Les sorties livre danse de ce début d’année 2021
De beaux livres sont sortis ces derniers mois. En plus du récit autobiographique de Hugo Marchand qui a reçu un impressionnant accueil médiatique, un roman très réussi de Marie Charrel autour de la figure de Sylvin Rubinstein, danseur de flamenco travesti, un recueil de contes du monde entier richement illustré, les souvenirs du réalisateur Dominique Delouche et un livre-somme sur le chorégraphe contemporain Alain Buffard, décédé en 2013.
Danser de Hugo Marchand (en collaboration avec Caroline de Bodinat)
Paru le 3 février 2021 aux éditions Arthaud
Ce qu’en dit la 4e de couverture – Hugo Marchand s’est réveillé un matin avec un rêve. Il avait neuf ans. C’est à ce rêve de danse que ce virtuose de la nouvelle génération d’étoiles de l’Opéra de Paris s’est accroché. Quatre ans après son entrée au conservatoire de Nantes, médaillé d’or à treize ans, il est admis à l’École de danse de l’Opéra national de Paris. Malgré son profil atypique, Hugo Marchand intègre le corps de ballet de l’Opéra à dix-sept ans. Il gravit les échelons, se mesure aux autres, comme à lui-même, dans les concours internationaux et accède au grade ultime de danseur étoile en mars 2017. En partageant son apprentissage, Hugo Marchand pose un regard sur la danse comme école de l’acceptation. Celle de l’immensité du travail qu’impose la concrétisation d’un rêve. De la quête d’excellence au façonnage de la confiance en soi pour le réaliser. Le bras de fer entre doutes et détermination. De la solitude à la surexposition, de l’amitié possible malgré la compétition. La perpétuelle confrontation au miroir, reflet des imperfections à dépasser. L’expérience d’une métamorphose.
L’auteur – Né en 1993, Hugo Marchand est danseur étoile de l’Opéra national de Paris. Caroline de Bodinat est journaliste et romancière.
Notre avis – Il le confie lui-même dès les premiers mots d’introduction du livre. Il ne “s’attendait pas à être sollicité aussi jeune pour mettre en lumière [son] art à travers un livre.” Il est certain que nombre d’étoiles qui se sont prêtées avant lui au jeu de la confession l’ont fait avec davantage de recul. Mais “Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années.” Le danseur l’a prouvé en étant nommé étoile à 23 ans. De manière chronologique, le livre égrène les années qui l’ont conduit du Conservatoire de Nantes à sa fulgurante ascension dans le corps de ballet de l’Opéra. Des années de travail, de patience, de doute, de remise en question… Malgré les tempêtes, Hugo Marchand s’accroche, porté par un amour viscéral de la danse. Epreuve obligée, il rend hommage à celles et ceux qui l’ont conduit à devenir le formidable danseur qu’il est aujourd’hui : Jean-Guillaume Bart (“danser pour lui relève d’une orchestration du corps. Une mise en musique des différentes énergies centrifuges qui, une fois accordées, organisées, serviront à gagner en élan, vitesse de rotation et aérodynamisme.“), Benjamin Millepied qui, le premier, lui confie des rôles majeurs comme le Des Grieux de Manon, Dorothée Gilbert, son alter ego artistique… Dans sa relation avec Aurélie Dupont, il se montre plus nuancé, révélant certaines options de distribution un peu obscures. S’il reste à l’Étoile à écrire d’autres belles pages, cet ouvrage permet de mieux le comprendre, de mieux cerner ce qui l’agite, l’émeut, le transporte. Les lignes sur la “dépression” qui suit la sortie de scène sont d’une touchante sincérité. Comme ces mots sur son copain d’école Silvère Jarrosson, devenu un artiste peintre de talent après avoir arrêté la danse en raison de graves problèmes de santé. “Comment ne pas être heureux pour lui, fier de son parcours, chanceux aussi d’avoir rencontré un caractère aussi fort et résilient que le sien ?”
Les danseurs de l’aube de Marie Charrel
Paru le 6 janvier 2021 aux éditions de l’Observatoire
Ce qu’en dit la 4e de couverture – Europe centrale, années trente. Après avoir fui la révolution russe, les jumeaux Sylvin et Maria Rubinstein se découvrent un talent fulgurant pour le flamenco. Très vite, Varsovie, Berlin et même New York sont à leurs pieds. Lorsque le Continent sombre dans la guerre, les danseurs sont séparés et Maria disparaît. Pour venger sa sœur tant aimée, Sylvin ira jusqu’à se glisser dans la peau d’une femme. Et c’est ainsi travesti qu’il s’engage dans la Résistance pour lutter contre les nazis. Hambourg, 2017. Lukas, jeune homme à l’identité trouble, rencontre la sulfureuse Iva sur la scène où Sylvin dansait autrefois. Fuyant leur passé, ils partent à leur tour en road-trip dans l’Europe interlope. Au fil des cabarets, leur flamenco incandescent et métissé enflamme les passions. Mais il suscite, aussi, la violence et l’intolérance. Jusqu’à ce que Lukas commette l’irréparable pour protéger Iva… À près d’un siècle de distance, Marie Charrel retrace le destin d’artistes épris de liberté, rattrapés par la folie du monde. Mais prêts à se battre jusqu’au bout pour défendre qui ils sont.
L’autrice – Marie Charrel est journaliste et autrice de romans et de recueil de nouvelles.
Notre avis – “Dès l’instant où Iva et Lukas dansent, ils cessent d’être des maudits et échappent au chaos. Ils sèment de la douceur sur les plaies du monde. Ils ne sont plus l’Allemand et la Hongroise, ils brisent les chaînes, dansent envers et contre toutes les lois, comme l’ont fait autrefois, avant eux, Sylvin et Maria Rubinstein.” Ce roman constitue une très belle surprise déjà par son idée initiale de mieux faire connaître Sylvin Rubinstein, figure de la résistance anti-nazi et magnifique danseur de flamenco. Mêlant les destins de deux couples de danseurs à soixante-dix ans d’intervalle, Les danseurs de l’aube a un pouvoir d’entraînement indéniable. On se prend à vibrer au rythme des élans du cœur de ce quatuor si semblable par-delà les années. Et si la danse avait le pouvoir de révolutionner l’ordre établi, de lutter contre les carcans ou la barbarie ?
Contes des sages qui dansent de Céline Ripoll
Paru le 15 octobre 2020 aux éditions du Seuil
Ce qu’en dit la 4e de couverture – “Fais attention à ce que tu danses, car ce que tu danses, tu le deviens.” Cette citation de la chorégraphe américaine Susan Buirge constitue le fil rouge de ce nouveau volume des Contes des sages consacré à la danse. Fil rouge qui nous mène du Japon, où la danse nous aidera à retrouver la lumière, en France, où l’on danse parfois pour sa liberté, en Patagonie pour croiser les chemins des danseurs du vent en terre de feu, en Nouvelle-Zélande pour connaître l’origine du haka, en passant par les brodeuses d’Italie et le Myanmar pour rejoindre la danseuse du royaume des Paons… La danse nous mène dans toutes sortes de voyages. Conjuguant tous types de danses selon les mythes et traditions variées des quatre coins du globe ou des territoires infinis du rêve et de l’imaginaire, ces Contes des sages qui dansent nous entraîne dans une longue farandole à la recherche de nous-mêmes.
L’autrice – Céline Ripoll est une auteure, conteuse et écrivaine notamment en littérature jeunesse, spécialisée dans la culture de l’Océanie.
Notre avis – On est d’abord séduit par la beauté de l’objet. Une invitation au voyage qu’on ne saurait refuser. L’autrice a déniché des histoires à travers les cinq continents et met à l’honneur celles et ceux qui usent du langage du corps pour danser l’invisible. Du haka de Nouvelle-Zélande, au rite secret du peuple des Selk’nam en Patagonie, en passant par de nombreux autres pays, chaque texte est une méditation jouissive autour de l’art de danser. “Quand notre monde sombrera dans la plus profonde des obscurités, une seule chose sauvera notre lumière : n’arrêtons jamais de danser.” Des mots qui résonnent d’autant plus fortement dans cette période où nous aspirons tant à danser ensemble et à voir danser sur scène.
Alain Buffard, Good Boy. Ouvrage collectif sous la direction de Fanny de Chaillé, Laurent Sebillotte, Cécile Zoonens
Paru le 25 septembre 2020 aux éditions Les presses du réel – Centre National de la Danse
Ce qu’en dit la 4e de couverture – Alain Buffard, Good Boy invite à découvrir et questionner l’oeuvre multiple du chorégraphe Alain Buffard (1960-2013), héritier des grandes figures de la danse des années 1980, qui participa au renouvellement de la scène française en croisant sa propre histoire et ses mythologies personnelles avec nombre des problématiques de son temps, de Good Boy à Baron Samedi, de la question du sida à celle du post-colonialisme. Ce livre qui rassemble à la fois de riches témoignages, une large iconographie et des documents d’archives inédits, éclaire le parcours, les créations et la pensée d’un artiste qui, par sa radicalité et la fécondité de ses interrogations, a créé une oeuvre complexe, toujours vivante et riche de questions non résolues, posées au monde et donc à nous-mêmes. Formé à la danse par Alwin Nikolais, Alain Buffard fait la rencontre déterminante des chorégraphes américaines Yvonne Rainer et Anna Halprin. Interprète pour Daniel Larrieu ou Régine Chopinot, il signe Good Boy en 1998, un solo aussi radical et direct qu’un manifeste. L’oeuvre d’Alain Buffard est en perpétuelle évolution mais expose depuis ses débuts des problématiques récurrentes. Après une période marquée par les interrogations sur l’art, le corps et le genre, le chorégraphe prend la tangente dans des propositions qui ne permettent plus d’ignorer que la grande question de la danse c’est le corps, enjeu et lieu du politique.
L’auteur – Ouvrage collectif sous la direction de Fanny de Chaillé, Laurent Sebillotte, Cécile Zoonens.
Notre avis – Impressionnant travail que ce livre-somme richement illustré autour de ce chorégraphe radical dont le souvenir des pièces, notamment Good Boy, reste très vivace. Il n’en fallait pas moins pour tenter de cerner la personnalité artistique de cet “électron libre”, montrer les multiples facettes de l’interprète puis du chorégraphe. Ce travail monumental décortique les pièces dans un travail de recherche pointue qui n’exclut pas l’émotion. On navigue entre les entrées de cet ouvrage conçu comme un abécédaire, porté.e.ss par le travail photographique remarquable.
La danse, le désordre et l’harmonie de Dominique Delouche
Paru le 1er septembre 2020 aux éditions Orizons
Ce qu’en dit la 4e de couverture – Puisant dans ses souvenirs de tournage, au regard de sa caméra et des liens qu’il a tissés avec eux, Dominique Delouche évoque ici les plus grands danseurs et chorégraphes, de Lifar à Jerome Robbins, de Vassiliev et Plissetskaïa à Markova, de Chauviré à Guillem, de Vassiliev à Noureev en passant par les plus grandes étoiles de l’Opéra de Paris. Anecdotes, admiration, études stylistiques éclairent cette trentaine de portraits et constituent un essai sur l’histoire récente du ballet.
L’auteur – Dominique Delouche est le réalisateur de 24 heures de la vie d’une femme, de L’homme de Désir, de Divine. Il est aussi le cinéaste de la danse.
Notre avis – Une vie de souvenirs se dessine au fil des pages. Une vie à côtoyer les danseur.euse.s, à les sublimer, les filmer, chercher à les comprendre. Comme une sorte de making off de ce qu’il n’a pas pu montrer, le réalisateur livre les rushes restés dans les cartons de ces pygmalions, muses, dieux et déesses de la danse. La plume est acérée, un peu caustique, parfois vacharde mais la fine connaissance de ce milieu excuse tout. Le monde qu’il restitue entre les lignes appartient au passé. Défilent les grandes figures du XXe siècle, de Yvette Chauviré à Maurice Béjart, de Serge Lifar à Violette Verdy et la nostalgie affleure à de multiples occasions. Une véritable déclaration d’amour à la danse d’un connaisseur avisé.