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[Montpellier Danse 2023] – Dominique Bagouet, Jean-Claude Gallotta… Le temps des reprises

La 43e édition de Montpellier Danse s’est refermée avec trois reprises luxueuses de pièces qui ont marqué l’histoire de la danse de ces 40 dernières années. Fidèle à Dominique Bagouet, le directeur du festival Jean-Paul Montanari a programmé Déserts d’amour qui avait ouvert l’édition 1984. Jean-Claude Gallotta a pour sa part revisité Ulysse, une pièce fondatrice de son parcours et qui continue de l’accompagner. Enfin Boris Charmatz et Dimitri Chamblas ont à nouveau revêtu pantalons et tee-shirts blancs pour danser À-bras-le corps, duo d’adolescence qui, 30 ans après sa création, conserve une énergie juvénile. Trois pièces de styles différents, comme une petite histoire de la danse contemporaine française et une interrogation sur la place et le rôle du répertoire.

A-Bras-le-Corps de Dimitri chamblas et Boris Charmatz

Comment une pièce vieillit-elle ? D’autant plus pour la danse, sujette aux effets de mode, et que très vite des chorégraphes qui ont enchanté une époque sont relégués au profit d’une incessante quête de nouveauté ? La danse contemporaine peut-elle se constituer un répertoire susceptible de se perpétuer et donc de se transmettre ? Ce sont toutes ces questions que pose Jean-Paul Montanari dans cette édition 2023 de Montpellier Danse, en programmant des pièces qui ont plus de 40 ans. Une grande partie du public et des interprètes d’aujourd’hui n’était pas née quand elles ont vu le jour. Voir ces trois pièces consécutivement est une expérience passionnante qui permet, sinon de répondre à toutes ces questions, du moins de réfléchir à cette notion essentielle du statut du répertoire.

Il y a immanquablement quelque chose d’assez touchant à revoir Boris Charmatz et Dimitri Chamblas reprendre leur duo À-bras-le-corps, créé quand ils avaient à peine 18 ans, frais émoulus du CNSM de Lyon. Ils ont aujourd’hui 50 ans, le corps a évidemment vieilli, mais l’énergie et la force de leur danse sont intactes. La structure de ce duo À-bras-le-corps, représenté des centaines de fois partout dans le monde, n’a pas varié : un espace quadri-frontal délimité par des chaises au plus près du public. Lors de la création à la Villa Gillet de Lyon, Boris Charmatz et Dimitri Chamblas disposaient d’à peine 6 mètres sur 8. L’espace du Studio Bagouet à Montpellier n’est pas beaucoup plus vaste et c’est là l’un des points cardinaux d’À-bras-le-corps. Lorsque les spectateurs et spectatrices pénètrent dans la salle, les deux danseurs chorégraphes sont déjà là. Ils s’échauffent le dos, les jambes, les pieds, s’étirent, attendant patiemment que chacun s’installe et obtenir le silence avant la tempête.

Entre portés acrobatiques avec l’autre à l’horizontale, et l’entrelacs de leurs deux corps qui ne forment plus qu’une seule masse compacte, À-bras-le corps est un combat fraternel, tour à tour tendre et brutal. Dimitri Chamblas et Boris Charmatz avaient 17 et 19 ans quand ils l’ont imaginé. C’est l’âge où l’on aime se défier, se mesurer à l’autre, tester ses limites. Il y a tout cela dans ce duo, et déjà une inventivité dans le mouvement. Ils prennent plaisir à détourner le vocabulaire académique qu’ils ont appris à l’École de l’Opéra de Paris et au CNSM de Lyon et à le vivre en prise directe avec le public. Leur souffle nous atteint, le bruit des chutes aussi ou encore l’épuisement après des courses folles. De cette proximité naît une forme de communion unique entre  danseurs et spectateurs. Bien sûr, le duo n’a cessé d’évoluer en 30 ans. On a pu le voir dans une autre configuration, magnifiquement interprété par les Étoiles de l’Opéra de Paris Karl Paquette et Stéphane Bullion, dans une vision plus contenue mais tout aussi passionnante. Retrouver à Montpellier les deux créateurs est un moment suspendu, comme si le temps s’était arrêté. À-bras-le-corps fait résolument partie du patrimoine de la danse contemporaine et se doit d’être transmis à d‘autres danseurs interprètes. Ce duo né à la sortie de l’adolescence de ses créateurs recèle une palette d’interprétations.

Déserts d’amour de Dominique Bagouet

Dominique Bagouet, mort en 1992, est de nouveau célébré à Montpellier Danse. Il fut l’âme de ce festival, son origine. Et les dernières éditions ont programmé des reprises de ses pièces immortalisées grâce aux carnets Bagouet et transmis par ses anciens interprètes. Après Necessito dansé l’an dernier par les élèves du CNSM de Paris, Sarah Matry-Guerre et Jean-Pierre Alvarez, assistant de Dominique Bagouet, font revivre Déserts d’amour qui fit l’ouverture de Montpellier Danse en 1984. Cinq danseuses, Quatre danseurs en costumes bleu ciel. Le chorégraphe y déploie son vocabulaire sous influence de la danse américaine post-moderne de Merce Cunningham ou de Trisha Brown, dans une recherche de l’abstraction sur une géométrie complexe dans laquelle les interprètes sont comme atomisées. Ils se croisent, dessinent  des figures sur scène, tournent, se plient, obliquent sans jamais se frôler et encore moins se toucher. À l’exception d’un court duo, alternant sur la musique du chef de file de la musique spectrale, Tristan Murail, et sur des extraits de Mozart.

Une rigueur mathématique de l’écriture qui s’autorise un certain lyrisme. Il peut s’y déployer et rendre quelque chose d’émouvant“, écrivait Dominique Bagouet lors de la création de Déserts d’amour. Il n’est pas certain que cette promesse fût tout à fait respectée lors de la première représentation. C’est un œuvre complexe qui s’écrit dans une abstraction nécessitant pour les interprètes de l’absorber totalement, pour pouvoir la restituer en toute liberté. Quel que soit le talent des danseuses et danseurs réunis par Sarah Matry-Guerre, il leur manque quelques représentations avant de l’incarner et de dépasser le stade d’un brillant exercice de style.

Ulysse Grand Large de Jean-Claude Gallotta

Puis revoilà Ulysse, pièce fondatrice de l’univers de Jean-Claude Gallotta créée en 1981. Elle a connu de multiples rédactions, dont une qui a franchi les portes de l’Opéra de Paris en 1995 avec Les Variations d’Ulysse  (et Patrick Dupond  dans la première distribution, José Martinez pour la reprise de 1997). Pour cette nouvelle version, le chorégraphe a ajouté Grand Large au titre initial, actant quelques évolutions au fil des reprises. Mais la matrice originelle est intacte. Cinq couples, qui n’étaient pas nés lors de la création, ni même des premières reprises. Des danseuses et danseurs qui n’ont pas grandi dans le flux des années 1980 et du courant américain post-moderne qui entoure aussi la pièce de Dominique Bagouet. Mais Jean-Claude Gallotta fait aussi appel à d’autres esthétiques, celle de l’académisme classique, risquant portés et arabesques dans un univers tout en blanc, celui des vêtements des interprètes.

Dans une alternance festive de duos, de solos et d’ensembles remarquablement construits, Ulysse Grand Large, 42 ans après, sa création reste infiniment moderne. Paradoxalement, elle est pourtant la pièce la plus datée des trois vues à Montpellier Danse. Non pas qu’elle ait mal vieilli. Mais elle distille une atmosphère joyeuse, gaie et une insolente énergie, quelque chose que l’on ne voit plus aujourd’hui dans un monde devenu menaçant. Comme un clin d’œil aux souvenirs et au temps qui passe, Jean-Claude Gallotta s’immisce parmi ses interprètes, ludion clownesque et d’une douce drôlerie, faisant semblant ici ou là de corriger une position, l’angle d’une arabesque ou le placement des bras.

Quelle joie de retrouver des spectacles qui ont scandé notre vie de spectateurs et pour les plus jeunes de les découvrir ! Leur enthousiasme montre que ces pièces appartiennent déjà au patrimoine de la danse contemporaine. Montpellier Danse 2023 se referme ainsi entre joie et nostalgie. Avec 32.000 festivaliers et festivalières pour cette édition, et un remplissage de 96%, Jean-Paul Montanari a tout lieu d’être satisfait. Il nous donne déjà rendez-vous l’année prochaine. Dimitri Chamblas, Michèle Murray, Saburo Teshigawara ou le Ballet de Lorraine sont annoncés. Nous y serons évidemment.

Ulysse Grand Large de Jean-Claude Gallotta

Montpellier Danse 2023

À-bras-le corps de et par Dimitri Chamblas et Boris Charmatz. Lundi 3 juillet 2023 au Studio Bagouet. 

Déserts d’amour de Dominique Bagouet remonté par Sarah Matry-Guerre et Jean-Pierre Alvarez, avec Laura Boudou, José Ramón Corral, Carina Herrera Luna, Eve Jouret, Marie Leca, Pascal Marty, Sarah Matry-Guerre, Emmanuelle Sanders et Diego Vásquez. Lundi 3 juillet 2023 à l’Opéra Comédie.

Ulysse Grand Large de Jean-Claude Gallotta, avec Axelle André, Naïs Arlaud, Alice Botelho, Ibrahim Guetissi, Fuxi Li, Bernardita Moya Alcalde, Clara Protar, Jérémy Silvetti, Gaetano Vaccaro, Thierry Verger et Jean-Claude Gallotta. Lundi 3 juillet 2023 au Théâtre de l’Agora. À voir en tournée en France lors de la saison 2023-2024




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