Les 47e journées du Ballet de Hambourg
C’est un rêve de balletomane : chaque année, quand vient l’été, débute les Journées du Ballet de Hambourg. Un festival hors-normes durant lequel se succèdent sur la scène de l’Opéra les pièces du programme de la saison écoulée. S’y ajoutent une entrée au répertoire – cette année Le Conte d’hiver de Christopher Wheeldon – et une compagnie invitée, le Ballet National de Pologne avec The Tempest de Krzysztof Pastor . Et cela se termine par le fameux Gala Nijinsky mêlant les oeuvres de John Neumeier et d’autres chorégraphes. Après deux années de vaches maigres dues à la pandémie, ces journées de la danse ont de nouveau réuni la troupe et le public de Hambourg pour une fête grandiose et unique au monde.
47 ans déjà que ces Journées du Ballet de Hambourg ont lieu, alors que John Neumeier s’apprête à célébrer ses 50 ans à la direction de la troupe allemande. Un demi-siècle qui lui aura permis de façonner une compagnie, créer un répertoire fort d’une centaine de pièces et fidéliser un public qui le vénère. À 80 ans, il règne avec autorité et bienveillance sur la compagnie, mais aussi l’école qu’il a su créer. Et ce bilan ne cesse de s’enrichir à chaque saison. Ces 47es Journées du Ballet de Hambourg permettent, comme chaque année, de retrouver en scène sur une semaine les ballets qui ont marqué la saison. Et elles ont démarré avec le Ballet National de Pologne, qui avait cette année les honneurs de compagnie invitée. John Neumeier la connaît bien pour avoir remonté il y a peu le tube absolu de son répertoire La Dame aux Camélias. Krzysztof Pastor, qui la dirige, a proposé La Tempête d’après Shakespeare qu’il avait imaginé tout d’abord pour le Het National Ballet. Le ballet n’est pas sans intérêt grâce notamment à sa scénographie spectaculaire et à l’engagement de danseuses et danseurs excellents. Mais il n’est pas sans faille. Krzysztof Pastor utilise de manière trop basique le vocabulaire académique avec un excès roboratif de grands jetés. Il est plus performant lorsqu’il adopte une grammaire plus contemporaine dans la deuxième partie. Il laisse aussi trop souvent de côté la narration et échoue à nous raconter l’histoire de La Tempête.
À l’inverse, Christopher Wheeldon maîtrise parfaitement les clefs de la narration dans le ballet classique. Quelles que soient les complexités de l’intrigue du Conte d’hiver de Shakespeare, le chorégraphe britannique sait nous capter dans ces histoires de désordre amoureux. Il y mêle plusieurs styles, le ballet classique se voit ainsi entrecoupé de danses de caractères et de passages folkloriques fort bien menés. Le Ballet de Hambourg s’est glissé avec aisance dans cette école britannique d’aujourd’hui, qui reste extrêmement théâtrale et exige des interprètes de véritables qualités d’acteur.
On n’est pas si éloigné du style de John Neumeier qui développe depuis longtemps une veine dramatique en allant puiser son inspiration dans le répertoire théâtral. Liliom, créé en 2011, appartient à cette facette. Inspiré de l’oeuvre de l’écrivain hongrois Ferenc Molnár, déjà adapté au cinéma par Fritz Lang, ce ballet est une féérie contemporaine portée en majesté par la partition que composa spécialement Michel Legrand. Classique et jazzy, la musique accompagne les péripéties fantastiques du héros et sa fiancée Julie. Alina Cojocaru reprend le rôle créé pour elle par John Neumeier avec lequel elle poursuit depuis plusieurs années un compagnonnage fructueux. En dépit des blessures qui l’ont parfois éloignée des studios pour de longs mois, le temps ne semble pas avoir de prise sur la ballerine roumaine : délicatesse infinie, technique parfaite, c’est une interprète exceptionnelle. Ses années au Royal Ballet lui ont appris à être une actrice sur scène. Elle construit avec Karen Azatyan un partenariat fertile qui nous aide à pénétrer dans les méandres de l’histoire.
La pandémie a mis la compagnie à l’arrêt comme partout dans le monde. Mais comme nulle part ailleurs, le Ballet de Hambourg a repris le chemin de la scène dès que la porte s’est entrouverte. Et John Neumeier avait mis à profit ce temps de confinement pour imaginer un nouveau ballet, Ghost Light, qui solliciterait la totalité de la compagnie. Sur la musique de Schubert jouée au piano par Michal Bialk, cette dernière création est un précis de l’art de John Neumeier. Durant 1h45 s’enchaînent les ensembles, les duos, les pas de trois, les solos où l’on retrouve le goût du chorégraphe pour les portés aussi sensuels qu’acrobatiques. On n’a pas le temps de souffler dans ce ballet qui montre une compagnie au top de sa forme et dont la virtuosité ne fut nullement altérée par l’inactivité force due à la pandémie.
Ces Journées du Ballet de Hambourg s’achèvent avec le Gala Nijinsky, projet pharaonique imaginé par John Neumeier. Il est le seul en Europe à proposer un événement de cette ampleur. Quatre heures et demie de danse, un orchestre dans la fosse, toute la compagnie sollicitée, des invités de prestige. Il vaut mieux ne pas jouer petit bras pour ce gala hors-normes devenu un événement artistique et mondain de Hambourg. Et la première difficulté est d’obtenir une place dans le théâtre : il faut pour cela avoir été tiré au sort. Chaque année, John Neumeier choisit un thème qui lui permet de raconter au public les origines du ballet ou le contexte de sa création. C’est le maître qui joue les Monsieur Loyal, introduisant chaque extrait, chaque invité, les replaçant dans le contexte. « Anniversaires » était le fil rouge de cette édition 2002, qui débute par une démonstration explosive de l’école du Ballet. Sur des musiques traditionnelles et une chorégraphie de Konstantin Tselikov, ce sont cinq minutes à très grande vitesse où chacun tente de sauter encore plus haut. Belle entrée tonitruante et au passage, un coup d’oeil sur l’état de santé éclatant de l’école de danse de Hambourg.
Ce n’est pas pour rien que John Neumeier a choisi de baptiser son gala Nijinsky. Il voue au danseur chorégraphe une admiration nourrie par un esprit de collectionneur. John Neumeier possède de quoi imaginer un musée Nijinsky avec les pièces qu’il a amassées durant toute sa vie. Il lui a aussi consacré deux ballets. Nous avions vu la version du Ballet National du Canada à Paris, de quoi nous convaincre que c’est une pièce importante de son répertoire. Dans les deux extraits choisis pour le gala, Aleix Martinez et Alexandre Riabko se partagent le rôle-titre. Ils incarnent l’un et l’autre avec à la fois force et délicatesse le personnage dans sa folie et son enfermement mental. Aleix Martinez, et Ivan Urban dans le rôle de Diaghilev, composent un pas de deux follement attendrissant et désespéré. Et quel plaisir de revoir sur scène Ivan Urban, danseur historique de la compagnie, aujourd’hui maître de Ballet . Il n’a rien perdu de sa noblesse et la qualité de sa danse est intacte.
Si « Anniversaires » était le thème fédérateur de ce gala, la guerre en Ukraine ne pouvait pas en être absente, comme l’a rappelé John Neumeier. Olga Smirnova symbolise ce drame. La Danseuse a quitté précipitamment le Bolchoï pour rejoindre Amsterdam où elle danse désormais. Elle est venue à Hambourg avec deux pièces : l’inusable Trois Gnossiennes de Hans van Manen sur la musique d’Erik Satie et Grand Pas classique de Victor Gsovsky, morceau de bravoure absolu pour ballerine. Avec Jakob Feyferlik du Het Nationale Ballet, Olga Smirnova livre une interprétation sans fautes de Trois Gnossiennes, délaissant tout lyrisme au risque peut-être de retenir l’émotion. C’est un choix que la ballerine russe assume complètement. Mais elle donne la totale mesure de son talent exceptionnel dans l’exécution du Grand Pas de Gsovsky. On a déjà tout dit des lignes remarquables de la danseuse mais on ne se lasse pas de la revoir sur scène : sa technique est magistrale, sa musicalité idéale.Dans ce florilège de grammaire académique qu’est le Grand Pas Classique, Olga Smirnova s’inscrit au firmament des danseuses. Elle confiait récemment son rêve de danser un jour à Paris et de fouler la scène du Palais Garnier. À tout le moins, on espère que la future direction de la danse de l’Opéra de Paris aura la riche idée de l’inviter pour la prochaine série du Lac des Cygnes. Ce serait un beau geste envers cette danseuse d’exception contrainte à un exil forcé et un beau cadeau pour le public français.
Matthew Ball et Mayara Magri du Royal Ballet ont offert une respiration humoristique avec l’extrait de Carousel de Kenneth MacMillan. Ils excellent dans ce jeu amoureux et taquin. John Neumeier avait aussi invité le Ballett am Rhein de Düsseldorf pour lequel il vient de créer from time to time sur un mixte d’une sonate de Schubert et de Simon and Garfunkel. Le projet était de proposer à quatre chorégraphes de prolonger Les Quatre Tempéraments de George Balanchine. John Neumeier a choisi la mélancolie dans une pièce pour cinq danseuses et danseurs. On retiendra surtout le charisme de Julio Morel, époustouflant durant les 20 minutes de la pièce, ne quittant jamais la scène. Sa danse est tout à tour délicate, animale, toujours virtuose. Le danseur paraguayen eut droit à l’une des plus belles ovations de la soirée.
John Neumeier sait comme personne construire un pas de trois. Ses oeuvres en sont truffées et il en offre une belle démonstration avec l’extrait de la Troisième Symphonie de Gustav Mahler. Karen Azatyan, Jacopo Bellussi et Xue Lin y sont flamboyants dans ces portés acrobatiques chers à John Neumeier. Comme le Gala Nijinsky est aussi le moment des promotions, Xue Lin a été nommée Principal à l’issue du Gala. Mais c’est aussi celui des adieux : Leslie Heylmann foulait pour la dernière fois la scène de l’Opéra de Hambourg pour un ultime Grand Pas extrait de Casse-Noisette. Elle fut un des piliers de la compagnie et poursuivra sa carrière comme professeur à l’école du Ballet de Hambourg.
Il faut un feu d’artifice pour refermer un gala. John Neumeier nous l’a offert avec les deux derniers mouvements de la Septième Symphonie de Beethoven, extrait de son ballet Beethoven-Projekt II. Deux mouvements rapides qui s’enchainent et mettent à contribution presque toute la compagnie. Cela va à très vive allure, c’est parfois brouillon, mais qu’importe. Il y a là un superbe festival propre à ravir tant la danse y est magnifiée. Des courses folles, des portés au-delà de l’acrobatique. Rien de mieux avant de quitter l’Opéra de Hambourg après en avoir pris plein les yeux pour attendre la prochaine saison qui célèbrera les 50 ans de John Neumeier à la tête du Ballet de Hambourg. On nous annonce une méga-fête !
Les 47 Journée du Ballet de Hambourg.
The Tempest de Krzysztof Pastor par le Ballet National de Pologne. Mercredi 29 juin 2022.
Liliom de John Neumeier avec Alina Cojocaru (Julie) et Karen Azyatan (Liliom). Jeudi 30 juin 2022
The Winter’s Tale de Christopher Wheeldon avec Edvin Revazov (Le Roi Leontes), Anne Laudere (la Reine Hermione), Karen Azatyan (Le Roi Polixenes), Patricia Friza (Paulina), Xue Lin (La Princesse Perdita) et Christopher (Antigone). Vendredi 1er Juillet 2022
Ghost Light de John Neumeier avec le Ballet de Hambourg. Samedi 2 juillet 2022.
47e Gala Nijinsky avec Olga Smirnova, Jakob Feyferlik, Matthew Ball, Mayara Magri, Julio Morel, le Ballet Am Rhein-Dusseldorf et le Ballet de Hambourg. Dimanche 4 juillet 2022.