[Retransmission] Gala 2020-2021 du Ballet de l’Opéra de Paris
Le Gala AROP (Association pour le Rayonnement de l’Opéra de Paris) qui ouvre la saison danse de l’Opéra de Paris aurait dû se tenir en septembre, Pandémie oblige, le tout fut décalé à fin janvier… avant finalement d’être annulé, les théâtres devant rester fermés. Quoique annulé, pas tout à fait. Par le soutien de ces mécènes, entreprises comme particulier, l’AROP a pu maintenir la représentation, la filmer et la diffuser gratuitement sur la plateforme L’Opéra chez soi, dès le 30 janvier. Un programme un peu court (tout juste une heure de danse) , ouvert par un étrange Défilé masqué, mais composé de trois pièces bien choisies, montrant à la fois ce qu’est la danse française comme la vivacité de la danse néo-classique. Le tout porté par des Étoiles et solistes brillant.e.s, en très grande forme malgré les conditions, et au plaisir évident et débordant de retrouver la scène et le public, même si ce n’est que pas écran interposé.
Benjamin Millepied l’avait mis en place, Aurélie Dupont l’a continué : un gala en bonne et due forme pour ouvrir chaque saison du Ballet de l’Opéra de Paris, par l’AROP (association des mécènes de l’Opéra de Paris) et pour l’AROP. Et à vrai dire, un spectacle ne faisait pas forcément l’unanimité chez les habitué.e.s. Tarifs prohibitifs qui de fait le fermait à un large public, programme court, échos dans les médias bien plus par les invité.e.s que par les danseur.se.s, surtout une mainmise sur le Défilé du Ballet qui, depuis quelques années, n’était programmé que lors de ce gala, privant ainsi une large partie du public de ce moment si particulier dans la vie de la compagnie. Mais 2021 est une année à part à plus d’un titre. Soutenu, malgré l’absence de spectacle et donc de visibilité, par d’indéfectibles mécènes (Chanel, Rolex, mais aussi des particuliers), le Gala de la Danse a non seulement pu se tenir, mais a été filmé pour une diffusion pour tout le monde sur L’Opéra chez soi, gratuitement (alors que La Bayadère était en VOD pour 12 euros). Une opération de l’AROP pour tout le monde, et pas seulement pour ses membres même si ceux-ci ont eu accès à la diffusion trois jours plus tôt, ce n’est pas si fréquent. Et c’est d’autant plus heureux que les occasions de renouer le contact entre artistes et public se font rares. Et que le spectacle a offert trois beaux moments de danse, de ceux qui rendent joyeux et apaisent en ces périodes anxiogènes, avec une galaxie d’Étoiles rayonnantes.
Tout commence pourtant d’une étrange façon : le traditionnel Défilé du ballet… masqué. Vu le nombre d’artistes en coulisse (250 entre les membres de la compagnie et les élèves de l’École de Danse), il était impossible de maintenir ce moment sans masque. Alors, le donner avec ou tout simplement l’annuler ? La question n’est pas facile à trancher, et il n’y avait sûrement aucune solution idéale. Personnellement, ces 20 minutes de Défilé – traditionnellement un moment de fête – dans un silence total, sans applaudissement et tout le monde avec masque chirurgical, m’ont mise mal à l’aise. Mais quelle tristesse ! Et quelle étrange impression cela a dû faire à un public néophyte ne connaissant pas cette tradition – des sous-titres pour donner le nom des Étoiles et des Premiers danseurs et danseuses n’auraient franchement pas été de trop.
Alors à quoi bon mettre en place et filmer le Défilé pour un rendu aussi étrange et bizarre ? Peut-être parce qu’il tient une place particulière dans la compagnie, qu’il reste une occasion unique pour tous ces artistes de se retrouver, d’autant plus pour les Petits rats privés de scène depuis plus d’un an. Ces moments sont précieux par temps de pandémie. Et puis ne vivons-nous pas dans un ballet de gens masqués au quotidien depuis un an ? Cet étrange Défilé est aussi à l’image de notre époque et du quotidien d’artistes continuant malgré tout à faire leur métier. Malgré un sentiment de vivre un moment plutôt glauque, je ne peux donc arriver à me prononcer sur la pertinence de ce Défilé. Mais de noter tout de même pour la bonne nouvelle que, pour la première fois, les danseuses métisses et noires avaient droit à des collants de leur couleur chair. Que cela puisse clouer le bec aux quelques récalcitrant.e.s : non, ces différences visuelles ne nuisent en rien à l’unité de la troupe et à la superbe formalité que reste le Défilé.
Le programme était ensuite constitué de trois pièces plutôt bien choisies – virtuoses, sensibles et demandant peu de gens en scène, parfait par temps de Covid – à la fois très accessibles pour le public et donnant une vraie nourriture technique tant qu’artistique aux interprètes. Hugo Marchand et Valentine Colasante ouvrent le bal avec le Grand pas classique de Victor Gsovsky. Pas de deux emblématique de l’école française, créé d’ailleurs pour Yvette Chauviré en 1949, le duo demande à la fois une magnifique technique maîtrisée, un sens de la musique et du style, de l’élégance et ce petit truc en plus qui transforme un classique des concours en pièce magistrale.
Les deux Étoiles ne sont à vrai dire pas forcément les mieux assorties pour cet exercice dans leur façon de l’aborder, même s’ils ont tous les deux montré une aisance superlative. Cheveux aux épaules et grand sourire, Hugo Marchand était en mode jeune premier, absolument irrésistible dans sa virtuosité toujours d’une suprême élégance. Sa variation était tout simplement une leçon de style à la française. Valentine Colasante, pour sa part, jouait plus dans la retenue. Naturellement à l’aise dans les rôles terriens – Kitri and co – elle semblait ici un peu empruntée, comme encore hésitante dans la façon d’aborder avec style ce Grand pas classique. Ce qui pouvait parfois donner l’impression qu’elle marchait un peu sur des oeufs, alors qu’il n’en était rien : superbes équilibres dans l’adage, variation savoureuse sachant jouer des ralentis et accélérés pour mettre ce qu’il faut de piquant, fouettés finals magistraux. L’on sentait un peu plus qu’elle y faisait ses débuts et qu’elle n’était pas forcément des plus familières de cette chorégraphie, surtout dans la façon de l’aborder. Mais il faudra voir comment la ballerine se l’approprie au fil des années, d’autant qu’elle participe, en temps normal, à de nombreux galas propices à une reprise de ce Grand pas classique. À noter que les costumes de cette pièce avaient été recréés pour l’occasion par Chanel, mécène de ce gala, d’une superbe façon dans des tons bleu nuit. L’on espère que d’autres programmations permettront de les admirer, contrairement à Variations de Serge Lifar, pièce ressortie pour un précédent gala avec aussi de nouveaux costumes de Chanel, mais depuis restée au placard.
In the Night de Jerome Robbins permet de plonger dans une veine plus néo-classique et romantique, sur la musique de Chopin. Oeuvre majeure du maître américain, elle fait évoluer trois couples à différents moments d’une histoire d’amour : d’abord de jeunes amoureux hésitant à se séparer, puis un couple plus âgé, plus posé, enfin un troisième qui ne vit qu’entre querelles et réconciliations. Les trois duos ont montré un admirable sens du pas de deux, au centre d’In the Night, même s’il semblait que les couples avaient parfois été intervertis dans leur histoire. Et après tout, pourquoi pas ? Une œuvre reste libre d’interprétation. Plus que jeunes amants, Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero jouaient plutôt au couple essoufflé avec une longue histoire, se résignant à se séparer même si les sentiments sont encore à fleur de peau. Lui est plus timide, elle est lumineuse au bout de ses bras, les deux ensemble nous emmènent et nous racontent leur histoire, à la fois unique et dans la grande banalité de l’amour. Plus que vieux couples, Léonore Baulac et Germain Louvet ont plutôt l’allure de deux jeunes tourtereaux mis ensemble par un mariage de convenance. Ils semblent comme s’apprivoiser, répétant consciencieusement les pas de l’amour que l’on leur a appris, espérant que de là naîtra la passion amoureuse. À mi-parcours, l’épouse sort des clous et s’envole, espérant pousser son mari un peu froid dans ses retranchements, même s’il ne semble pas bien comprendre ce qui lui arrive. Peut-être se résigne-t-elle sur le porté final…
Alice Renavand et Stéphane Bullion sont par contre on ne peut plus dans le thème en jouant au couple Je t’aime moi non plus, avec ce qu’il faut d’emportement, de drame, de larmes, de retrouvailles fougueuses et de cette pointe de too much qui donne tout le sel de ce pas de deux. Magnifiquement assortis, ils montrent leur aisance naturelle dans le répertoire dramatique, recréant là encore toute une histoire en quelques minutes. Et d’espérer que la Covid et la programmation laisseront le temps à Alice Renavand de s’emparer de Tatiana ou de Marguerite avant son départ.
Après ce moment intimiste, le fabuleux The vertiginous thrill of exactitude de William Forsythe arrive comme un parfait contrepoint : léger, virtuose, délicieux et éclatant comme une couple de champagne. Avec le génie que l’on lui connaît, le chorégraphe s’amuse des codes de la danse classique, rendant à la fois hommage aux grands maîtres et à cette technique magique tout en jouant des décalés et des surprises. C’est un moment éclatant de danse comme de virtuosité fulgurante, d’autant plus que le tempo de la musique – le Final de la Symphonie n°9 de Schubert – était particulièrement rapide. Les cinq interprètes du soir s’en donnent tous à cœur joie, visiblement heureux d’être sur scène et de partager ce si joyeux moment de danse avec le public. On aime bien sûr le sourire éclatant de Hannah O’Neill ou l’aisance de Paul Marque. Il était cependant difficile de quitter des yeux la tornade Ludmila Pagliero, tout simplement déchaînée, ou le formidable Pablo Legasa, qui en plus de sa technique possède toute la coolitude et le déhanché forsythien, qui semble inné chez lui.
Et… Et… Ce fut tout. Études de Harald Lander était aussi en répétition mais des soucis de droit aurait empêché sa diffusion. Et visiblement rien n’était possible, dans tout le répertoire de l’Opéra, pour remplacer cette pièce et permettre à d’autres Étoiles de briller. On ne peut que regretter, ainsi, les absences de Dorothée Gilbert ou Mathias Heymann, au sommet de leur art. Bien sûr, tout est compliqué par temps de Covid, d’autant plus dans l’organisation de cette institution où rien n’est jamais simple. Néanmoins, quand on regarde ce qui se fait ailleurs avec les mêmes conditions sanitaires – une captation de Giselle montée en quelques semaines à Milan, de nouvelles créations montées et filmées à toute vitesse à Rome, des galas de trois heures à Londres ou Amsterdam – on ne peut s’empêcher de trouver la Direction de la Danse bien peu réactive. À l’heure où la réouverture des théâtres ne semble pas être pour tout de suite, l’on ne peut que souhaiter revoir rapidement ce genre de soirée, permettant aux artistes de danser et de maintenir ce fil si précieux avec le public.
Gala 2020-2021 AROP du Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier, vu en VOD.
Le Défilé du Ballet, avec les artistes du Ballet de l’Opéra de Paris et les élèves de l’École de Danse de l’Opéra de Paris ; Grand pas classique de Victor Gsovsky avec Hugo Marchand et Valentine Colasante ; In the night de Jerome Robbins, avec Ludmila Pagliero, Mathieu Ganio, Léonore Baulac, Germain Louvet, Alice Renavand et Stéphane Bullion ; The vertiginous thrill of exactitude de William Forsythe avec Amandine Albisson, Ludmila Pagliero, Paul Marque, Hannah O’Neill et Pablo Legasa.
À revoir en ligne sur la plateforme L’Opéra chez soi.
Mbertrand
Merci pour votre article: j’ai personnellement été extrêmement touchée par ce défilé masqué, que j’ai ressenti à la fois comme une obligation sanitaire mais aussi comme un acte artistique de provocation. Et en même temps, je trouve cette captation historique : oui c’est triste et en même temps, la beauté de défiler malgré tout dans ces conditions m’a bouleversée encore plus que d’habitude..
Lili
Les ayants droits de Harald Landler sont insupportables. Il suffit de voir comment la moindre seconde de captation de ce ballet est censurée, quand elle est possible ils réclament que le nom soit écrit en gros et gras partout….et si oubli, on a droit non seulement à un rappel (ce qui est légitime) mais à une volée d’insultes sur fond d’égo énorme, comme si c’était leur oeuvre et qu’on attaquait leur génie et non celle de leur ancêtre décédé qu’ils exploitent visiblement comme la poule aux oeufs d’or. Je suis étonnée que l’Opéra de Paris n’ait vu venir le coup, ils doivent les connaître….
Choi
Pour ma part j’ai vraiment trouvé très pénible le Défilé masqué, car c’est un moment où les danseurs sont eux-mêmes malgré leur tenue de travail et on les prise de leur visage, comme une négation de leur identité. Et les voir saluer des fauteuils vides, non vraiment trop triste. Mais cela a peut-être permis de ressouder la Troupe. Quant au spectacle, je trouve bien dommage qu’on sépare un couple qui fonctionne à merveille, Hugo Marchand et Dorothée Gilbert c’est une évidence. Là il ne se passait pas grand chose entre Hugo et Valentine Colasante , techniquement impressionnante. J’ai été subjuguée par Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero, beauté émotion, raffinement; moins conquise par Léonore Baulac et Germain Louvet malgré les beaux portés, mais c’est probablement subjectif, je n’ai pas senti de communication entre eux et je n’ai pas compris l’histoire. En revanche la dispute entre Alice Renavand et Stéphane Bullion fut un très grand moment de perfection narrative et de danse aussi, quelle maîtrise dans les portés acrobatiques, vraiment du grand art . Et au passage, on voit très bien tout ce qui a pu inspirer Neumeier pour sa Dame aux Camélias….puis ce fut la pyrotechnie du Frisson Vertigineux de Forsythe, étourdissant. On aurait aimé que la soirée dure plus longtemps, afin d’admirer tous les beaux talents de l’ONP, étoiles et premiers et premières danseuses. 1h de ballet c’est trop court et bien chiche comparé à ce que proposent nos voisins européens….
Fanny
Bonjour,
Merci pour votre article. C’est sûr que c’est étrange de voir la plus jeune petit rat apparaître masquée mais ce qui me frappe le plus (lors de la Bayadère, j’ai ressenti la même chose), c’est l’absence d’applaudissements, ce silence un peu mortel…
Les masques au fond, sont le reflet de notre époque, mais j’ai aussi trouvé que cela faisait ressortir la beauté des regards, une sorte de provocation à la fermeture des lieux de culture. Et en cela, je l’ai apprécié. Un moment un peu étrange, le regard perdu d’Emilie Cozette (?) au moment de quitter la scène…
Mais l’appel de Mathieu Ganio à tous les danseurs à la fin m’a fait sourire de nouveau.
Quelle belle compagnie !
Pablo Legasa, prochaine Etoile ?
Senga
Merci Amélie pour cet intéressant article. En ce qui me concerne, j’ai trouvé le défilé sous la marque du temps présent, avec le masque et ce silence qui rendaient le reste un peu mécanique, comme un signe subtil de l’étouffement des vitalités que nous connaissons aujourd’hui. Finalement nous pouvons déceler beaucoup de choses, la volonté de faire quand même, l’éteignoir progressif de nos vies, la flamme, l’ennui ou l’angoisse qui se cachent derrière les masques. Fallait-il montrer ce défilé ? Oui, indéniablement !
Merci aux mécènes d’avoir rendu cette projection possible, même s’ils en ont profité pour se faire de la pub.
Pour Lili, je pense que les Robbins et Balanchine Trust sont beaucoup plus intraitables que Lander mais peut-être n’ai-je qu’une vue partielle des choses..
Ces
Et pas de François Alu…
moi
Par contre, il faudrait absolument que les équipes vidéo apprennent à éditer de la danse… Trop de mouvements de caméra! Cela donne le tournis et empêche de suivre correctement la chorégraphie!
Triste défilé avec ces masques, mais la captation témoignera d’une époque… C’est ainsi…
Lili
Je viens de me rendre compte que Mathias Heyman et MOB n’ont pas défilé…. Test positif? Cela faisait un gros vide, surtout côté masculin où l’ffectif est faible…
Pour François Alu, il était peut-être prévu sur le Etudes non donné? C’est un ballet qu’il a, si mes souvenirs sont bons, déjà dansé. Mais j’aurais beaucoup, beaucoup aimé le voir dans le Grand pas classique.
Pour Senga, j’ai compris en effet que les trust Balanchine et Robbins sont intraitables mais ils sont “carrés”, c’est à dire qu’ils exigent des choses pour donner leur accord et puis ils le donnent, j’imagine assez une négo à l’américaine, serrée mais juridique. Les ayants droits pour Etudes sont imprévisibles et hystériques, du genre à décider au dernier moment que non en fait ils ont changé d’avis. Mais bon, on ne saura pas….
Magnifique soirée en effet, ça fait du bien !! Pour ma part j’ai adhéré à la proposition de Louvet/Baulac, j’y ai plutôt vu un couple dans une routine qui pourtant a du contenu affectif, le couple calme et soudé. Mais la tornade Renavand/Bullion !! Ces deux-là sont étonnants, parfois décevants, soudains éclatants et charismatiques dans les rôles forts, comme ici. Pagliero/Ganio m’ont moins donné l’impression du jeune couple qui se rencontre que du couple inscrit dans une relation fondée sur la poésie, un couple un peu “dans la lune”, et c’était magnifique.