Staatsballett Berlin – Programme William Forsythe/Alexander Ekman/Sharon Eyal
Le Staatsballett Berlin a dû, pour des raisons financières, reporter l’entrée au répertoire de La Belle au Bois Dormant dans la version de Marcia Haydée que l’on pourra néanmoins découvrir à l’automne 2020. Mais pour ne pas pénaliser son public, la compagnie a remplacé les représentations programmées par une série de Lac des Cygnes de Patrice Bart et diverses combinaisons de pièces entrées au répertoire ou récemment créées, notamment Lib d‘Alexander Ekman dont la première mondiale avait eu lieu le 8 décembre dernier. Entourant cette création du chorégraphe suédois, revenaient au répertoire The Second Detail de William Forsythe et la reprise de Half Life de Sharon Eyal et Gai Behar devenu en quelques mois un tube de la compagnie. Une soirée de belle facture bien qu’inégale : là où Sharon Eyal enthousiasme par son inventivité, Alexandre Ekman accomplit un service chorégraphique minimum. La troupe y affiche une belle santé malgré une nouvelle crise de direction.
Cette série du Staatsballett Berlin intervient dans un contexte troublé avec une nouvelle crise de management pour la compagnie berlinoise. Johannes Öhman, co-directeur de la troupe, annonçait au début du mois qu’il mettait un terme à son mandat dés la fin de cette année pour rejoindre la très renommée Dansenhus à Stockholm, où se montre et se crée la danse contemporaine suédoise. Le choc fut brutal pour la compagnie et le public. Son association avec Sasha Waltz semblait fonctionner malgré les inquiétudes qu’avaient suscitées la nomination de la chorégraphe allemande contemporaine à la tête d’une compagnie classique.
Cet attelage a en effet produit depuis 2016 de fort belles choses. Le passage de témoin après la direction contestée de Nacho Duato s’était opéré en douceur. La vocation classique a été fort bien préservée avec le retour au répertoire de Casse-Noisette dans la superbe version reconstituée de Youri Burlaka et Vasily Medevedev et une nouvelle rédaction de La Bayadère par Alexeï Ratmansky. Même succès public et critique du côté des créations contemporaines. Enfin, la compagnie s’est enrichie de solistes à la voilure internationale avec l’arrivée de Daniil Simkin et des cubains Yolanda Correa et Alejandro Virelles, rejoignant un ensemble qui compte parmi ses rangs Polina Semionova et Iana Salenko, deux ballerines exceptionnelles. Comment s’organisera alors la nouvelle direction ? Sasha Waltz avait indiqué dans un premier temps qu’elle ne souhaitait pas rester sans Johannes Öhman mais pour le moment, rien n’est arrêté. On devrait en savoir davantage lors de la présentation de la nouvelle saison le 4 mars prochain.
En attendant, la compagnie affiche une santé réconfortante. The Second Detail de William Forsythe a fait son retour en répertoire la saison dernière et c’est toujours un plaisir de revoir cette pièce. Elle fait partie de l’inspiration des premières heures du chorégraphe américain dans la droite ligne d’In The Middle somewhat Elevated (1987). On y retrouve les mêmes ingrédients : la musique de Thom Willems, une architecture chorégraphique qui mêle solos, pas de deux et de trois, ensembles, parfois tout en même temps. On y voit se construire la grammaire de William Forsythe, comme les déhanchés, les extensions extrêmes, les marches et les courses sur un mode très urbain. The Second Detail nous plonge en terrain instable. Créé le 20 février 1991 pour le Ballet National du Canada, on retrouve ce qui fait le génie du chorégraphe, mettant à l’épreuve la musicalité des danseuses et des danseurs et bousculant notre point de vue de spectateur, peu habitué à voir sur scène en même temps un solo et un pas de deux. Construit pour 14 interprètes en body gris bleu dessinés par Issey Miyake et Yumiko Takeshima, The Second Detail est un foisonnement chorégraphique carburant à l’énergie et à l’humour, un vrai péché de balletomane.
Alexander Ekman est devenu la coqueluche des compagnies classiques qui sollicitent de toute part le chorégraphe suédois. Trop peut-être ! Les pièces qu’il a créés pour le Nederlans Dans Theater l’ont installé sur la scène mondiale et fort logiquement, Johannes Öhman a sollicité son compatriote. Le résultat intitulé Lib est une courte pièce de chambre pour quatre ballerines et un danseur. Alexander Ekamn livre un note d’intention d’une grande naïveté : “LIB-érez vous du système, des normes sociales et de la routine de vos vies, prenez conscience que vous n’en n’avez pas besoin. LIB-érez vous pour trouver votre paix. Une bel endroit pour exister, Vous dansez avec facilité”. Sur une playlist qui allie John Lennon, les Talking Heads et Maverick Sabre, le chorégraphe met sur scène quatre danseuses exceptionnelles, quatre solos magnifiquement exécutés par Polina Semionova, Ksenia Ovsyanick, Elisa Carrillo Cabrera et Aurora Dickie. Mais c’est davantage leur talent et leur technique sur pointes qui font le spectacle. Elle se prêtent sans barguigner à la chorégraphie d’Alexander Ekman qui pour l’essentiel consiste à leur faire prendre des poses inconfortables, les deux jambes pliées sur pointes et à grimacer. Le final voit les quatre danseuses totalement recouvertes d’un épais habit à franges qu’elles font tourner et virevolter, l’on ne distingue plus qui est qui. Le propos est définitivement d’une totale vacuité.
Si l’écriture d’Alexander Ekman est brouillonne et paresseuse, celle de Sharon Eyal est à l’inverse parfaitement ciselée. Johannes Öhman avait repéré à Stockholm la création de Half Life pour le Ballet Royal de Suède en février 2017. Il a proposé à la chorégraphe israélienne d’adapter cette pièce pour le Staatsballett avant un nouvelle création pour la compagnie qui a vu le jour cette saison (Strong). Half Life s’impose d’emblée comme une pièce majeure du répertoire. Sharon Eyal y utilise la figure du mouvement perpétuel incarné par un couple au centre du plateau, Johny McMillan et Weronika Frodyma répétant les mêmes gestes calés sur la musique électronique d’Ori Litchik. Effet hypnotique garanti alors qu’un groupe apparaît au fond de la scène côté cour. Ils se mêlent peu à peu et s’entremêlent au couple principal dans une danse tout à tour mécanique et tribale qui ne s’arrête jamais, instaurant un défi physique permanent. Gestes saccadés, répétés, regards fixes vers le public, Sharon Eyal possède à l’instar de Crystal Pite ce talent de savoir faire bouger un ensemble de manière organique comme une seule entité. S’il n’y a pas de narration, Half Life est truffée de citations. Au ballet classique ainsi, qui fut le premier amour de Sharon Eyal avant qu’elle ne rejoigne la Batsheva, des cygnes échappés du Lac ou encore cette allusion à Giselle avec cette magnifique série de d’entrechats 6 – on a arrêté de compter à 32 ! – réalisés par Daniel Norgren-Jensen. Half Life est devenu à la vitesse de l’éclair un hit du répertoire en un temps record et s’achève à chaque fois par de très longues ovations.
Après les années Duato plus que mouvementées, le Staatsballet de Berlin avait retrouvé la sérénité avec un répertoire solide faisant la part belle au ballet académique, des créations remarquées et une troupe renouvelée animée par des solistes prestigieux. On ne peut que regretter le départ de Johannes Öhman qui a su parfaitement animé la compagnie depuis quatre ans. Il faut espérer que cet élan salutaire sera préservé.
Programme William Forsythe/Alexander Ekman/Sharon Eyal par le Staatsballett Berlin au Deutsche Oper Berlin. The Second Detail de William Forsythe avec Sarah Brodbeck, Yolanda Correa, Aurora Dickie, Weronika Frodyma, Sarah Hees-Hochster, Aeri Kim, Chinatsu Sugishima, Marco Arena, Alexander Bird, Arshak Ghalumyan, Tyler Gurfein, Daniel Norgren Jensen, Eoin Robinson et Alexander Shpak ; Lib d’Alexander Ekman avec Polina Semionova, Ksenia Ovsyanick, Aurora Dickie, Elisa Carrillo Cabrera et Johny MCMillan ; Half Life de Shaton Eyal et Gai Behar avec Sarah Brodbeck, Filipa Cavaco, Weronika Frodyma, Mari Kawanishi, Tabatha Rumeur, Olaf Kollmannsperger, Konstantin Lorenz, Sacha Males, Ross Martinson, Johny McMillan, Daniel Norgren Jensen, Eoin Robinson et Federico Spallitta. Dimanche 16 février 2020. À voir jusqu’au 26 février.