[En répétition] Quand l’Étoile italienne Carla Fracci transmet Giselle
Dans ces temps troubles du coronavirus, chaque spectacle de danse (ou autre) réalisé malgré les contraintes sanitaires est un véritable miracle. Et même présentée uniquement en ligne, la reprise de Giselle par le Ballet de La Scala en replay sur la Rai constitue l’un de ces miracles, une véritable perle dans un océan de larmes (culturelles). Avec un petit plus : avant la diffusion, la compagnie a partagé deux émouvantes séances de répétition données par l’ancienne Danseuse Étoile italienne Carla Fracci. Qui, à 84 ans, démontre clairement à cette occasion que l’expérience compte plus que l’âge pour transmettre.
Ancien Danseur Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris, directeur du Ballet de l’Opéra de Vienne pendant dix ans, Manuel Legris a été nommé directeur du Ballet de la Scala en février 2020. Arrivé en poste en décembre dernier, il propose déjà son premier gros projet : une reprise de Giselle, emblème du ballet romantique créé en 1841, diffusée en streaming sur la télévision italienne le 30 janvier dernier. Pour partager une émotion avec le public, même virtuel, la Scala a décidé de rendre publiques deux séances de coaching dirigées par l’ancienne Danseuse Étoile italienne Carla Fracci. Et ce choix n’est pas un hasard. Véritable spécialiste du rôle-titre qu’elle a dansé à de nombreuses occasions, elle est considérée comme l’une des interprètes ayant montré l’âme profonde du personnage. Elle a d’ailleurs coutume de dire : “Le spectaculaire ne doit jamais l’emporter sur l’investissement émotionnel“. Et racontait par ailleurs, du temps de sa carrière, considérer Giselle comme “une amie très chère, avec cette précision : Quand je danse ce ballet, je ne veux que raconter très simplement l’histoire de ma meilleure et immortelle amie“.
Cette grande dame de la danse, aussi menue que frêle et tout de blanc vêtue, comme pour mieux s’imprégner du personnage, réussit à transmettre avec force et persuasion les finesses du rôle complexe de Giselle, une jeune fille ordinaire ayant un destin extraordinaire. La masterclass du vendredi 29 janvier, qui se tenait en présence de Manuel Legris – bien reconnaissable malgré son masque réglementaire- , se concentre sur le magnifique pas de deux du deuxième acte, marquant les retrouvailles de Giselle, alors devenu Willi, avec Albrecht pétris de remords. Pendant environ 45 minutes, s’exprimant dans la jolie langue de Dante, Carla Fracci encourage (“Vai, vai, ecco, aspetta“), ralentit (“Piano, piano”) ou complimente (“Bene“) tour à tour Nicoletta Manni, la Giselle du deuxième acte, tout en frémissant quelques notes par moments. Soulignons au passage que la Scala a décidé d’adopter le principe de faire danser un même rôle par plusieurs Étoiles, comme c’était le cas avec La Bayadère du Ballet de l’Opéra de Paris, et c’est Martina Arduino qui danse la Giselle du premier acte lors de cette diffusion. Après un court temps d’observation lorsque les jeunes Étoiles (notons que le rôle du prince Albrecht est dansé par l’incroyable Timofej Andrijashenko au deuxième acte, et par Claudio Coviello au premier) montrent une petite partie du pas de deux, Carla Fracci se lève et reprend certains gestes ou portés, précise des expressions et ralentit les danseurs et danseuses parfois pour mieux faire ressortir le côté lyrique des mouvements.
Point primordial que souligne Carla Fracci lors de cette masterclass : la gestuelle du personnage féminin. Tantôt ronds, tantôt élongés, les mouvements de bras de Giselle nécessitent une attention et un apprentissage spécifiques. Autre point abordé : le rythme, quelque peu mis à mal au début du coaching à certains moments. Et le prince Albrecht pendant ce temps-là ? C’est clair que la séance se concentre sur Giselle : l’adage de l’Étoile masculine n’est pas montré. Le danseur passe donc le plus clair de son temps entre courir sur la scène (comprenez, dans le studio) et allongé sur le côté, ce qui est, rappelons-le, sa position à la fin de ladite variation. Mais Carla Fracci n’oublie pas de s’adresser à lui par moments, et l’encourage même en lui touchant légèrement les cheveux, dans un geste quasi maternel. La coach montre ensuite le passage où Giselle court vers le prince pour le faire se relever. Il est tout de suite évident que l’ancienne Danseuse Étoile se souvient de chaque note, de chaque geste, de chaque expression.
Un moment de pure poésie d’un bout à l’autre que cette masterclass animée par une grande pédagogue, qui se termine par des applaudissements mérités des personnes présentes dans le studio. Et, cerise sur le gâteau, le lendemain, pendant le pas de deux du deuxième acte, le travail de Carla Fracci est bien visible : rythme, gestuel, expressions, tout y est… Merci Carla.