TOP

[Festival d’Avignon 2023] The Romeo de Trajal Harrell – Inventions par Mal Pelo

À l’occasion de la 77e édition du Festival d’Avignon, DALP a choisi de s’arrêter sur deux pièces. D’abord, The Romeo de Trajal Harrell, créée en avril 2023 et présentée dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, que l’on pourra d’ailleurs revoir la saison prochaine lors du Portrait que le Festival d’Automne consacre au chorégraphe américain et actuel directeur du Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble. Une pièce en forme de jeu de piste censé dévoiler une danse imaginaire aux origines mystérieuses, très éloignée de la tragédie shakespearienne vers laquelle son titre nous entraînait. Présente depuis les débuts du collectif espagnol Mal Pelo, la relation à la musique de Bach a servi une nouvelle fois de fil rouge à Inventions, avant-dernier volet d’un tétralogie initiée en 2004. Lumineuse, malgré ses accents sombres, cette pièce a trouvé magnifiquement sa place dans la grande cour carrée du lycée Saint-Joseph.

Inventions de Mal Pelo

Lorsque les spectateurs et spectatrices s’installent progressivement sur les gradin de la Cour d’honneur du Palais des Papes, les danseurs et danseuses ainsi que Trajal Harrell lui-même sont déjà sur scène. Un préambule déjà usité qui n’étonne plus. Se préparent-ils ? S’échauffent-ils ? Prennent-ils le pouls du public avignonnais en ce soir de première ? Un extrait de The Wall de Pink Floyd résonne entre les vieilles pierres. Un clin d’œil à cet Everest de 30 mètres de hauteur qui impressionne et fascine tout à la fois ? Il donne en tous cas le ton de l’éclectisme de la bande-son de cette soirée où Erik Satie côtoiera la Wally.

De ce mur, le chorégraphe ne fera rien, pas plus que de l’ouverture de scène qu’offre la Cour d’honneur. Trajal Harrell préfère jouer avec la profondeur de scène en faisant évoluer ses quinze interprètes sur un catwalk. Les références au ballroom et au voguing sont explicites, tout comme celles à la danse de Martha Graham ou à d’autres figures de la danse moderne. Dans un flot continu, tous et toutes émergent d’une sorte de kiosque avec persiennes situé en fond de scène et chaloupent vers nous sur la pointe des pieds, tels des mannequins perchés sur de hauts talons. Chacun.e déroule sa propre partition, plus ou moins minimaliste ou excessive. On s’attache à certains. On en oublie d’autres. Chacun.e apporte sa pierre à l’édifice de The Romeo, cette danse censée s’écrire en direct sous nos yeux. “C‘est une danse qui, en réalité, n’existe qu’avec nous, ici, ce soir, dans l’ici et le maintenant, peut-on lire dans la “foire aux questions” distribuée en début de spectacle.

À chaque apparition, ils arborent de nouveaux costumes. Tous plus extravagants les uns que les autres, mélange d’époques et de styles, élaborés par le chorégraphe lui-même. Qui une cape de superhéros, qui une toge antique… L’effet de surprise passé, la lassitude puis l’agacement pointent. À quoi conduit ce mouvement perpétuel ? Ce défilé aussi bigarré soit-il n’a rien à voir avec cette danse œcuménique, sans distinction de sexe ni de classe, promise. Le désir de rêve dansant commun fait long feu.

Présent sur scène, parce qu’il est un “chorégraphe qui danse“, Trajal Harrell observe ses performeurs, prend part à la fête de temps à autre (ses incursions dansées sont magnifiques). Il fait à la fois partie de la communauté et aussi cavalier seul. Au final, n’est-ce pas lui ce Roméo, isolé du reste du groupe ? Comme il est de coutume à Avignon, le public se manifeste lors des saluts. Certain.e.s se lèvent pour exprimer leur adhésion, d’autres huent. Les deux ont sans doute en commun de n’avoir pas tout compris à cette pièce mais choisissent de l’exprimer différemment. Pour boucler la boucle, les danseurs et danseuses descendent au pied de la scène pour regarder le public s’en aller. La tentation est grande de leur avouer qu’on les a trouvés magnifiques, singuliers, mais qu’ils ne sont pas parvenus, hélas, à m’embarquer dans leur quête énigmatique.

The Romeo de Trajal Harrell

Depuis près de vingt ans, le collectif espagnol Mal Pelo investigue l’œuvre de  Jean-Sébastien Bach. Créé en 2020 et déjà programmé à la Villette en 2021, Inventions est l’avant-dernier volet de cette tétralogie. “Il est beau cet endroit. Ça pourrait être ici.” Ainsi débute la pièce et ce postulat de départ ne fera que se confirmer jusqu’à la fin. Incontestablement, la belle cour carrée du lycée Saint-Joseph sied parfaitement à ce dialogue entre la danse contemporaine et la musique du grand maître du baroque.

Si le dialogue entre musiciens sur scène et danseurs a déjà beaucoup été exploré, une nouvelle fois l’alchimie opère. Ce croisement des disciplines produit quelque chose de fécond et de fascinant. Mené par le charismatique duo María Muñoz et Pep Ramis, l’ensemble des interprètes ose le dialogue dynamique avec le quatuor à cordes et le quatuor à voix. On pense forcément à Anne Teresa de Keersmaeker qui, elle aussi, est-il besoin de le rappeler, s’est beaucoup confrontée à la musique de Bach.

Les effets visuels sur les murs, un cheval en liberté, de la végétation mouvante ouvrent des horizons tout comme la poésie des textes de Erri de Luca ou de Nick Cave, eux-aussi projetés. Parfois, les murs semblent s’écarter, puis l’instant d’après, ils se referment. Des perturbations sonores créent la rupture avec la plénitude musicale. La faute à la folie des hommes, des faux prophètes ou des prédicateurs ? Même si le propos est sombre, les relations violentes, la danse de Mal Pelo se déploie lumineuse, belle, précise. Pas aussi inventive qu’on l’attendrait à Avignon ? Elle rassérène et nous embarque dans son sillage. C’est déjà beaucoup.

Inventions de Mal Pelo

Festival d’Avignon 2023

The Romeo de Trajal Harrell. Avec Frances Chiaverini, Vânia Doutel Vaz, Maria Ferreira Silva, Rob Fordeyn, Challenge Gumbodete, Trajal Harrell, New Kyd, Thibault Lac, Christopher Matthews, Nasheeka Nedsreal, Perle Palombe, Norel Amestoy Penck, Stephen Thompson, Songhay Toldon. Mardi 18 juillet 2023 dans la Cour d’honneur du Palais des papes. À voir en tournée les 30 novembre et 1er décembre à la Comédie de Clermont-Ferrand, du 7 au 9 décembre à la Villette dans le cadre du festival d’Automne, les 14 et 15 février 2024 au Tandem à Douai.

Inventions du collectif espagnol Mal Pelo (María Muñoz et Pep Ramis). Avec Leo Castro, Enric Fàbregas, Miquel Fiol, Ona Fusté, María Muñoz, Federica Porello, Pep Ramis, Zoltán Vakulya. Quatuor à cordes ; Joel Bardolet (violon), Daniel Claret (cello), Jaume Guri (violon), Masha Titova (viole). Quatuor à voix Giorgio Celenza (basse), Mario Corberán (ténor), Quiteria Muñoz (soprano), David Sagastume (contre-ténor, en alternance avec Hugo Bolívar). Jeudi 20 juillet 2023 dans la cour du Lycée Saint-Joseph. À voir en tournée le 17 octobre à La Rampe-La Pantière à Échirolles, les 19 et 20 octobre à la Condition Publique à Roubaix.




Poster un commentaire