Séquence Danse Paris 2023 – Emilio Calcagno / Olivier Dubois
Pendant trois semaines, la 11e édition du festival Séquence Danse Paris a mêlé reprises et créations au 104. L’occasion de s’offrir deux séances de rattrapage pour deux pièces de groupe créées en 2022. D’un côté, Storm d’Emilio Calcagno, sa première création pour le Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Déstabilisatrice, cette “tempête” donne un nouveau souffle à la compagnie. Se confrontant à un dispositif scénique constitué de gros ventilateurs, les quatorze danseurs et danseuses livrent bataille contre cet élément avec beaucoup d’engagement. De l’autre, la reprise de la célèbre pièce Tragédie d’Olivier Dubois, artiste associé au 104, dix ans après sa création. Cette Tragédie, new edit, un peu rallongée, saisit toujours autant par sa radicalité et son intensité dramatique. Si pendant 1h30, ce “poème chorégraphique” met à rude épreuve ses dix-huit interprètes – et il faut bien le dire aussi son public – il délivre surtout une puissante et bouleversante réflexion sur la condition humaine.
Après une première salve de spectacles en avril, Séquence Danse Paris 2023 s’est terminé en mai avec plusieurs propositions chorégraphies d’univers très différents. Dont celle du Ballet de l’Opéra Grand Avignon, venu avec la pièce Storm de son nouveau directeur Emilio Calcagno. Comment le corps réagit-il face à des conditions climatiques exceptionnelles ? Quels mécanismes de défense déploie-t-il face à un phénomène naturel d’envergure ? Pour composer sa pièce, le chorégraphe a choisi de confronter réellement ses quatorze danseurs et danseuses à un simulacre de tempête qui donne son nom à la pièce. Il a imaginé un dispositif constitué de sept gigantesques ventilateurs installés en fond de scène que chacun.e déplace au fil de l’avancée de la pièce pour créer différentes configurations. Au-delà de cette confrontation à un élément perturbateur, plutôt ingénieuse et productrice d’effets séduisants, le travail du chorégraphe entraîne ces interprètes de formation néo-classique vers des territoires plus contemporains. Ce qui se révèle une vraie bonne idée. Les tableaux s’enchaînent, offrant au groupe de mêler les différents vocabulaires tout en restant fidèle à ses fondations par la présence de passage sur pointes ou mise en valeur de pas propres à la danse classique, de l’arabesque aux entrechats. On salue le clin d’œil assumé au solo de Nelken de Pina Bausch dansé par Dominique Mercy se moquant de la virtuosité classique.
Et le vent dans tout ça ? L’air propulsé par les grands ventilateurs entrave les mouvements, met à mal les équilibres, pousse à remettre en question les appuis. La compagnie résiste bien, prenant ses marques dans cette nouvelle physicalité. Au fur et à mesure, toutes et tous se dépouillent des costumes dont ils étaient parés au début de la pièce. L’esthétique baroque cède la place à des références plus rock ou plus évanescentes. En liquettes blanches et chemises de voile, ils ferment le bal dans une ronde pleine d’allant et de promesses.
Découverte en 2012 au Festival d’Avignon, Tragédie d’Olivier Dubois a beaucoup tourné. Pour l’appréhender, il faut se souvenir des mots qui ont présidé à sa création. “Etre humain ne fait pas humanité et c’est là, notre tragédie humaine“. Dix ans plus tard pour cette re-création, la phrase offre toujours un formidable terreau chorégraphique. Et l’idée de la revisiter, avec une distribution quasi renouvelée (douze nouveaux interprètes sur dix-huit) n’en apparaît que plus pertinente et légitime.
Le procédé de départ est le même, implacable et méthodique, en apparence très simple mais sans pitié. D’abord isolés, puis de plus en plus nombreux, les dix-huit interprètes complètement nus avancent droit vers le public, tels des mannequins sur un catwalk, se détournent pour disparaître en fond de scène à une cadence millimétrée, puis reviennent. Dans ces va-et-vient parfaitement ordonnés, quasi militaire, que rien ne semble pouvoir ébranler, des dissonances apparaîssent. Au départ peu palpables, elles se font plus perceptibles. Petit à petit, la machine se grippe.
Et la vague humaine se transforme en déferlante. Ce sac et ce ressac suivent les rythmes de la musique de François Caffenne toujours plus obsédante. Mais de manière de plus en plus chaotique et désordonné. Les corps se contorsionnent, choient les uns sur les autres, luttent contre des forces invisibles qui semblent vouloir les anéantir. Mais ne se rencontrent jamais… La beauté pathétique de ces corps souffrants, exultants, gémissants, évoquant aussi bien la peste dansante du XVIe siècle et les charniers du XXe siècle, fascine. Une expérience éprouvante mais captivante, portée par l’engagement incroyable des dix-huit interprètes et la force de son écriture chorégraphique, ce Tragédie, new edit remue par le flot d’images qu’il charrie et qui restent longtemps ancrées dans notre mémoire.
Festival Séquence Danse Paris au 104.
Storm d’Emilio Calcagno pour le Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Avec Arnaud Bajolle, Sylvain Bouvier, Lucie-Mei Chuzel, Béryl De Saint Sauveur, Aurélie Garros, Allan Gereaud, Joffray Gonzalez, Léo Khebizi, Anastasia Korabov-Botalla, Kiryl Matantsau, Marion Moreul, Ebony Murray, Veronica Piccolo, Ari Soto. Jeudi 11 mai 2023. À voir du 7 au 9 juillet à la Scala-Provence.
Tragédie, new edit d’Olivier Dubois. Création 2012, récréation 2022. Avec Esther Bachs Viñuela, Taos Bertrand, Camerone Bida, Steven Bruneau, Marie-Laure Caradec, Coline Fayolle, Karine Girard, Steven Hervouet, Sophie Lèbre, Matteo Lochu, Nicola Manzoni, Thierry Micouin, Mateusz Piekarski, Emiko Tamura, Mooni Van Tichel, Aimée Lagrange, Sarah Lutz et Youness Aboulakoul. Mardi 16 mai 2023.