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[Festival d’Automne] Bach 6 Solo – Lucinda Childs/ Robert Wilson/Jennifer Koh

Le Festival d’Automne, bousculé comme toutes les institutions culturelles par la pandémie, offre néanmoins une 50e édition d’une grande richesse, cumulant des propositions artistiques qui avaient pris corps il y a déjà deux ans. La programmation danse est ainsi à la fête avec deux longs portraits de la brésilienne Lia Rodrigues et de la franco-autrichienne Gisèle Vienne. Mais l’affiche marque aussi le retour très attendu de la chorégraphe américaine Lucinda Childs et de son complice Bob Wilson. Ce sont d’ailleurs eux qui ont ouvert cette édition 2021 avec un objet singulier, Bach 6 Solos. Une oeuvre pensée pour trois danseuses et deux danseurs dans l’écrin splendide de la Chapelle Saint-Louis de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Un lieu qui magnifie la violoniste virtuose Jennifer Koh, en scène durant deux heures sans discontinuer, interprétant magnifiquement les six Sonates et Partitas de Jean-Sébastien Bach. Moins spectacle que performance, c’est la musique qui s’impose avant tout et nous emmène vers des émotions intimes dans une chorégraphie minimaliste.

Bach 6 Solo de Lucinda Childs/ Robert Wilson/Jennifer Koh

Anne Teresa de Keersmaeker n’est pas seule à être envoûtée par la musique de Bach. Le musicien allemand est une mine de chefs-d’oeuvre pour les chorégraphes. La révolution rythmique dont il est l’auteur offre une infinité de possibles. Bob Wilson y perçoit quant à lui une résonance avec la musique de Philip Glass dont il créa l’inoubliable Einstein on the Beach. C’est à la faveur de la dernière reprise de ce spectacle mythique en 2013, alors que Jennifer Koh interprétait le rôle d’Einstein, qu’il entendit la violoniste jouer les sonates pour violon seul. Ainsi naquit l’idée d’un spectacle dont la forme n’était pas encore définie. Bob Wilson travaille toujours dans le tâtonnement d’un work in progress. La proposition du Festival d’Automne de créer dans l’enceinte de la Chapelle Saint-Louis a fondé le cadre de cette oeuvre. Et le lieu même en imposa les règles. Le processus de travail à trois, avec la chorégraphe Lucinda Childs, connut bien des péripéties liées à l’épidémie qui contraignit de répéter à distance et par Zoom, ce nouvel outil improbable des créateurs et créatrices aujourd’hui : « J’ai arrangé mon studio pour que les danseuses et les danseurs le voient clairement. Et la réalité a prouvé que l’on peut surmonter la difficulté de la chorégraphie à distance, qu’on peut élaborer et transmettre, aussi précisément que possible le mouvement dans l’espace à travers un écran à deux dimensions…« , explique Lucinda Childs.

Sans nul doute, en dépit des conditions de la création, Bach 6 Solos est une oeuvre où rien n’est laissé au hasard et où l’improvisation n’est jamais de mise, conformément aux dogmes de Bob Wilson, magicien de la symétrie et des lumières. Avec Lucinda Childs, ils ont imaginé un spectacle dédié à la Chapelle Saint-Louis. La scène reflète la structure octogonale du toit et c’est à l’exact centre que Jennifer Koh se place pour entamer ce marathon musical. C’est un ravissement de tous les instants et la violoniste est bien la raison d’être du spectacle dans lequel les quatre danseuses et danseurs semblent quelque peu perdus. Non qu’ils aient le moins du monde démérité : ils exécutent avec grâce le geste wilsonien, bras tendus et regard perdu au loin, ne se départissant jamais du hiératisme qui est l’immanquable signature de Bob Wilson. Il y a chez le metteur en scène américain un souci constant de la précision et le postulat que jamais le mouvement ne doit gêner la musique.

Bach 6 Solo de Lucinda Childs/ Robert Wilson/Jennifer Koh

Cette déconnexion apparente entre la musique et la gestuelle offre de fait un superbe écrin à l’interprétation de Jennifer Koh, qui tient l’auditoire durant plus de deux heures. En revanche, on peine souvent à décrypter le sens de la chorégraphie qui se fonde sur une succession de va-et-vient au rythme de la marche des interprètes, habillés de chasubles de voile blanc. Ils nous intriguent sans jamais nous fasciner, jusqu’à l’arrivée subreptice de Lucinda Childs qui, sur son interminable traine, porte une corde et traverse la scène dans un ralenti stupéfiant. La chorégraphe irradie alors de son charisme la Chapelle Saint-Louis, simplement en marchant. C’est d’une étrange beauté.

Mais cela ne suffit guère à se passionner pour la danse, qui est réduite à son expression la plus minimaliste. Ce qui fonctionnait à merveille pour des pièces comme Einstein on the Beach (1976) ou Le Martyre de Saint Sébastien (1987) – deux chefs-d’oeuvre de Bob Wilson  dans lesquels il convoqua la danse – reste là en panne et en-deçà de nos attentes. Le miracle ne se reproduit pas et l’on regrette que Bob Wilson et Lucinda Childs n’aient pas réussi  à trouver la clef pour nous parler eux aussi de cette musique. à tout le moins, leur travail est infiniment respectueux de celui de Jennifer Koh, qui donne à entendre Bach comme on ne l’a jamais entendu.

Bach 6 Solo de Lucinda Childs/ Robert Wilson/Jennifer Koh

Back 6 Solos de Bob Wilson (mise en scène) et Lucinda Childs (chorégraphie). Avec Jennifer Koh (conception et violon solo), dansé par Alexis Fousekis, Ioannis Michos, Evangelia Randou, Kalliopi Simou  et Lucinda Childs à Chapelle Saint-Louis de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Dimanche 12 septembre 20121. Le Festival d’Automne continue jusqu’en février

 



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