[En vidéo] Roméo et Juliette de Helgi Tomasson par le San Francisco Ballet – Mathilde Froustey et Carlo Di Lanno
Les multiples retransmissions vidéo proposées par les ballets tout autour du monde permettent de faire quelques découvertes, mais aussi des retrouvailles. Comme celles de Mathilde Froustey. Principal depuis six ans au San Francisco Ballet, l’ancienne Sujet de l’Opéra de Paris est restée très présente dans le coeur du public français. Et c’est un plaisir, même par écran interposé, de la retrouver dans le Roméo et Juliette de sa compagnie américaine. Véritable feu follet au premier acte, tout en sensibilité au dernier, elle se donne corps et âme dans un rôle taillé pour elle, et toujours portée par une technique exquise. La production, signée par le directeur du San Francisco Ballet Helgi Tomasson, est d’une belle harmonie, préférant se centrer sur les personnages que sur les scènes de foule et de combat, et portée par une troupe très à l’aise dans le ballet narratif.
Si le San Francisco Ballet est venu lors de sa dernière tournée en France (Les Étés de la Danse en 2014) avec un programme typiquement américain, la troupe danse chaque saison des grands ballets narratifs du répertoire. Historiquement, c’est même chez elle qu’a été montré la première Coppélia ou le premier Lac des cygnes aux États-Unis. Encore aujourd’hui, la compagnie est à l’aise dans ce type de ballet. Preuve en est avec la captation de Roméo et Juliette, dans la version de Helgi Tomasson, le directeur artistique de la troupe. Un ballet où chacun et chacune, du premier rôle au figurant, doit savoir jouer, être alerte constamment sur le plateau pour donner vie aussi bien aux scènes du quotidien de rue qu’au plus grand des drames. Un exercice qui peut d’autant plus être périlleux s’il est vu en captation, la caméra ne rendant pas vraiment naturel les jeux parfois trop accentués.
Mais le San Francisco Ballet se montre très à l’aise dans ce ballet narratif. Dès la première scène, quand la vie arrive peu à peu dans les rues de Vérone, danseurs et danseuses prennent place dans leur personnage avec beaucoup de naturel. Et la caméra sait trouver la bonne distance, accentuant un plan là où il faut sans gâcher le plaisir des ensembles. Le décor évoque sans fioriture l’Italie Renaissance, avec un jeu intelligent des hauteurs (et pas seulement pour le balcon). Si Le Lac des cygnes de Helgi Tomasson semble un peu trop Walt Disney, son Roméo et Juliette reste ainsi dans une sobriété agréable et la production de bonne tenue. Les scènes de rue ont bien sûr toute leur importance, mais les moments de combat ne sont pas si importants que ça – les amateurs et amatrices des grandes escarmouches de la production Noureev seront sur leur faim. Helgi Tomasson a préféré laisser la place aux personnages. Plutôt qu’une opposition Montaigu/Capulet, les débuts du premier et deuxième acte sont ainsi plutôt occupés par les tribulations de Mercutio (Gennadi Nedvigin très alerte et vivant) et Benvolio. Et les batailles de clans, si ce n’est celle de la première scène où même les patriarches en viennent aux mains, sont plutôt des combats de personnages, de rancoeur et de jalousie personnelles.
Le premier acte est celui de Mathilde Froustey. Dès son entrée, on retrouve tout ce que l’on aimait à Paris chez elle : une personnalité tout feu tout flammes, indomptable. Même sa danse lors du bal, plus soignée et plus sage face aux invités, garde toujours un petit côté feu follet, qui n’attend d’ailleurs que l’aimant Roméo pour oublier toute bienséance. L’on retrouve avec tout autant de plaisir sa technique ciselée et musicale, avec un soin particulier accordé aux équilibres, tenant juste un peu plus que ce qu’il ne faut pour s’amuser avec la musique et les pas. En Roméo, Carlo Di Lanno à l’allure très romantique, accentué par un visage lunaire et rêveur, semble tout intimidé, par ses amis comme par Juliette, à se demander s’ils ne sont pas aussi naïfs l’un que l’autre. Le danseur apparaît presque stressé lors de son pas de trois avec ses deux acolytes, le visage se fermant lors des difficultés (alors que sa technique est brillante) et que la caméra ne dissimule pas. Mais au fil du bal, Carlo Di Lanno prend de l’ampleur et de l’assurance. Et ainsi quelle magnifique scène du balcon ! Il y a tout du jeune couple d’amoureux, à la fois emportés et presque effrayés par ce nouveau sentiment qui les étreints. Le baiser sur les marches d’escalier, où Roméo a retrouvé toute son assurance, est savoureux de romantisme.
Le long pas de deux qui ouvre le dernier acte, celui de la première nuit d’amour comme des adieux, est tout aussi abandonné dans la danse que plus tendus dans les esprits. Et Mathilde Froustey montre le nouveau visage du personnage : celui du drame. La danseuse a toujours tendance à en faire un peu trop dans le jeu. Mais qu’importe car tout chez elle est entier, tout chez elle est vivant. C’est too much ? Mais c’est elle ! Et cela ne l’empêche pas d’être d’une grande sincérité. Lors de la scène de confrontation face à ses parents, celle du feu follet qui refuse d’être emprisonné, celle de la femme libre qui ne veut pas se retrouver vaincue, elle est tout simplement bouleversante. Malgré le faux poison dans sa poche, elle ne peut se résoudre à faire semblant et accepter Pâris, son corps entier le rejette, ses mains refusent de le toucher, son dos se cabre. Le côté tragédienne de Mathilde Froustey n’avait pas forcément été exploité à Paris, et c’est un plaisir aussi – outre l’émotion de l’histoire – de la découvrir sous ce jour. Carlo Di Lanno joue une partition très juste et sensible, plus réservé sur la forme, mais c’est ce qui fait aussi un duo équilibré. Et c’est sur le couple d’amoureux mort dans les bras l’un de l’autre, et non les deux familles se réconciliant, dans la continuité de cette production, que le rideau tombe.
Roméo et Juliette de Helgi Tomasson par le San Francisco Ballet, filmé le 8 mai 2015 au War Memorial Opera House. Avec Mathilde Froustey (Juliette), Carlo Di Lanno (Roméo), Gennadi Nedvigin (Mercutio), Anthony Vincent (Tybalt), Joseph Walsh (Benvolio), Anita Paciotti (la nurse), Pâris (Steven Morse), WanTing Zhao (Rosaline), Val Caniparoli et Kristina Lind (Lord et Lady Capulet), Jeffrey Lyons et Ami Yuki (Lord et Lady Montaigu). À voir jusqu’au 15 mai en ligne. D’autres diffusions du San Francisco Ballet à suivre ce printemps.