Be Here Now de Benjamin Millepied – L.A.Dance Project
Benjamin Millepied est de retour en France et à Paris cette saison. Sa version de Roméo et Juliette, présentée aux Nuits de Fourvière l’été dernier, est passée par la Seine Musicale et poursuit sa tournée hexagonale. L’éphémère directeur de la danse de l’Opéra de Paris est aussi venu présenter au Théâtre du Châtelet, dans le cadre de la saison hors-les-murs du Théâtre de la Ville, sa dernière création pour sa compagnie L.A. Dance Project, Be Here Now. Une pièce ambitieuse composée pour douze danseuses et danseurs, enveloppés dans une superbe scénographie lumineuse et acidulée imaginée par Barbara Kruger. Sur une musique originale d’Andy Akiho, interprétée en direct par l’Ensemble Sandbox, Benjamin Millepied livre un ballet d’aujourd’hui, joyeux et regorgeant d’une énergie toute californienne qui se déguste telle une gourmandise.
Bien qu’installé à Los Angeles, Benjamin Millepied est un visiteur fidèle qui fut durant deux ans empêché par la pandémie. Son adaptation deRoméo et Juliette a dû être plusieurs fois repoussée, avant de pouvoir finalement être présentée depuis l’été 2022. Benjamin Millepied est un chorégraphe “bankable” qui remplit les salles, ce qui est un exploit dans l’environnement actuel. Comment ne pas s’en réjouir alors que tant de créateurs peinent aujourd’hui à trouver une audience ? Le Théâtre du Châtelet était ainsi plein à craquer pour les deux programmes de son L.A.Dance Project, dont sa nouvelle création Be Here Now. La pièce est impeccablement construite en séquences très identifiées, se prêtant à des salves d’applaudissements qui ont d’ailleurs scandé chaque partie, ensemble, duos ou solos.
Pas de rideau de scène mais une plongée directe dès l’entrée en salle dans la scénographie de Barbara Kruger, magnifiquement mise en lumière par Clifton Taylor. On est là dans une boîte ouverte sur la salle, avec sur le sol et en grosses lettres le titre Be Here Now. Il décrit parfaitement l’esprit d’une pièce qui semble n’avoir d’autre enjeu que le plaisir de la danse pure dans l’instant présent. Les maximes qui défilent en fond de scène et sur les murs côtés cour et jardin égrènent une philosophie épicurienne résolument américaine dans sa spontanéité ou dans ses professions de foi politiquement correctes. Elles n’ont que peu d’importance, et une grande partie du public ne peut d’ailleurs pas les lire dans leur intégralité. L’essentiel se joue sur le plateau avec une ouverture qui donne l’eau à la bouche : un quatuor de danseuses qui semblent s’amuser dans une sororité taquine mais affectueuse. On prend dès lors la mesure de la grande qualité de la troupe. Ensemble, en chaîne humaine ou en solo, elles interprètent une partition chorégraphique d’une précision horlogère tout en donnant l’impression d’improviser en permanence.
C’est là l’un des grands talents de Benjamin Millepied. Sa formation au New York City Ballet, sa carrière de danseur Principal, interprétant tout le répertoire de George Balanchine et son mentor Jerome Robbins, lui ont fait hériter d’un savoir-faire redoutable. Notamment une parfaite maîtrise de la géométrie sur scène et des entrées et sorties des artistes, ce qui n’a rien d’une évidence. À ce quatuor féminin, dansé sur une musique de cordes, succède un quintette masculin avec l’entrée en lice des percussions diaboliques d’Andy Akiho. La danse se fait alors plus physique, plus virile dans une distribution des genres qui peut étonner. Cette dichotomie stylistique se résoudra très vite quand les couples se formeront sur scène.
Benjamin Millepied est un orfèvre de musicalité qu’il sait insuffler à sa compagnie. Son style comme toujours trouve sa matrice dans la grammaire classique telle qu’elle fut sublimée par George Balanchine pour le New York City Ballet, mâtiné d’un vocabulaire plus contemporain qui nourrit de très belles phrases chorégraphiques. Tout n’a pas la même densité et dans la succession d’ensembles, de duos ou de solos, certains sont moins percutants. Mais la pièce conserve une cohérence du début à la fin, fondée sur le plaisir du beau mouvement et une énergie qui déborde sur la salle au moment des saluts.
Il est réjouissant de voir un chorégraphe qui semble aujourd’hui dans la plénitude de son art. Touche-à-tout et polyvalent, on découvrira cette saison sur grand écran un autre mythe auquel Benjamin Millepied s’est affronté, celui de Carmen dont il a fait un film musical. Puis, on le retrouvera en fin de saison au Théâtre des Champs Élysées pour un tête-à-tête inédit où il partagera la scène avec le pianiste français Alexandre Tharaud. Ce dernier, amoureux de la danse, devait venir en résidence à l’Opéra de Paris pour participer à des pièces inspirées par le piano. Le projet n’a pas vu le jour mais cette rencontre entre les deux artistes français a motivé Benjamin Millepied, qui pour l’occasion décrochera ses chaussons, nous rappelant qu’il est aussi un merveilleux danseur. On ne manquerait cela pour rien au monde !
Be here Now de Benjamin Millepied par le L.A. Dance Project. Avec Payton Johnson, Daphne Fernberger, Nayomi Van Brunt, Sierra Herrera, Marissa Brown, Courtney Conovan, Lorrin Brubaker, David Adrian Freeland Jr, Mario Gonzalez, Shu Kinouchi, Vinicius Silva et Peter Mazurowski. Dimanche 15 octobre 2022 au Théâtre du Châtelet.