Les Clichés de la danse – Il n’y a que des filles en cours de danse !
» Oh les filles, oh les filles… Elles nous rendent marteaux ! « , pourrait-on presque fredonner en rentrant dans une salle de danse. Au bonheur des dames, la danse tient une place de choix… à se demander si la pratique n’est pas exclusivement féminine. Pourtant, dans l’histoire de la danse, cet art n’a pas été réservé qu’aux filles, loin de là. Et encore aujourd’hui, la danse est dominée dans ses instances dirigeantes par des hommes. Les Clichés de la Danse se penchent ainsi ce mois-ci sur le mythe : la danse c’est pour les filles !
Le paradoxe
Encore et toujours à notre époque, les effectifs de cours de danse sont à l’écrasante majorité composés d’un public féminin. Et pourtant, le milieu de la danse a été et est toujours dominé et géré par des hommes. Mais quel est donc ce paradoxe ?
Avant même le langage, le mouvement corporel était notre moyen d’expression, de communication et d’échange. Dans l’Ariège, la grotte des Trois Frères garde le témoignage de la « première » danse. Je vous le donne en mille… C’est un homme désigné comme Le Sorcier Dansant ! La spiritualité et l’art de la danse en ont fait un excellent moyen pour exprimer les croyances, les peurs, l’intériorité de chacun et chacune. Pensons à la danse de la guerre ou de la chasse pour se donner du courage, la danse en armes en Grèce qui simulait un combat et tant d’autres. Bref, dès le début de nos civilisations, on draguait, on se soignait, on priait ou on festoyait en dansant. Tout cela a donné naissance à un nombre important de chorégraphies réalisées par des hommes… tout autant par des femmes,des enfants, des couples, des peuples : la carole, la saltarelle, le menuet, la sarabande, la pavane…
La danse, un art… masculin
Il a bien fallu un jour mettre de l’ordre dans toutes ces danses. Magnifier, codifier et institutionnaliser pour créer l’exception culturelle à la française, voilà l’idée de Louis XIV. Déjà à l’époque, il avait un temps d’avance : à bas les fakes news et autres actes malveillants, la danse est un art qui doit être codifié s’il vous plaît ! La Ballet de cour est ainsi un genre de spectacle créé à la Cour de France. Outil dansé par les familles royales et les courtisans, il servait de divertissement, de bienséance, d’éducation mais aussi de diplomatie et de propagande politique… Majoritairement pratiqué par des hommes. Et oui, au début de son histoire, la danse classique est avant tout un art masculin. Nous avons d’ailleurs tous un nom en tête : Louis XIV, surnommé le Roi Soleil, et parfois perçu comme le premier Danseur Étoile de l’histoire. Et c’est grâce à lui que sont nés l’entrechat trois ou l’école de danse de l’Opéra de Paris !
À partir de là, la danse se crée des rigoles inépuisables de savoir, de développement, d’oeuvres, de chefs-d’oeuvre. Pierre Beauchamps créant les cinq positions, Jean Georges Noverre devient le premier théoricien, Marius Petipa crée ses grands ballets, suivent Enrico Cecchetti, Jules Perrot… On a remplacé Terpsichore par la famille Vestris ! Quelques femmes se glissent cependant dans cette construction, comme Mademoiselle de La Fontaine ou Marie Sallé, mais sont trop souvent oubliées des livres d’histoire.
La danse, un truc de filles… ou pas
La professionnalisation exclusivement masculine de la danse s’ouvre petit à petit aux femmes et permet ainsi l’émergence de grandes danseuses comme Marie Taglioni ou Carlotta Grisi. Et petit à petit, la danse classique, jusque-là dominée par les hommes, devient une affaire de femmes. « Avec la Monarchie de Juillet en 1830, la danse devient ‘une affaire de femmes’ et les danseurs délaissent cet art« , nous expliquait l’historienne Hélène Marquié. Avec son lot de clichés et de mépris vis-à-vis de toutes choses dominées par les femmes. Port de tête, élégance, souplesse et l’émergence des pointes sont l’apanage des femmes… et sont autant de qualités censées être impossibles par le commun des hommes. Plus d’un siècle plus tard, nous en sommes encore là ! Ce qui est bien méconnaître et stigmatiser la danse.
Car faisons un micro-trottoir. Demandez ainsi à votre entourage de vous citer le nom d’un danseur ou d’une danseuse. Qu’allez-vous vous entendre répondre ? Fred Astaire, Gene Kelly, Rudolf Noureev, Michael Jackson, John Travolta, Mikhaïl Barychnikov, etc. Une vraie liste des grands artistes de la danse au masculin. Je vous laisse ainsi réfléchir…. La danse, vraiment, c’est uniquement pour les filles ?
Voilà tout le paradoxe de la danse classique, encore aujourd’hui. Sur les 19 centres chorégraphiques nationaux (CCN), seulement quatre sont dirigés par des femmes. L’Opéra de Paris n’a jamais eu de directrice générale. Seulement 33% des femmes sont à la direction d’établissements culturels. S’il n’y a que des filles au cours de danse, où sont-elles passées une fois adultes ? Et s’il n’y a pas de garçons en cours de danse, pourquoi sont-ils si présents dans les directions économiques, sociales et historiques dans le milieu chorégraphique ? La danse n’évolue pas en marge de la société, elle en est un miroir. À nous ainsi de lutter contre les clichés en incitant nos petits garçons à s’inscrire en cours de danse… et à convaincre nos filles qu’elles peuvent diriger et chorégraphier.
Freddy Dellerm
S’il est vrai que la maison Opéra de Paris n’a pas encore eu de directrice, la danse y est depuis longtemps dirigée par des femmes, à l’école de danse tout comme à la tête de la compagnie.
Lili
On peut en effet souligner que l’Opéra cultive le cliché en réservant la direction de la Danse à une femme et la direction musicale à un homme. Il serait bon que ça change, d’un côté comme de l’autre. L’aventure Millepied ayant terminé comme on le sait, faut-il y voir un lien avec sa masculinité? Peut-être…
En attendant, il faudrait oser regrouper les garçons qui font de la danse dans plusieurs écoles en une seule classe de garçons, ou au moins leur proposer des stages « garçons ». Etre le seul mec au milieu des filles, c’est un repoussoir pour eux… et leurs parents. Un loisir c’est aussi un moment d’entre soi. Dans tous les sports, on créé des sections féminines pour encourager la pratique des filles (au foot, au rugby, ou même dans les sports individuels comme l’escrime). Il n’y a aucune raison pour ne pas faire de même avec les garçons.
Et ….stop au collant !!! Le collant de danse est un autre repoussoir terrible pour les parents. C’est une expérience qui m’étonne car j’y suis habituée, mais chaque fois que j’ai emmené des amis à l’opéra ou à des cours de danse avec des garçons, même mes amis les plus bobos, anti stéréotypes de genres, féministes… ont admis que c’était…bloquant. Quant à mes amis issus de l’immigration récente, la c’est le scandale, le collant et la gaine pour les garçons est vécu comme une humiliation. C’est dommage mais on gagnerait du temps à remettre les jeunes danseurs… en short. Ou à leur créer une tenue de sport adaptée. Utilisable par les filles aussi pourquoi pas, parce que le collant de danse c’est quand même très désagréable (quelle joie d’avoir trouvé une alternative après 3 décennies de pratique !!)
Freddy Dellerm
Pas d’accord, chère Lily. Si on aime la danse classique, on en adopte les codes. Le collant et la gaine ne sont pas humiliants, (on les oublie très facilement), et le but des tenues de danse classique, vous le savez sans doute, c’est de n’entraver aucune ligne du corps, notamment, pendant les cours, pour que le professeur observe l’engagement de tous les muscles et corrige en fonction de ce qu’il voit. Est-ce que vos amis de l’immigration récénte vont aussi remettre en question les tenues féminines qui dévoilent le corps des femmes dans leurs moindres détails? Et quid des portés et autres positions parfois très suggestives? Faudrait_il aussi adapter tout cela? Non, personnellement, je ne suis pas du tout d’accord. On peut ne pas aimer la danse classique, mais si on l’aime, c’est avec toutes ses spécificités.
Lili
Pour ce qui est des places de direction … plus encore qu’ailleurs, la direction d’institutions culturelles entraine des contraintes d’horaires considérables. Les spectacles sont en soirée !! Pour un parent, c’est un mode de vie compliqué, et comme les femmes sont toujours les plus impliquées à la maison et les plus sensibles à l’équilibre…
Et puis ne caricaturons pas (trop) : le monde de la culture est un monde de requins. Et les femmes fuient plus vite cet état d’esprit, soit parce qu’elles ne tiennent pas, soit, souvent parce qu’elles n’ont tout simplement pas envie de rentrer dans ce système qui heurte leurs valeurs et prend une énergie considérable qui n’a rien à voir avec la culture. Elles ne sont pas les seules, je vois maintenant pas mal d’hommes qui, arrivant dans le milieu, fuient pour les mêmes raisons. Ils sont sans doute juste moins nombreux. Et ceux qui restent savent se coopter…
Titouan
Bonjour, je suis un garçon qui fait de la danse classique. D’accord avec Lili sur son 2d message et sur le début du 1er (proposer des stages etc). Mais pas sur la question de la tenue. Le short ce n »est pas commode, dans mon cours de danse on est six garçons d’age lycée, on préfère tous le collant, arguments qu’ils disent (et je suis ok) c’est plus adapté aux mouvements et c’est plus beau. Pour ceux que vous dites « bloqués » par cette tenue, à eux d’évoluer. On n’a pas à se soumettre aux exigences des coincés ou de puritains. J’ai des amis qui font de la natation et du plongeon, devraient-ils aussi renoncer à la tenue adaptée parce que trop moulante aux yeux de certains ? Avec la même logique on va exiger des tenues plus « pudiques » pour les danseuses, on pense à Tartuffe « cachez ce que je ne saurais voir ». D’ailleurs pour certains la danse en elle-même est « impudique »… Le vrai pb est que la danse classique est vue par bcp comme « pas virile ». Peut-être il faudrait plus insister sur sa dimension « sportive »?