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Giselle – Ballet de l’Opéra de Paris – Mathias Heymann, Ludmila Pagliero et Sae Eun Park

Après quatre années d’absence, Giselle est revenue sur la scène du Palais Garnier pour une trop courte série de 17 représentations. Reprise écornée de surcroit dès la première par les grèves, qui avaient déjà provoqué en décembre l’annulation de la version de Raymonda de  Rudolf Noureev et du Parc d’Angelin Preljocaj. C’est dire l’attente que suscitait la reprise du ballet des ballets dans la version de Jean Coralli, Jules Perrot et Marius Petipa. Ce chef-d’oeuvre absolu du répertoire romantique continue à séduire le public génération après génération, preuve de son universalité et de sa modernité. Les solistes et le corps de ballet de l’Opéra de Paris, bien que  restés trop longtemps loin de la scène, ont montré de belles qualités. Le couple vedette composé de Ludmila Pagliero dans le rôle-titre et de Mathias Heymann dans celui d’Albrecht a porté haut l’étendard de la danse française en proposant une interprétation personnelle et superbe techniquement, qui ne fait cependant pas oublier une production vieillissante. 

Giselle – Ballet de l’Opéra de Paris – Ludmila Pagliero

On ne peut guère faire abstraction du contexte morose qui prévaut à l’Opéra de Paris. Les grèves ont éloigné le public, la situation financière est aujourd’hui périlleuse et se traduira par la suppression de productions dans les saisons à venir. Et le mouvement n’est pas vraiment terminé, comme le rappelle l’annonce enregistrée en début de spectacle, laissant craindre la reprise des grèves et de nouvelles annulations. Toutes raisons aussi pour ne pas bouder son plaisir. Même si 17 représentations, c’est fort peu ! D’autant plus pour un ballet académique qui draine toujours un très large public, en témoigne la billetterie affichant complet des mois à l’avance. Contrairement à la série précédente, la hiérarchie fut ici scrupuleusement respectée : seules les Étoiles ont eu accès  aux rôles de Giselle et d’Albrecht et les seuls débuts furent ceux des Étoiles nommées par l’actuelle direction. Les Premières Danseuses, Premiers Danseurs et les jeunes pousses prometteuses de la compagnie ont dû se contenter des seconds rôles. Mais il y eu cela dit des couples inédits tel que celui formé par Ludmila Pagliero et Mathias Heymann, que nous avons pu voir.

 

Honneur à ce dernier dont c’était le retour sur scène après plus d’un an. Ce danseur exceptionnel avait dû interrompre à l’automne 2018 sa participation à l’hommage à Jerome Robbins. On guettait  avidement son entrée. On peut être rassuré : Matthias Heymann est en pleine possession de ses moyens techniques et dans une forme éblouissante. Ses sauts, ses tours, ses réceptions, tout cela est propre et parfaitement exécuté. Son incarnation du personnage d’Albrecht est toute en nuances, à la fois arrogant, représentant de la caste supérieure et montrant déjà ses faiblesses dès le milieu du premier acte. On perçoit ainsi très vite la culpabilité qui est la sienne, torturé entre l’amour pour Giselle et sa fidélité de classe dont il sait qu’elle lui interdira de vivre cet amour. Et même loin de la scène, l’on perçoit ce trouble. Sa partenaire est tout aussi irréprochable. Ludmila Pagliero livre une vision plus espiègle de Giselle et montre une formidable liberté dans sa danse. Dépourvue de tensions apparentes, elle joue à merveille la diagonale sur pointes avec un beau jeu de bras qui lui permet de dialoguer avec ses partenaires. Il y a beaucoup de naturel dans son jeu et de justesse, notamment dans la scène finale de la folie trop souvent sur-jouée et qu’elle mène avec délicatesse, sans excès dramatiques.

Giselle – Ballet de l’Opéra de Paris – Mathias Heymann

Dans ce premier acte si terrien, le pas de deux des paysans dit des vendangeurs était confié à Thomas Docquir et Bianca Scudamore. Voilà un couple qui enchante. Ils savent ce qu’est le style et possèdent déjà une technique affutée. Leur pas de deux et leurs variations montrent un très beau travail et l’on regrette que ces jeunes gens n’aient pas bénéficié d’une ou deux dates pour se défier aux premiers rôles. Ils en ont le niveau et c’est de cette manière que l’on progresse. Il serait temps désormais de confier à Bianca Scudamore, graine d’Étoile, un rôle à sa mesure.

Le corps de ballet pour sa part ne démérite pas, mais il manque singulièrement de tonus dans ce premier acte. Et la concomitance avec la nouvelle production du Bolchoï signée Alexeï Ratmansky, et récemment diffusée au cinéma, est cruelle. Le chorégraphe russo-américain a fait un travail formidable sur ce premier acte en  aiguisant l’art de la pantomime pour la rendre plus lisible et en mettant en scène cette partie réaliste du ballet. Ça vit, ça vibre et on y sent la joie et la jeunesse. Rien de semblable dans la production de Patrice Bart et Eugène Polyakov qui a presque 30 ans et qui accuse son âge. Quels que soient les talents des maîtres et des maitresses de ballet, il arrive un moment où l’énergie se perd et où il faut penser à réinventer un ballet académique. C’est vrai pour Giselle mais on pourrait en dire autant de la plupart des productions classiques de l’Opéra de Paris. Faute d’avoir pris place dans la réflexion sur l’avenir du ballet académique dont se sont emparées toutes les grandes compagnies mondiales, l’Opéra de Paris en est réduit à recycler ad nauseam des productions usées jusqu’à la corde, en particulier le fonds Noureev qui semble établi à jamais. On ne peut pas faire vivre éternellement une compagnie sur les souvenirs de ce que l’on a pu considérer – à tort ! – comme un âge d’or. La confrontation entre la Giselle d’Alexeï Ratmansky et de celle de l’Opéra de Paris illustre cette délicate problématique.

Giselle – Ballet de l’Opéra de Paris – Sae Eun Park

Reste heureusement une excellence du deuxième acte que l’on doit tout autant aux solistes qu’au corps de ballet féminin. Et si le premier est celui de Giselle et d’Albrecht, le second est tout d’abord celui de Myrtha. Sae Eun Park a fait des débuts fracassants dans le rôle de la Reine des Willis. La Première Danseuse est l’une des meilleures techniciennes de la troupe et elle le prouve avec panache dans son entrée et sa première variation, avec un travail de pointes d’une exquise finesse. Seule sur scène, elle incarne à ce moment la totalité de cet acte blanc : éthérée à souhait, d’une absolue légèreté dans les sauts, précise et sans trembler dans les arabesques. Au delà de sa technique majuscule, elle donne du sens à son personnage qu’elle dessine moins cruel et implacable qu’à l’accoutumée. Jeremy-Loup Quer dans le rôle d’Hilarion n’a pas l’ampleur des sauts d’un François Alu mais il sait tirer partie de ses atouts et joue subtilement cette danse à mort que lui imposent les Willis.

C’est aussi à ce moment du ballet que l’on évalue la qualité du partenariat entre les deux principaux protagonistes qui semblent à l’unisson. Ludmila Pagliero et Mathias Heymann ont en commun une élégance typique de l’école française qu’ils défendent admirablement. Et si l’on doutait encore de la forme insolente de Mathias Heymann, les 34 entrechats 6 de sa variation finale sont là pour rassurer définitivement.

Giselle – Ballet de l’Opéra de Paris – Jeremy-Loup Quer

On ressort donc du Palais Garnier comblé mais inquiet. Le retour simultané de la compagnie parisienne avec Giselle et la soirée George Balanchine, deux programmes enthousiasmants, redonne des couleurs à la troupe. Mais déjà on évoque les annulations à venir, les créations qui ne se feront pas, les budgets en berne. Au-delà de la grève qui s’inscrit dans un contexte national, ce mouvement inédit atteste d’un malaise profond du Ballet de l’Opéra de Paris. Une série de Giselle, aussi brillante soit-elle, ne saurait y remédier.

 

Giselle de Patrice Bart et Eugène Polyakov d’après Jean Coralli, Jules Perrot et Marius Petipa, par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Ludmila Pagliero (Giselle), Mathias Heymann (Albrecht), Jeremy-Loup Quer (Hilarion), Sae Eun Park (Myrtha), Bianca Scudamore et Thomas Docquir (Pas de deux des paysans), Charline Glezendanner et Pauline Verdusen (deux Willis). Mercredi 12 février 2020. À voir jusqu’au 15 février.

 



 

Commentaires (2)

  • fabienne

    Merci pour cet article qui exprime , et explique , le malaise que j’ ai ressenti lors de la représentation d’ hier samedi 15 février .
    La représentation elle -même fut splendide , une des plus belles Giselle que j’ ai vues . Vous avez tout dit sur Mathias Heyman et Ludmilla Pagliero , un couple de rêve , et l’ ensemble des danseurs . Ovations et multiples rappels mérités .
    Mais franchement , que venait faire ce texte syndical lu et affiché au début de la représentation pour expliquer qu’ il avait été aimablement ‘ décidé ‘ de la maintenir ce soir là ? Et qu’ on espérait bien que l’ Opéra pourrait maintenir son niveau d’ excellence ? J’ en étais gênée pour les spectateurs étrangers et j’ ai trouvé détestable cette façon d’ imposer le rappel menaçant de la contestation à des spectateurs qui n’ ont pas payé leur place pour cela .

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  • JanHuss

    Pour ma part je serais bien plus gênée par le fait que certains puissent trouver tout à fait normal de venir se faire « divertir » par des artistes mais anormal que ces mêmes artistes déclarent publiquement leur inquiétude face à des propositions malvenues et qui menacent leur avenir.

    Tais-toi et sois belle?

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