Spectacle 2023 de l’École de Danse de l’Opéra de Paris – Concerto en ré/Ma mère l’Oye/Raymonda (acte III)
Comment sait-on que l’on est venue assister au spectacle annuel de l’École de Danse de l’Opéra de Paris ? Il suffit de compter les fillettes en jupes de tulle ou robes à paillettes qui gravissent avec excitation le Grand escalier du Palais Garnier. Une sorte de bal des débutantes pour apprenties ballerines qui viennent rêver le temps d’une soirée. Les familles se pressent, aussi, fébriles de découvrir leur enfant sur scène. Les applaudissements sont plus nourris, moins policés ; les “bravos” s’échappent parfois un peu trop vite. À l’entracte, des dames plus âgées se remémorent à voix haute leurs années sur pointes. Autant de détails qui confère un charme unique à ces représentations. Au programme de l’édition 2023 : deux reprises avec Concerto en ré de Claude Bessy et l’acte III de Raymonda de Rudolf Noureev, mais aussi, plus exceptionnel, une création, Ma mère l’Oye de Martin Chaix. Une proposition équilibrée qui met en valeur tous les élèves, filles et garçons, des six divisions. Entre rigueur, poésie et luxuriance, cette soirée a tenu ses promesses et permis de confirmer la présence de belles personnalités dont on devrait entendre parler.
À l’occasion des 90 ans de Claude Bessy, Élisabeth Platel a choisi de reprendre son Concerto en ré créé le 25 mai 1977 lors du premier spectacle de l’École de Danse à la salle Favart (Opéra comique), et que l’on n’avait pas vu depuis 2014. Sur deux des mouvements du Concerto pour clavier et orchestre en ré mineur de Johann Sebastian Bach, ce ballet permet de réunir toutes les divisions sur la scène – le seul du répertoire de l’École – soit environ une centaine d’élèves. Vertigineux ! Conçue par l’ancienne directrice comme “la synthèse de la progression des années d’étude que demande la technique du ballet classique“, cette chorégraphie emblématique du savoir-faire de l’École permet d’avoir un instantané de sa bonne forme et de celles et ceux qu’elle forme. Belle musicalité, élégance des lignes, qualité des sauts, tout est là et s’affirme plus l’on monte dans les divisions.
En vingt minutes, il nous est donné d’assister en accéléré aux différentes étapes qui mènent à plus de difficulté technique, à une plus grande assurance, à une présence moins scolaire aussi. Prolongement des Démonstrations de décembre, ce ballet permet de prendre conscience de l’exigence que nécessite l’exécution de chaque pas. Les petits rats sont mis à nu et c’est ce qui rend ce Concerto en ré précieux. Montrer qu’avant de devenir un artiste, il faut être cet artisan qui, avec courage et constance, peaufine son ouvrage. Voilà l’un des enseignements de cet incontournable de l’École. Le final qui réunit tous les élèves, du plus petit au plus grand, est une belle métaphore où chacun se révèle être un maillon de la chaine de transmission d’un savoir.
Placée entre deux valeurs sûres, Ma Mère l’Oye, la nouvelle création de Martin Chaix, ancien danseur de l’École et du Ballet, prend son envol sous les meilleurs auspices. Avec beaucoup d’intelligence et de grâce, le chorégraphe redonne vie à certains personnages des contes pour enfants sur la partition de Maurice Ravel. Avant de parler de la danse, il faut d’abord évoquer l’alchimie entre les décors de Camille Dugas, les magnifiques costumes d’Aleksandar Noshpal et les lumières de Tom Klefstad qui plongent dans un univers onirique. Cachés derrière de gros buissons cotonneux qui se transforment en nuages, les héroïnes et héros de contes sortent de notre mémoire collective pour prendre vie sur scène.
Les élèves de première et deuxième division se glissent dans la peau de leurs personnages avec un grand souci de précision. Les saynètes se succèdent mettant en scène toute cette galerie de personnages. Certains clins d’œil font sourire comme la Belle au bois dormant – surprenante Indira Sas – baillant à s’en décrocher la mâchoire. Tout va très vite. Se croisent la Belle et la Bête (Typhaine Gervais, Paul Mayeras), Curieuse et Barbe-bleue (Tosca Auba, Carlo Zarcone), le Petit Poucet (Marcel Sardà Masriera), Laideronnette (Luciana Sagioro) et bien d’autres. Ce que Martin Chaix demande à ces jeunes interprètes est loin d’être aisé : s’approprier une chorégraphie sophistiquée et en même temps, dégager la personnalité de son personnage. Le final où chaque élève se défait des éléments de costumes qui faisaient son personnage pour apparaître en académique blanc, impressionne par son dépouillement. Comme un retour à la réalité après cette escapade poétique. Le passage de l’enfance à l’âge adulte.
Après le deuxième et dernier entracte de la soirée, quelle joie de savourer ne serait-ce qu’un seul acte de Raymonda, dont on se souvient que les dernières représentations par le Ballet en 2019 avaient été chamboulées par les grèves. L’acte III de ce ballet de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa, celui des réjouissances pour célébrer le mariage de Jean de Brienne et de Raymonda, possède tous les ingrédients pour une conclusion en apothéose. Ce que les élèves proposent, notamment le couple Jean de Brienne et Raymonda, laisse coi. Lisa Petit et Edouard Wormser forment un couple de rêve. Il a le charme qui sied au personnage et elle, la prestance et l’élégance d’une princesse. Leur partenariat fonctionne très bien. Son interprétation de la variation dite “de la claque” est juste comme on l’attend d’une jeune interprète qui, malgré son peu d’expérience de ce grand rôle du répertoire, en a déjà saisi toute l’intelligence. Le Abderam de Benjamin Adnet, lui, manque encore un peu d’épaisseur. Pas facile de s’approprier la complexité ténébreuse et sensuelle du personnage.
Ces noces se déroulent dans la joie et l’exubérance et passent comme un rêve. On aimerait qu’elles durent plus longtemps ! Que ce soient les danses de caractère, le Grand Pas classique, le pas de quatre des garçons, les élèves s’emparent de tout avec fougue et s’acquittent des difficultés avec beaucoup de cran et de professionnalisme. Cette première division est vraiment un vivier. On a déjà hâte d’en revoir certain.e.s sur cette scène !
Spectacle de l’École de Danse de l’Opéra de Paris au Palais Garnier.
Concerto en ré de Claude Bessy avec les élèves de 6e, 5e, 4e divisions filles et garçons et élèves de 3e division fille (premier mouvement) et les élèves de 3e division garçons et élèves de 2e et 1ère divisions filles et garçons.
Ma mère l’Oye de Martin Chaix avec Indira Sas, Typhaine Gervais, Paul Mayeras, Marcel Sardà Masriera, Luciana Sagioro, Tosca Auba, Cario Zarcone, Chiara Chapelet, Oscar Verhaeghe, Constance Colin, Viktorila Pirogova, Albane de Chanterac, Anaïs Morin-Choukroun, Léa Schneider, Manon Baranger, Tristan Deflorenne, Achille Delaieu-Rosenthal, Rémi Hairy-Araujo, Martin Paul, Sacha alié, Camillo Petochi.
Raymonda (Acte III) de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa avec Lisa Petit (Raymonda), Edouard Wormser (Jean de Brienne), Benjamin Adnet (Abderam), Léa Schneider, Carlo Zarcone (Czardas), Constance Colin, Laure Ravera, Diane Billong, Ekaterina Bréau, Louise Cabrol, Moërie Lebigot-Dymon, Elikya Oniangue Adamo, Maëliss Taraconat, Achille Delaleu-Rosenthal, Sacha Alié, Ilyane Bel-Lahsen, Maxime Colin, Nael Dimbas, Miora Dumay, Camillo Petochi, Benjamin Imerovski, Lilas Parra, Natalie Henry, Typhaine Gervais, Indira Sas, Matéo Gouze, Léon Rambaud, Tristan Sabatié, Micah Levine, Jasmine Atrous, Eve Belguet, Chiara Chapelet, Luciana Sagioro, Baptiste Bénière, Corentin Dournes, Mel Matsunaga, Paul Mayeras, Maëlys Chiorozas, Tosca Auba, Eve Belguet.
Samedi 15 avril 2023. À voir jusqu’au 18 avril. Soirée hommage à Claude Bessy le 19 avril.
CatherineP
Bel article. Dommage que vous ne rendiez pas compte de la seconde distribution. Si décevant pour eux…