Pierre Rigal : “Je me sens toujours à l’intersection de différentes pratiques”
Pierre Rigal reprend à la MC93 trois solos qui ont jalonné son parcours de danseur et chorégraphe : Érection, créé en 2003 avec la complicité d’Aurélien Bory, Press (2008), et le tout dernier Suites Absentes (2017). Venu du sport de haut niveau, de formation scientifique et côtoyant volontiers d’autres univers que le sien, Pierre Rigal s’est forgé une place singulière dans le monde de la danse contemporaine auquel il apporte son imagination foisonnante et sa manière très particulière de détourner des propositions artistiques. Il a pu tout aussi bien nous immerger dans le monde du football avec Arrêts de Jeu (2006) ou chorégraphier un concert de rock ultra-déjanté avec Micro (2010) avec entre autres Malik Djoudi qui vient d’être nommé aux Victoires de la Musique. Les reprises de ces trois solos sont une occasion unique de revoir des pièces dont le plaisir ne s’épuise pas à la première représentation; et pour d’autres de découvrir un artiste qui se fait aujourd’hui trop rare à Paris. En pleine création au Théâtre National de Mayence en Allemagne avec Welcome Everybody dont la première aura lieu le 4 avril, Pierre Rigal a évoqué pour DALP sa carrière, l’importance de ces solos et la manière dont il se situe dans le monde de la danse d’aujourd’hui.
Vous présentez quasi simultanément ces trois solos – Press, Érection et Suites Absentes – construits à trois périodes différentes de votre parcours. C’est l’idée d’une trilogie qui vous séduit ?
Oui ! Il y avait cette idée de faire une sorte de petit bilan de mes aventures solos avec des liens et des évolutions qui peuvent réunir ces trois pièces, en partant d’Érection qui est mon tout 1er solo, Press qui est mon deuxième et le dernier Suites Absentes. Je voulais présenter au public une facette du travail avec d’un côté des choses assez complémentaires telles qu’Érection et Press et des années plus tard une proposition un peu différente, moins dépendante de la scénographie et beaucoup plus liée à la musique et à la dans. Même s’il y a forcément des points communs puisqu’il s’agit de mon travail.
Est ce que vous êtes attaché à cette idée d’un répertoire que l’on bâtit et que l’on veut conserver ?
Très attaché, oui. J’ai peur que ces pièces ne se jouent plus et j’ai un grand plaisir à les donner. J’ai toujours une petite appréhension qu’elles disparaissent et j’ai envie de les protéger, de les présenter, de les défendre aussi bien pour des raisons artistiques qu’affectives. Et ça me plait de savoir qu’Érection continue à se jouer après 17 ans d’existence (ndlr : 196 représentation depuis la création…) . Et il y a une chose qui m’intéresse dans cette pièce : c’est que j’utilise une image de moi projetée sur moi-même. Cette image a été créée en 2003 et elle continue à faire partie du spectacle. Ce décalage entre ma propre image d’il y a 17 ans et ce que je suis aujourd’hui, c’est quelque chose qui me touche et j’aimerais pouvoir conserver cette image le plus longtemps possible. Press, c’est une pièce que j’ai jouée plus de 250 fois dans le monde entier (ndlr: 261) qui touche beaucoup le public et c’est donc toujours une joie de la montrer. C’est à la fois des rituels pour moi, de petites épreuves bien sur, mais surtout du plaisir.
Cette idée du temps qui passe est importante pour tout le monde mais encore plus pour un danseur dont le corps est l’outil de travail. Est-ce que c’est quelque chose qui vous interroge ?
Le corps qui évolue, qui vieillit, c’est quelque chose qui touche. Et c’est aussi une grande surprise. Si l’on m’avait dit il y a 17 ans que je continuerais à danser ce solo en 2020, j’airais dit que c’était totalement impossible. Et en réalité, je suis agréablement surpris de voir que le corps a des ressources et une intelligence différente, qu’il arrive à placer les force et les énergies là où elles sont nécessaires avec plus d’acuité que lorsque l’on est plus jeune. On arrive ainsi à conserver une gestuelle et une chorégraphie. J’arrive, me semble-t-il, à interpréter ces pièces de manière fidèle.
Il y a toujours le même appétit du public pour ces solos. Avez-vous imaginé les transmettre un jour pour les faire vivre différemment ?
L’idée existe dans ma tête mais elle n’est pas organisée. Peut-être est-ce une erreur de ne pas y réfléchir davantage. Ce serait évidemment intéressant de les transmettre. C’est vrai que je suis toujours surpris de voir qu’on me demande ces solos. Mais s’il y a toujours une demande et une envie du public, pourquoi pas ! Maintenir une pièce au répertoire, ce serait une belle histoire, touchante pour moi.
On découvrira à Bobigny Suites Absentes, votre dernier solo qui est différent des deux autres car vous interrogez davantage le rapport entre le mouvement et la musique.
C’est la première fois que j’utilise une musique pré-existante. J’ai toujours travaillé avec des compositeurs pour proposer des musique totalement originales. Là, c’est une musique de répertoire, Jean-Sebastien Bach. À ce titre là, c’est totalement nouveau pour moi. Le rapport à la danse est aussi différent ; il est moins lié à une contrainte scénographique mais davantage à un imaginaire musical. Et puis je m’intéresse aussi à quelque chose qui existe, à savoir la vie de Jean-Sebastien Bach. Il s’agit de confondre nos vies, y compris la mienne avec celle d’un grand artiste. Ce mélange des vies créé une attention un peu universelle : ce que traverse un créateur, c’est quelque chose qui est proche de la vie de chacun, mais de manière exacerbée ou exagérée chez un compositeur.
Vous êtes en ce moment à Mayence pour travailler sur une création collective Welcome Everybody. Quelle est la différence pour vous dans le processus de travail entre la conception de ces solos et une pièce de groupe ?
J’ai face à moi 16 danseuses et danseurs qui sont en attente de propositions. C’est donc un travail qui exige d’autres qualités. Quand on crée un solo, on est forcément très tourné sur soi-même, on travaille à son rythme, avec ses possibilités, avec son corps. Quand on travaille avec les autres, la transmission du moment est quelque chose de difficile parce que l’on n’a pas les mêmes corps, on n’a pas les mêmes formations. Il faut déplacer le travail sur d’autres champs : pouvoir intégrer les interprètes dans un processus de création, les mettre dans une disposition psychologique qui leur permet de créer leurs propres mouvements contraints par les règles que je leur donne. Leur permettre d’inventer eux-mêmes dans un cadre. C’est un aller-retour que j’active entre eux et moi qui est passionnant, et qui nécessite beaucoup d’attention.
Vous arrivez en studio avec déjà une écriture totalement formulée?
J’avais dans ce cas un scénario dramaturgique très précis et il impose une théâtralité et une gestuelle. Ce que j’appelle les règles de jeu chorégrahiques sont relativement déterminées, d’autant qu’il n’y a pas énormément de temps pour créer la pièce. Les danseurs et danseuses s’engouffrent dans ce jeu et trouvent des solutions alors que je les guide. pour qu’il restent dans ces règles, pour qu’ils maintiennent le cadre et que la scène puisse se développer.
Après la reprise de ces trois solos, vous reviendrez en mai à la MC93 pour une création Public. Que pouvez-vous nous en dire ?
C’est une sorte de spectacle performance dans lequel le public est convoqué pour venir voir un spectacle qu’il va lui-même composer. Je vais mettre en conditions le public pour qu’il puisse créer une chorégraphie qui sera réalisée dans les gradins à l’endroit où le public est public. Et dans ce gradin, une chorégraphie collective va émerger. Le public dansera cette chorégraphie et découvrira ce qu’il a lui-même créé. Cela nécessite l’engagement du public.
Vous êtes arrivé dans ce milieu de la danse un peu comme un ovni car vous veniez d’un autre univers. Aujourd’hui votre travail est reconnu internationalement mais comment vous vous y situez personnellement ?
C’est un question délicate ! Je me situe dans une intersection entre différentes pratiques. pas complètement intégré dans le sérail pur de la danse mais je créé ma place là où je peux. Je suis moi-même surpris quand je suis invité comme en ce moment par le Théâtre National de Mayence ou quand je fus invité par l’Opéra de Paris. Ce sont des surprises pour moi toujours agréables. Ma place dans la danse contemporaine est un peu à part, je ne sais pas si c’est bien ou pas bien, c’est comme ça et ça crée peut-être une forme d’originalité. Il est vrai que je m’intéresse à des choses très différentes donc mon travail est relativement varié : purement chorégraphique parfois ou très proche du théâtre à d’autres moments, voire du cirque. Il peut aussi être en prise directe avec la création musicale. Mes pièces sont hétérogènes et j’aime bien cette hétérogénéité car elle me permet de travailler avec des gens différents de moi et de découvrir de nouvelles pratiques.
Erection, Press, Suites Absentes : 3 solos de Pierre Rigal à la MC 93 du 5 au 15 mars.
Public (création) les 30 et 31 mai à la MC93.