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Ballets de Monte-Carlo – Soirée de créations autour de Stravinsky – Jeroen Verbruggen et Goyo Montero

Les étés sont toujours chargés aux Ballets de Monte-Carlo. Pour cette saison 2023, la compagnie a ainsi mené une F(ê)aites de la Danse début juillet, qui a réuni pendant 24 heures plusieurs milliers de personnes sur la Place du Casino de Monte-Carlo. La compagnie reprend aussi Cendrillon de Jean-Christophe Maillot à Monaco, avant de partir en tournée fin juillet à Barcelone avec sa Coppél-i.A. À ce programme chargé s’est rajouté fin juin un programme de créations autour de Stravinsky, invitant deux chorégraphes habités de la compagnie. Goyo Montero a proposé Firebird, une vision séduisante et efficace de L’Oiseau de feu sur fond d’urgence écologique. Jeroen Verbruggen a pour sa part créé un merveilleux univers pour Les Nuls-Pulcinella, mais s’est parfois noyé dedans, ne permettant pas à un fils narratif d’émerger pleinement. Deux pièces ainsi inégales, mais toutes portées par une scénographie puissante et une production importante, montrant toute la vitalité des Ballets de Monte-Carlo dans son travail de création.

Firebird de Goyo Montero – Ballets de Monte-Carlo

Les Ballets de Monte-Carlo sont attachés depuis 30 ans à la figure du chorégraphe Jean-Christophe Maillot. Mais le directeur de la compagnie a toujours mené, en parallèle de ses propres pièces, un passionnant travail de créations et de répertoire avec les plus grands chorégraphes de la fin du XXe siècle et du début du XXIe. William Forsythe, Mats Ek, Twyla Tharp, Sidi Larbi Cherkaoui… Tous sont passés par Monaco, proposant nouvelles œuvres ou anciens ballets à ces interprètes versatiles. Jean-Christophe Maillot a aussi eu le souci de soutenir les jeunes chorégraphes, notamment ceux et celles travaillant le langage classique, quand il est si dur de monter de tels projets en France. Jeroen Verbruggen en est un bon exemple. Danseur aux Ballets de Monte-Carlo pendant dix ans, c’est avec cette troupe qu’il crée sa première pièce d’envergure en 2012, suivi de six autres créations jusqu’à ce Les Nuls-Pulcinella.

C’est ainsi cette pièce qui ouvre ce programme de créations autour de la musique de Stravinsky. Pulcinella et L’Oiseau de Feu – sa relecture par Goyo Montero occupe la deuxième partie du programme – restent des pièces phares des Ballets Russes, clin d’œil aussi à la troupe de Diaghilev qui trouva refuge à Monaco. Mais c’est bien plus la musique et l’axe narratif qui inspirent ici ces deux chorégraphes. Jeroen Verbruggen s’est ainsi plongé dans la commedia dell’arte, où le personnage de Pulcinella y est cet être laid et ridicule, souffre-douleur de tous les autres. C’est ainsi qu’il a nommé sa pièce Les Nuls, référence à tous les rejetés, à l’heure où le harcèlement sur les réseaux sociaux fait des ravages.

Les Nuls – Pulcinella de Jeroen Verbruggen – Ballets de Monte-Carlo

Comme il sait si bien le faire, Jeroen Verbruggen a inventé tout un univers pour mettre en scène son Pulcinella, secondé par les magnifiques décors de Wolfgang Menardi et les costumes de Charlie le Mindu. Dès le lever du rideau, l’imposante scénographie séduit et donne envie de se glisser dans ce qui semble être l’antre des rejetés, aux multiples détails facétieux. Jeroen Verbruggen a entre autres talents de savoir joliment raconter les histoires, de prendre un contre-pied étonnant et de nous emmener ailleurs d’une façon souvent inattendue. Mais dans cette pièce, l’on se perd vite. Il y a le sentiment que le chorégraphe veut déployer son fil narratif, mais il nous manque le début pour s’en saisir et le dérouler. Les costumes grossissants donnent le ton de cette troupe de harcelés, cherchant leur voie différemment. Une bonne idée visuelle, mais qui a comme empêché le chorégraphe d’y déployer sa danse. Résultats : les personnages ont du mal à se dessiner, à se différencier. Et c’est finalement uniquement aux saluts qu’on les distingue le plus clairement. Dommage. Jeroen Verbruggen est un chorégraphe talentueux dont je me plais à suivre sa carrière et son évolution. Il semble être ici être passé à côté de la pièce, même si les idées ne manquaient pas.

Les Nuls – Pulcinella de Jeroen Verbruggen – Ballets de Monte-Carlo

Avec huit ans de plus, et surtout quinze années en tant que directeur et chorégraphe principal du Ballet de Nuremberg en Allemagne, Goyo Montero a forcément une autre maturité et une expérience éprouvée. Sa danse est en soi, en tout cas dans cette pièce, plus convenue, sans avoir forcément de forts marqueurs le différenciant d’autres “chorégraphes contempo-néo”. Mais il montre une réelle efficacité pour dérouler sa trame narrative. Son Firebird, relecture de L’Oiseau de Feu, trouve ainsi sa place dans un monde à l’image d’un jardin d’Éden, sorte de forêt enchantée lieu de vie de drôles d’oiseaux. Là encore, la scénographie saisit dès le lever de rideau, avec ses lianes brillantes créant une sorte de jungle surréaliste. Mais les couleurs parfois noires laissent tout de suite deviner que ce monde est en péril. Sur scène, deux clans s’affrontent : la Tribu, les maîtres des lieux vivant en harmonie avec cette forêt, et les Explorateurs, détruisant tout sur leur passage. Le procédé est classique, mais mis en scène de façon très efficace par Goyo Montero, montrant petit à petit la mainmise du deuxième groupe sur le premier, qui perdent petit à petit du terrain. Et qui s’en font au final les complices.

Le chorégraphe laisse aussi le champ à ses interprètes, très investis et bien guidés, pour porter la tension narrative. Cristian Assis est ainsi un chef des Explorateurs convaincant et puissant. Mais c’est bien de l’Oiseau de Feu dont on ne peut détourner le regard, magnifique Anna Blackwell en cheffe de la tribu. Puissante, intense, la danseuse devient Oiseau effarouché sentant venir le drame et comprenant petit à petit qu’elle ne pourra rien y faire. Quand elle renaît de ses cendres, les longues lianes ont disparu. Son monde a finalement été vaincu, il ne reste plus qu’un plateau noir et vide. Dans un sursaut de furie et de désespoir, elle emporte Explorateurs et Tribu dans une ultime ronde macabre, mettant à mort tous ceux et celles qui ont brisé son univers et l’on réduit en cendres. Saisissant moment de danse, ce final ne prend que plus de force dans la musique victorieuse de Stravinsky. Un symbole de l’auto-destruction aux accents terriblement prémonitoires.

Firebird de Goyo Montero – Anna Blackwell, Cristian Assis et les Ballets de Monte-Carlo

Soirée de créations autour de Stravinsky par les Ballets de Monte-Carlo.

Les Nuls – Pulcinella de Jeroen Verbruggen, avec Simone Tribuna (Pulcinella), Francesco Resch (Fantasma di Pulcinella), Hannah Wilcox (Pimpinella), Anna Blackwell (Fantasma di pimpinella), Alexis Oliveira (Florindo), Fantasma di Florindo (Luca Bergamaschi), Christian Tworzyanski (Coviello), Fantasma di coviello (Jaat Benoot), Gaëlle Riou (Prudenza), Chelsea Adomatis (Fantasma di Prudenza), Elena Marzano (Rosetta), Ashley Krauhaus (Fantasma di Rosetta) Daniele Delvecchio (Furbo) et Alexandre Joaquim (Fantasma di Furbo).

Firebird de Goyo Montero, avec Anna Blackwell (Firebird, Cheffe de la Tribu), Cristian Assis (Ivan, Chef des Explorateurs) et les artistes des Ballets de Monte-Carlo.

Mercredi 28 juin 2023 au Grimaldi Forum.

Les Ballets de Monte-Carlo à voir en scène dans Cendrillon de Jean-Christophe Maillot du 18 au 20 juillet à l’Opéra de Monte-Carlo.

 



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