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Soirée Russell Maliphant – Ballet de l’Opéra de Lyon

Le Ballet de l’Opéra de Lyon a démarré sa saison 2019-2020 avec un chorégraphe qu’il connaît bien : Russell Maliphant. Et un programme de choix, entre l’entrée au répertoire de Spiral Pass, pièce remarquée et créée pour le Ballet de Bavière en 2014, et la création Opus 131, sur une partition de Beethoven, alors que le chorégraphe a plutôt l’habitude de la musique contemporaine. Une soirée attendue, donc, mais qui n’a pas forcément tenu ses promesses. L’art et la manière de Russell Maliphant de mélanger danse, musique et lumière sont intactes, portées par le talent fou des interprètes de la troupe lyonnaise. Mais Spiral Pass tombe vite dans la démonstration d’un savoir-faire. Quant à Opus 131, Russell Maliphant est passé à côté de la partition, déconnectant le geste à la musique pour une création qui laisse sur sa faim.

Spiral Pass de Russell Maliphant – Ballet de l’Opéra de Lyon

« Mon travail doit beaucoup à la vision du mouvement à travers l’oeil du sculpteur« , explique Russell Maliphant. Qu’il travaille sur une gestuelle néo-classique, plus contemporaine ou carrément breakdance, selon les interprètes qu’il a en face de lui, le chorégraphe aime façonner les corps à la manière d’une sculpture, avec un travail approfondi des lumières sur les gestes des danseurs et danseuses. Les éclairages ne se font pas au-dessus du mouvement : ils sont pensés comme une partie du mouvement, venant enrichir le geste. Et par là magnifient le corps en constante modulation des interprètes. Spiral Pass, créé en 2014, en est un bel exemple. Tout est sobre, pourtant, mais la difficulté se joue souvent dans la simplicité.

Sur scène, dix danseurs et danseuses se relaient en solo, duos, trio ou quintett, dans une danse rapide et rythmée. La spirale, la torsion, en sont le centre, comme un geste qui ne finirait jamais, qui se transmettrait entre chaque interprète allant et venant sur le plateau. Russell Maliphant y met en scène des sortes de canon : plusieurs danseurs et danseuses se répondent, chacun.e dans leurs phrases chorégraphiques, avant de se retrouver en quelques secondes à l’unisson, puis de reprendre sa propre partition. Chaque geste vient en réponse à la musique – superbe partition contemporaine de Mukul, écrite lors de la création de Spiral Pass pendant les répétitions – y prend appui, lui répond, dialogue. Les jeux de lumière viennent créer le liant, dessinant les corps et les muscles en action des interprètes hors-pair du Ballet de l’Opéra de Lyon.

Spiral Pass de Russell Maliphant – Ballet de l’Opéra de Lyon

Pourtant, il manque comme un soupçon de surprise à Spiral Pass. Cette pièce est du grand art chorégraphique, une véritable leçon de savoir-faire. Mais tout semble justement un peu trop calculé, allant volontairement au plus efficace. Comme s’il manquait cette petite poussière prête à enrayer une machine trop bien huilée. Malgré l’investissement des interprètes, Spiral Pass semble tourner à vide. Les jeux des pas de deux sont aussi parfois problématiques. Comme à son habitude, Russell Maliphant a monté une pièce pour les artistes qu’il avait en face de lui et leurs spécificités. L’oeuvre ayant été créée à l’origine pour une troupe classique, le Ballet de Bavière, le pas de deux y est donc évidemment présent. Mais au lieu de questionner cette notion, le chorégraphe la pousse dans sa caricature en utilisant à outrance la formule « danseur actif – danseuse passive » dans de nombreux duos. L’on sait bien que, techniquement parlant, danseurs et danseuses sont dans le même engagement physique lors d’un pas de deux. Mais ce qui compte est l’impression qui arrive au public – ici le danseur décide et guide la danseuse qui se laisse faire. Jusqu’à un très (trop) long quintett où une femme (une danseuse pourtant très investie) est manipulée par quatre hommes sans jamais toucher terre, sans jamais donner l’impression que c’est sa danse qui initie le mouvement – avant de finir par être emportée comme un trophée. Un cliché éculé dont on se lasse vite.

La création Opus 131 laisse aussi sur sa faim. Profitant d’avoir l’orchestre de l’Opéra de Lyon dans la fosse – et c’est chose rare pour le ballet lyonnais, Russell Maliphant a choisi pour cette nouvelle pièce la version pour orchestre à cordes du Quatuor à cordes en do dièse mineur de Beethoven. Une surprise et une vraie prise de risque, tant le chorégraphe a bien plus l’habitude de travailler – et souvent avec bonheur – avec des partitions contemporaines. Mais ici, la musicalité ne prend pas. Alors que Russell Maliphant aime faire dialoguer comme un match de ping pong danse et musique, il semble se contenter ici de l’illustrer, ne parvenant pas à en prendre le contre point, à lui trouver du répondant. L’équilibre ainsi se perd et la danse se dilue gentiment, sans arriver à être sauvée par la fougue des interprètes. L’on attendra ainsi le programme de novembre de la compagnie, qui reprendra le superbe Critical Mass, histoire de se réconcilier avec Russell Maliphant.

Opus 131 de Russell Maliphant – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Soirée Russell Maliphant par le Ballet de l’Opéra de Lyon à l’Opéra de Lyon. Spiral Pass de Russell Maliphant, avec Kristina Bentz, Edi Blloshmi, Jacqueline Bâby, Caelyn Knight, Coralie Levieux, Alvaro Dule, Tyler Galster, Ricardo Macedo, Albert Nikolli et Leoannis Pupo-Guillem ; Opus 131 de Russell Maliphant, avec Jacqueline Bâby, Kristina Bentz, Edi Blloshmi, Dorothée Delabie, Adrien Delépine, Alvaro Dule, Tyler Galster, Caelyn Knight, Coralie Levieux, Ricardo Macedo, Elsa Monguillot de Mirman, Albert Nicolii, Chiara Paperini, Samuel Pereira, Lore Pryszo, Leoannis Pupo-Guillem, Anna Ramonova, Roylan Ramos et Paul Vezin. À voir jusqu’au 15 septembre.

 

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