TOP

GöteborgsOperans Danskompani – Sharon Eyal et Hofesh Shechter

La Villette a fait revenir à Paris la GöteborgsOperans Danskompani, l’une des toutes premières compagnies de danse contemporaine européennes. La troupe suédoise, qui avait tellement marqué il y a quelques saisons avec Skid de Damien Jalet, proposait pour son étape à la Grande Halle un face-à-face passionnant entre Hofesh Shechter et Sharon Eyal. Soit deux pièces créées spécialement pour la troupe : Contemporary Dance et Saaba. C’est la première fois que ces deux chorégraphes stars partagent la même scène dans un mano a mano passionnant, imaginé par la directrice Katrin Hall. Issus du même terreau de la Batsheva, Hofesh Shechter et Sharon Eyal creusent leur sillon, privilégiant la danse de groupe dans un désir commun d’y puiser l’énergie vitale qui inonde la scène et la salle. A défaut de surprendre, cette soirée enthousiasme du début à la fin, alors que les deux chorégraphies servent à merveille l’excellence de la compagnie de Göterborg.

Contemporary Dance de Hofesh Shechter – GöteborgsOperans Danskompani

Sharon Eyal et Hofesh Shechter partagent beaucoup de choses dans leurs biographies respectives. Ils sont à peu de chose près de la même génération. Ils sont nés et ont grandi en Israël et c’est auprès d’Ohad Naharin à la Batsheva qu’ils ont construit leur carrière d’interprète, avant de vouloir s’en émanciper pour élaborer leur esthétique propre. L’une et l’autre se sont imposés comme des chorégraphes essentiels, fondant leur propre compagnie tout en collaborant abondamment avec les grandes institutions classiques ou contemporaines. Hofesh Shechter et Sharon Eyal étaient ainsi tous les deux au programme du Ballet de l’Opéra de Paris cette saison. Si leur style est très différent, on retrouve des lignes de force qu’ils ont forgées à la Batsheva. Comme un goût commun pour le lâcher-prise du style Gaga créé par Ohad Naharin, qui flirte parfois avec l’état de transe. L’envie de travailler le groupe, de le modeler dans un ensemble qui se compose pourtant de personnalités identifiables. Le refus de surcharger leurs oeuvres de sens. Il faut ainsi souvent dans les chorégraphies de Sharon Eyal et Hofesh Shechter se contenter du titre comme évocation poétique, même si ce dernier ne rechigne pas parfois à parler en voix off dans ses chorégraphies.

Là s’arrête le creuset qui les a formés. De cette source commune, ils ont développé un style reconnaissable entre tous et que l’on ne pourrait confondre. Contemporary Dance qui ouvre la soirée est du Hofesh Shechter pur sucre : 15 danseuses et danseurs, vêtus comme tous les jours, colorés, uniques mais convergents dans un mouvement de groupe synchronisé sur une musique sur-saturée. Cet univers-là est propre à Hofesh Shechter, c’est sa marque de fabrique dont on pourrait redouter qu’elle ne devienne un tic. Mais il y a à chaque spectacle une sorte de miracle. Le chorégraphe, aujourd’hui installé à Londres avec sa compagnie, sait inventer de nouvelles symétries, une autre manière de bouger, exigeant de ses interprètes une performance physique démesurée. Hofesh Shechter est aussi musicien et compose les partitions électroniques de ses pièces, insufflant un rythme d’enfer qui louche vers le clubbing et les danses traditionnelles. Cela rend son travail percutant et immédiatement plaisant. Il y a quelque chose d’absolument irrésistible dans l’art d’Hofesh Shechter, une manière joyeuse d’imposer un moment festif et infiniment séduisant. Aucune compagnie ne semble d’ailleurs lui résister, et la troupe de Göterborg aux qualités physiques évidentes, interprète Contemporary Dance avec une gaieté contagieuse.

Saaba de Sharon Eyal – GöteborgsOperans Danskompani

Si Hofesh Shechter passe en force avec une sono à arracher les tympans, Sharon Eyal calme le tempo avec Saaba. Fidèle aux sons créés pour elle par Ori Lichtik, son univers se déploie dans un cadre lui aussi reconnaissable au premier coup d’oeil : l’usage constant des demi-pointes, la quasi-invisibilisation des sexes par des justaucorps qui ne laissent dépasser que des fragments de peau (spécialement créés par Maria Grazia Chiuri de la Maison Dior) et cette manière singulière de faire bouger le groupe comme une matière organique qui serait un tout. Cela pourrait ressembler à un format rigide et répétitif, mais Sharon Eyal est une pure magicienne du mouvement. Au sein de ces contraintes qu’elle s’impose et qu’elle impose, toute une variété infinie de nuances trouvent leurs voies. Un épaulement que l’on n’a jamais vu, des tremblements des bras en cadence, des corps qui se tordent pour mieux se redresser.

Et puis l’altérité  surgit. De ce qui paraissait de prime abord un ensemble homogène émerge des singularités. À y voir de plus près, les justaucorps ne sont jamais tout à fait identiques, ni exactement de la même couleur. Du groupe s’échappe subrepticement un danseur qui  joue seul sa partition. Là encore, on repère ce tropisme de Sharon Eyal, son goût pour offrir à tous et toutes son moment dans la lumière et ce souci constant du détail. La chorégraphe aime à faire bouger les visages, à leur octroyer une expressivité maximale. “Lorsque vous entrez dans ce monde, vous devez vous montrer pleinement, tel que vous êtes”, explique le danseur Duncan C Schultz. “Chaque cellule de votre corps, votre être tout entier, doit être là. C’est comme si Sharon faisait appel à nos côtés humain et animal pour les entrelacer et nous emmener dans un autre endroit. Danser son œuvre est  une sorte d’expérience transcendantale “. 

Saaba de Sharon Eyal – GöteborgsOperans Danskompani

On sort éreinté de cette soirée intense, portée par l’excellence de deux chorégraphes majeurs de l’époque et l’immense talent d’une compagnie de 45 danseuses et danseurs qui semblent savoir tout faire avec la même aisance. On a rarement vu Hofesh Shechter et Sharon Eyal dansés avec autant de justesse et de précision. La GöteborgOperans Danskompani possède un répertoire à faire tourner la tête, composé des personnalités chorégraphiques les plus innovantes, comme un merveilleux catalogue de la danse contemporaine. C’est unique en Europe et l’on guettera avec gourmandise leur prochaine venue en France.

 

La GöteborgsOperans Danskompani. Contemporary Dance de Hofesh Shechter, avec Jesse Bechard, Tsung-Hsien Chen, Sabine Groenendijk, Hiroki Ichinose, Janine Koertge, Valeria Kuzmica, Micol Mantini, Rachel McNamee, Einar Nikkerud, Riley O’Flynn, Endre Schumicky, Frida Dam Seidel, Lee-Yuan Tu, Joseba Yerro Izaguirre et Amanda Åkesson ; Saaba par Sharon Eyal, avecBenjamin Behrends, Miguel Duarte, Hiroki Ichinose, Janine Koertge, Valeria Kuzmica, Rachel McNamee, Riley O’Flynn,Christoph von Riedemann, Duncan C Schultz, Endre Schumicky, Frida Dam Seidel, Joseba Yerro Izaguirre et Amanda Åkesson. Mercredi 4 mai 2022 à la Grande Halle de la Villette. 

 



Poster un commentaire