Secret (temps 2) – Johann Le Guillerm se joue de l’attraction
Johann Le Guillerm offre un dernier tour de piste à La Villette de son spectacle déjà culte, Secret (temps 2). Une ultime série d’un projet amorcé il y a 16 ans – et qui va se prolonger – sur le thème de l’Attraction, celle du corps et des objets, comme un « work in progress » sans cesse renouvelé. Tout à la fois funambule, clown, acrobate, prestidigitateur, comédien, Johann Le Guillerm nous emmène dans son univers singulier, composé de drôles de machines où l’artiste exerce une science virtuose de la physique de l’équilibre, composant des mécanos qu’il escalade à mesure qu’il les construit. Secret (temps 2) développe un art du mouvement où se conjuguent force et fragilité du corps et de la matière.
On avait laissé Johann Le Guillerm la saison dernière au 104 en complet veston, juché sur un drôle de triporteur pour un spectacle parlant, conférence loufoque intitulée Le Pas Grand Chose, sommet de l’absurde et du détournement des objets, des mots ou des chiffres.Secret (temps 2), à l’inverse, se joue sans paroles mais en musique, sur une partition électronique créée par Thomas Belhom et interprétée en direct par Alexandre Piques. Johann Le Guillerm a troqué son costume pour un pantalon qui l’enserre jusqu’à la poitrine. Autre univers, autre aspect. Mais dès que l’artiste parait sur la piste, on reconnait instantanément sa silhouette et sa longue tresse de cheveux. Son personnage est ainsi comme un fil rouge de spectacle en spectacle.
Johann Le Guillerm a le cursus classique des nouveaux circassiens. Issu de la toute première promotion du Centre National des Arts du Cirque (CNAC), il fut le compagnon de route du cirque Archaos et de la Volière Dromesko avant de se lancer dans un parcours en solo. Non pas par un ego démesuré mais parce que son imaginaire si singulier n’aurait pas pu se laisser enfermer dans un format quel qu’il soit. Johann Le Guillerm crée toujours sa propre forme. Jamais il n’utilise les agrès traditionnels du cirque, il construit ceux qui lui conviennent et qui lui paraissent faire sens dans la démarche qui est la sienne.
La première de ces drôles de machines est la plus spectaculaire. Voilà un alignement de planches de bois de tailles dégressives sur lesquelles s’arc-boute Johann Le Guillerm, les forçant à s’aplatir sous la force de son poids et créant un effet domino. C’est le prologue à cette géométrie dans l’espace qui se déploie sur la piste. Avec l’aide de ses quatre assistants se construisent ainsi des mobiles géants, comme un drôle de mikado en équilibre. Ou bien un tube de fer qui se tord et se fait cerceau, dans lequel il se love. Ces objets semblent lui résister… Jamais tout à fait, et jamais très longtemps ! Car l’art de Johann Le Guillerm est aussi celui du paradoxe. Comme celui de l’équilibre précaire d’un entrelacs de bouts de bois qui finalement refusent de chuter et de se désolidariser quand leur effondrement paraissait inévitable. Comme quoi l’attraction ne va pas toujours de soi ! Ces machines infernales que Johann Le Guillerm fabrique et dompte finalement, se succèdent, un défi permanent à la cinétique des objets.
La poésie de Secret (temps 2) tient dans la nature éphémère de ces objets de bois géants qu’il chevauche. Leur inutilité en fait l’ineffable beauté. Jusqu’au moment où, tel un enchanteur, il fait surgir du sol une tornade. Johann Le Guillerm, sorte de paladin punk, ne flatte jamais le public. Sans esbroufe, il lui offre son art paradoxal, presque énigmatique, qui est tout à a fois infiniment rustique et extrêmement sophistiqué. Qu’on se rassure: Secret (temps 2) joue les dernières mais on annonce déjà une saison 3 !
Secret (temps 2) de et avec Johann Le Guillerm assisté de Franck Bonnot, Julie Lesas, Anaëlle Husein, Sharif Khalil, à l’Espace Chapiteaux du Parc de la Villette. Vendredi 4 octobre 2019. À voir jusqu’au 20 octobre 2019. Reprise du spectacle Le Pas Grand Chose dans le cadre des Coops à la Maison des Métallos du 6 au 28 novembre.