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[Le Temps d’aimer 2023] Le Ballet Nice Méditerranée / Kiyan Khoshoie

D’autres découvertes pour l’édition 2023 du festival Le Temps d’aimer la danse. Après le Hessisches Staatsballett, place ainsi au Ballet Nice Méditerranée, qui venait avec Cendrillon de Thierry Malandain. Créée il y a dix ans, l’œuvre séduit comme au premier jour par sa créativité et son sens aigu de la narration. Mais la troupe, pourtant pleine de talents et d’envie, semblait trop minée par les failles d’une direction absente pour donner tout ce qu’elle pouvait proposer. De son côté, Kiyan Khoshoie, chorégraphe en pleine ascension, a choisi la forme stand-up pour raconter dans Grand-Écart, avec humour et férocité, aussi quelques maladresses, le monde de la danse. Deux spectacles bien différents, mais qui trouvent toutefois quelques résonances fortuites.

 

Cendrillon de Thierry Malandain – Ballet Nice Méditerranée

 

Si Thierry Malandain dirige le festival Le Temps d’aimer, il n’en inonde pas pour autant la programmation de ses œuvres. Il y est même parfois absent, mais en tout cas jamais omniprésent. Pour cette édition 2023, sa compagnie le Malandain Ballet Biarritz donnait Mosaïque dans quelques frontons et trinquets (salle pour pratiquer la pelote) du Pays Basque, en dehors de Biarritz. Et le Ballet Nice Méditerranée présentait sa Cendrillon, qui trouve ainsi une deuxième vie auprès d’autres compagnies, après être entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Vienne il y a quelques années.

Une question essentielle pour la continuité du répertoire de Thierry Malandain, qui quittera le CCN de Biarritz dans quelques années. Le Ballet du Capitole a repris son très beau Nocturnes, repris au printemps prochain. Et c’est donc au tour du Ballet Nice Méditerranée de s’emparer de Cendrillon, créé en 2013 et l’un des plus brillants succès du chorégraphe. L’on comprend ces compagnies : la danse de Thierry Malandain, qui prend son socle dans la technique classique, apporte un merveilleux contrepoint au répertoire traditionnel des compagnies de ballets. Sa Cendrillon en est d’ailleurs l’un des plus meilleurs exemples, avec une si belle et claire façon de raconter une histoire, le talent de mettre en scène des rôles peu communs dont l’artiste peut s’emparer pleinement, une connexion toujours puissante avec la musique tout en proposant un vrai challenge technique. Et une humanité permanente – tout, dans la danse de Thierry Malandain, est tellement humain.

Quel plaisir, ainsi, de revoir cette Cendrillon, que je n’avais pas revu pour ma part depuis dix ans. Dès le lever de rideau, le décor fantasmagorique avec ses dizaines d’escarpins suspendus aux murs fait toujours son effet. Le chorégraphe n’a pas réinventé le conte : il suit la narration telle qu’on la connaît, et trace sa propre ligne en s’appuyant sur des personnages riches et puissants. La Marâtre en béquilles et ses deux filles, toutes trois dansées par des hommes grimée en vraies laiderons, ont toujours leur petit succès ! Surtout, il reste toujours dans une certaine ambivalence entre le véritable conte de fées et un sous-texte parfois bien plus grinçant. L’on y retrouve bien la Bonne Fée toute en paillettes, une Cendrillon fraîche, juvénile et le cœur sur la main, la drôlerie du professeur de danse. Mais aussi une certaine noirceur d’âme parfois, à travers la faiblesse du père ou le monde de la Cour pétri d’apparences. La grande valse emblématique, où chaque interprète s’empare d’un mannequin sans tête, a ainsi un souffle dramatique discordant, tellement en accord avec la musique de Prokofiev. Le Bal n’est ainsi pas un monde rêvé et fantasmé, plutôt un endroit plein de noirceur, en contradiction avec la luminosité naturelle de Cendrillon.

 

Cendrillon de Thierry Malandain – Ballet Nice Méditerranée

 

Pour que ce ballet fonctionne, néanmoins, il faut une troupe en pleine forme, où chaque artiste doit à son tour s’emparer de ces personnages, les faire vivre à leur manière. L’engagement des artistes du Ballet Nice Méditerranée n’est pas en question. Mais, malgré le bon niveau visible de la troupe, l’on avait surtout l’impression de voir sur scène des interprètes nerveux et fatigués. Question de planning avec un spectacle (arrivé à leur répertoire la saison dernière) venant très vite après la reprise, le stress des tournées auquel la compagnie est peu habituée ? La Cendrillon du soir (Veronica Colombo ? Les distributions détaillées n’ont pas été données) donne tout l’engagement possible. Malgré une fébrilité trop visible, son partenaire Luis Valle (?), talent plein de promesses, a tout du Prince idéal. Leur duo final avait cet espoir de lâcher-prise. Mais dans l’ensemble, il y avait surtout l’impression de voir une troupe pas loin d’être au bout du rouleau. Impossible, ainsi, de s’emparer pleinement de l’œuvre, qui en devient lisse et presque sans saveur.

Les danseurs et danseuses ici ne sont absolument pas en cause. Le problème vient bien plus d’une direction défaillante depuis trop longtemps. Sa direction artistique est assurée depuis 2009 par Éric Vu-An, un grand nom de la danse mais aux méthodes managériales contestables et contestées en interne. Plusieurs danseuses l’ont ainsi accusé de harcèlement moral et discrimination, suite à l’annonce ou au retour d’une grossesse. La justice niçoise a à chaque fois rendu un non-lieu. Suite à de graves soucis de santé, Éric Vu-An a dû se mettre en retrait la saison dernière, remplacé par Monique Loudières. Revenu à la fin de la saison dernière, le directeur a dû, de nouveau, partir en congé maladie. Mais aucune direction intérimaire n’a cette fois-ci été nommée. Le Ballet est donc en roue libre, sans soutien visible ni de la direction de l’Opéra, ni de ses tutelles. Difficiles dans ces conditions de fournir un travail abouti. Pourtant, la troupe est là et elle est belle. L’œuvre lui va comme un gant. Le goût amer en sortant de la représentation n’en est que plus prégnant. 

 

Cendrillon de Thierry Malandain – Ballet Nice Méditerranée

 

Le spectacle présenté lors de la même journée peut résonner de façon étrange avec ce que je viens d’évoquer. Danseur pour de grandes compagnies institutionnelles contemporaines, le suisse Kiyan Khoshoie a pris son indépendance il y a cinq ans pour monter ses propres projets. Grand-Écart est ainsi son premier spectacle, un gentil mix entre stand-up et danse. Un genre qui fleurit beaucoup depuis le confinement, où les danseurs abordent de manière frontale, par le biais de la scène et de l’humour, les travers et difficultés du monde de la danse. Si le spectacle a un peu de mal à démarrer – même s’il a tourné pendant cinq ans, Grand-Écart n’en reste pas moins un premier spectacle avec toutes ses maladresses – l’artiste nous cueille par sa façon si drôle et si féroce de croquer les personnalités insupportables du monde chorégraphique.

Et tout y est : le chorégraphe mégalo, le danseur perdu en répétition mais qui essaye de donner le change, le créateur un peu perché. Et puis un directeur de compagnie apprenant la grossesse d’une de ses danseuses, où l’on se dit que la troupe citée ci-dessus a peut-être connu la même scène au mot près. L’ensemble est très drôle : Kiyan Khoshoie a le sens du rythme dans l’humour et le regard affûté. C’est aussi très violent sur ce que cela peut dire du monde de la danse. Et prend un tour puissamment intime quand le dernier personnage se dévoile : un danseur écroulé au sol, vidé de toute sa sève, que l’on devine être particulièrement autobiographique. Kiyan Khoshoie continue sa route cette saison avec Kick Ball Change, un duo avec Charlotte Dumartheray, spectacle mêlant également danse et parole mais sur le thème du rock acrobatique, sa première passion avant la danse contemporaine. Un talent à suivre.

 

Grand-Écart de Kiyan Khoshoie

 

Le Temps d’aimer la danse de Biarritz.

Cendrillon de Thierry Malandain par le Ballet Nice Méditerranée. Avec Julie Magnon Verdier, Alicia Fabry, Veronica Colombo, Ilenia Vinci, Madlaine pastor, Noemie Meier, Thomas Rousse, Isaac Shaw, Zhani Lukaj, Giacomo Auletta, Alessandro Pulitani, Andrea Canalicchio, Ciro Lieto, Luis Valle, Lisa Bottet, Ivan Maimone, Sayaka Tanno, Shigeyuki Kondo, Nina Martiarena, Theodore Nelson, Virginia Meneguzzo, Romain Sirvent, Noah Dunlop et Carlotta Pini. Jeudi 14 septembre 2023 au Théâtre de la Gare du Midi.

Grand-Écart de Kiyan Khoshoie et Charlotte Dumartheray, avec Kiyan Khoshoie. Jeudi 14 septembre 2023 au Théâtre du Colisée.

 



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