Rencontre avec Marie Didier, nouvelle directrice du Festival de Marseille
La 27e édition du Festival de Marseille aura lieu du 16 juin au 9 juillet avec au programme 25 propositions artistiques portées par des artistes en provenance de plus de 34 villes réparties sur 18 pays. De la Friche la Belle de Mai à la Cité radieuse, 14 lieux seront investis dans la ville. Nommée directrice du festival en septembre 2021, Marie Didier, précédemment directrice de la Rose des Vents, scène nationale Lille Métrople Villeneuve d’Ascq, a pris ses fonctions en janvier 2022, succédant à Jan Goossens qui a dirigé le festival pendant six ans. L’occasion d’une rencontre avec elle pour revenir sur les grands axes de sa programmation au Festival de Marseille.
Comment avez-vous pensé la programmation de cette 27e édition sachant que le timing a été serré ?
Effectivement, j’ai eu peu de temps, mais je me suis engouffrée dans cette temporalité avec enthousiasme. Certains projets étaient déjà enclenchés depuis un ou deux ans. J’ai complété avec mes propres propositions. J’ai toujours regardé ce Festival avec beaucoup d’attention. J’aimais bien ce qu’il était devenu, les liens particuliers qu’il entretient avec la ville de Marseille. Leurs identités sont liées.
Vous avez vous-même une relation particulière à la ville de Marseille ?
J’y ai fait mes études. À l’époque, je m’y suis sentie libre de devenir quelqu’un. Puis, j’en suis partie. J’ai travaillé pour des scènes nationales comme Dieppe ou Saint-Quentin-en-Yvelines. En 2018, j’ai pris la direction de la Rose des Vents dans la métropole lilloise. Au bout de trois ans, j’ai saisi l’opportunité de renouer avec Marseille que j’adore. C’est une ville qui suscite certes des sentiments contrastés, mais où tout est possible. Si Marseille était une musique, ce serait du jazz. Aujourd’hui, c’est aussi l’une des villes qui possède la plus grande diversité d’origines, de cultures et l’enjeu est de voir comment on peut faire dialoguer tout cela.
La programmation d’un festival diffère-t-elle de celle d’un théâtre ?
Il me semble qu’il y a un plus grand espace de liberté, notamment ici à Marseille où les artistes investissent des lieux très différents, et peuvent ainsi proposer des formats singuliers. J’aimerais d’ailleurs beaucoup élargir la palette dans les prochaines éditions pour, dès l’origine, concevoir des propositions artistiques en adéquation avec les lieux. Par ailleurs, la temporalité d’un festival permet de concentrer beaucoup de choses dans un temps très court, de brasser les publics, fidèles et nouveaux, et de programmer des artistes peu présents dans les circuits plus classiques. Un festival, c’est le lieu de la découverte et de la prise de risque, le contraire de la convention.
Un festival, c’est le lieu de la découverte et de la prise de risque, le contraire de la convention.
L’identité du Festival de Marseille consiste, comme vous l’écrivez dans l’édito du programme de cette 27e édition, à “accueillir des productions transcontinentales qui parlent des mutations contemporaines, des grandes questions sociétales et nous invitent à un dialogue, vivant, actif et conscient avec le monde qui nous ent ure.” Qu’entendez-vous par là ?
L’édition 2022 célèbre l’altérité, un fil conducteur esthétique et artistique autant que politique qui prend une résonance particulière dans la période que nous vivons. J’entends par altérité un impératif de curiosité élémentaire à l’égard d’autrui adossé à un objectif de tolérance. Pour nous aider peut-être à vivre mieux collectivement et individuellement. Dans les propositions artistiques, on retrouve souvent une attention à autrui, comme par exemple aux corps différents, non académiques, aux récits qui ne sont pas ceux de l’histoire officielle, dominante, à des parcours singuliers.
Le festival accompagne de nombreux artistes marseillais.es. C’est le cas d’Andrew Graham qui présente Parade avec dix-sept interprètes en situation de handicap et valides.
Ce sera un moment fort de cette édition. L’Autre Maison, sa compagnie de danse inclusive installée à Marseille travaille depuis trois ans sur un projet original. Cette Parade, titre de la création, fait librement référence aux Ballets russes. Andrew Graham y explore toutes les manières possibles de communiquer par la parole et le mouvement. Avec sa singularité, chaque interprète donne une force au collectif inédite. Cette création illustre parfaitement le fil conducteur de cette édition et la diversité des esthétiques présentées.
La particularité du festival est de programmer beaucoup de propositions en plein air. En quoi cela lui donne-t-il une coloration singulière ?
La diversité des lieux permet de circuler dans la ville, de faire émerger une vibration particulière et de faire bouger et danser celles et ceux qui le souhaiteraient. En me parlant de son projet, la danseuse et chorégraphe Lisbeth Gruwez dont j’apprécie le travail depuis des années, m’a dit qu’elle envisageait une performance très glam-rock où musicien-ne-s, danseurs et danseuses pousseraient le public à entrer dans la danse avec eux. Nous avons besoin de renouer avec cette énergie et cette joie.
La diversité des lieux permet de circuler dans la ville, de faire émerger une vibration particulière et de faire bouger et danser celles et ceux qui le souhaiteraient.
Le festival est aussi ouvert à des projets innovants comme 100 % Afro qui permet d’aborder la façon dont l’art circule aujourd’hui sur les réseaux sociaux. C’est aussi là sa vocation : être poreux aux innovations artistiques ?
Il est une réalité que la pandémie a mis d’autant plus en lumière : la création, notamment chorégraphique, circule sur le net via notamment des réseaux sociaux, comme TikTok ou Instagram. L’afro-dance rassemble des danses variées d’Afrique et de la diaspora. Le projet 100 % Afro consiste à réunir durant sept jours une vingtaine d’interprètes d’afro-dance sous la direction artistique du chorégraphe nigérian Qudus Onikeku. J’aime cette idée de rassembler cette jeunesse pour qu’elle écrive collectivement une forme artistique qu’elle présentera à un public réel mais aussi virtuel. En effet, une plateforme Afropolis.org permettra de suivre en ligne l’événement. Le festival de Marseille doit se faire l’écho de ce qui se produit de plus inventif au niveau international.