Saburo Teshigawara – Bach/Bartok
Saburo Teshigawara est de retour à Paris avec sa muse et complice de toujours, Rihoko Sato, après une trop longue absence liée à la pandémie. Il revient à la Cité de la Musique pour un diptyque en deux parties, autour de quatre compositeurs occidentaux : Jean-Sébastien Bach, Béla Bartók, Arnold Schönberg et Alban Berg. Le chorégraphe japonais a puisé des chefs-d’oeuvre dans leurs répertoires respectifs avec pour seul projet de construire un geste qui à la fois rendrait compte et dialoguerait avec la musique. Accompagné sur scène par la danseuse Rihoko Sato, il offre un moment de danse pure magnifiée par une scénographie minimale et des éclairages en clair-obscur qui dessinent un écrin lumineux pour les interprètes. Lors du premier volet, Saburo Teshigawara a réuni deux sonates pour violon seul de Bartók et Bach jouées en direct par la virtuose Sayaka Shoji. Un spectacle qui porte au plus haut l’osmose entre musique et danse.
Pour cette soirée Bach/Bartók, le programme de salle nous rappelle que Saburo Teshigawara a produit sa première chorégraphie… en 1981 ! On a peine à le croire tant le danseur japonais semble sur scène hermétique au temps qui passe. D’année en année, de spectacle en spectacle, on reconnaît immanquablement sa silhouette agile, presque frêle, et qui dégage pourtant une puissance de tous les instants. Au fil des ans, Saburo Teshigawara a bâti un répertoire et affirmé un style fondé sur une simplicité extrême des lignes chorégraphiques, une parfaite lisibilité et une musicalité hors-pair. On retrouve tout cela dans ce premier volet de ce diptyque à une puissance vertigineuse via l’intimité qui relie les trois interprètes. Assise côté jardin – mais debout parfois – Sayaka Shoji est la première apparition du spectacle pour faire résonner son Stradivarius dans la Sonate pour violon de Bartók, considérée comme l’une des plus difficiles du répertoire. La violoniste virtuose japonaise la maîtrise du bout de son archet, jouant sans partition les quatre mouvements. Soit 28 minutes composées de longues phrases qui ont stimulé Saburo Teshigawara, inventant une chorégraphie qui se déploie comme une séquence ininterrompue.
Le chorégraphe a éliminé tout ce qui pourrait altérer la musicalité de la danse. Dans un carré de lumière, vêtu de noir, il chaloupe du haut en bas, dessinant les mélodies avec ses bras sans cesse en mouvement quand ses jambes marquent les lignes rythmiques de la Sonate de Bartók. Le carré de lumière se fait ensuite losange et subrepticement, la danseuse Rihoko Sato se substitue à Saburo Teshigawara. Elle apparaît comme un double au féminin du chorégraphe-danseur, cette même économie de déplacement pour se concentrer sur le geste, celui des bras toujours. L’une et l’autre les utilisent dans toutes les figures imaginables : tendus ou pliés, synchrones ou en décalés, inventant des épaulements splendides.
Un geste d’une précision implacable. Nonobstant on pourrait croire que Saburo Teshigawara et Rihoko Sato improvisent au gré de leur humeur. Mais l’on voit bien que l’un et l’autre maîtrisent toutes les notes de la partition. “Tout commence par un intense travail d’écoute de la musique. Mais cela ne veut pas dire que nous ne l’écoutons pas avec un but particulier ou en ayant des images dans la tête“, explique Saburo Teshigawara et Rihoko Sato dans le programme de salle. Ce sont nos corps qui reçoivent les sons et créent l’émotion. Nous respirons la musique pour laisser chaque partie de nos corps entrer en contact avec elle. pas simplement les oreilles et le cerveau… Et petit à petit nous commençons à créer des ponts et de l’harmonie entre la musique et nos corps pour avancer vers la création de ce qu’on appelle ‘danse'”.
C’est précisément ce que l’on voit sur scène : une osmose totale entre la musique du violon et les corps de Saburo Teshigawara et Rihoko Sato, non pas comme une illustration des partitions de Bartók et Bach mais telle une oeuvre commune. Cette force de l’intimité a été forgée par une longue et fidèle collaboration avec Sayaka Shoji, exceptionnelle violoniste, toute aussi virtuose avec Bach ou Bartók. Dans la célébrissime Partita de Bach, Saburo Teshigawara et Rihoko Sato développent le même schéma, cernés dans une lumière crépusculaire qui cisèle leurs corps telles des ombres chinoises. Dans l’alternance entre mouvements rapide et lent, ils se fondent dans le rythme infernal de Bach avec une précision métronomique. Le mouvement s’arrête net à la fin de la mesure. Puis leurs corps tournent, vrillent, capables de se désarticuler, dessinant les mélodies de la Partita, l’incarnant dans chaque geste. À bientôt 70 ans, Saburo Teshigawara respire une insolente jeunesse. Incontestablement, le chorégraphe japonais est un maître.
Bach/Bartok de et par Saburo Teshigawara et Rihoko Sato, sur la Sonate pour violon seul de Bela Bartók et Partita pour violon seul N°2 de Jean Sebastien Bach. Vendredi 5 mai 2023 à la Cité de la Musique. Deuxième partie autour du Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg et Suite Lyrique pour quatuor à cordes d’Alban Berg avec l’Ensemble Intercontemporain, à voir les 11 et 12 mai à la Cité de la Musique.