux règles de la bienséance moderne. Et ce faisant, cette personnalité éclabousse de sa drôlerie, de son énergie, de sa fantaisie tous ceux qu’elle croise. Cette joie en mouvement est évidemment tellement photogénique et communicative qu’on aimerait poursuivre plus loin le voyage. Heureusement, Nadia Vadori-Gauthier ne semble pas près de vouloir s’arrêter.
Une joie secrète de Jérôme Cassou avec Nadia Vadori-Gauthier et les interventions de Jeanne Alechinsky, Isabelle Duthoit, Christophe Martin, Roland Huesca, Daniel Larrieu, Thomas Bleton, Louise Buléon Kayser, Juliet Doucet, Myriam Jarmache, Simon Peretti, Margaux Amoros, Damien Dos Santos, Lucas Hérault, Theo Lawrence, Katia Légeret-Manochhaya – 1h10 – Sortie en salles le 11 septembre 2019.