TOP

Now and Now, Jerome Robbins / Johan Inger / Pontus Lidberg – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux a fait sa rentrée avec l’une de ses spécialités : le répertoire classique du XXIe siècle. Pour cette reprise, place à deux talents suédois, Johan Inger et Pontus Lidberg, pour autant d’entrées au répertoire. Le premier proposait Now and Now, un duo sur l’intimité d’un couple, parfois cru, parfois drôle, et porté avec beaucoup de sensibilité par ses interprètes. Le deuxième amène The Shimmering Asphalt, pièce virtuose d’une musicalité imparable, dans laquelle la troupe apparaît encore un peu verte même si la rencontre est prometteuse. En introduction, le romantisme et le charme de In the Night de Jerome Robbins a agi avec délice. Même si la soirée n’aurait pas souffert d’une quatrième pièce, à l’ambiance peut-être plus explosive au milieu de trois œuvres plutôt sombres, le tout permet à de nombreux solistes de s’exprimer, dans un triptyque d’une qualité irréprochable et dans l’ensemble bien séduisant.

 

The Shimmering Asphalt de Pontus Lidberg – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

 

Depuis qu’il a pris la direction du Ballet de l’Opéra de Bordeaux, Éric Quilleré a toujours soigné la présence de chorégraphes du XXIe siècle travaillant le langage classique et la pointe. Justin Peck ou Christopher Wheeldon sont demandés partout, sauf en France. Et mise à part la parenthèse Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris, ce n’est bien qu’à Bordeaux que l’on peut voir ce genre de répertoire. Ce qui permet à la troupe, qui souffre pourtant d’un petit effectif et d’un manque de budget, de proposer des saisons qui se démarquent. Un bel exemple est donné en cette rentrée bordelaise, avec une soirée mixte Now and Now faisant la part belle aux chorégraphes suédois, avec deux entrées au répertoire signées Johan Inger et Pontus Lidberg.

Mais en ouverture, place au maître du néo-classique : Jerome Robbins, sa poésie, sa musicalité, sa danse diablement technique mais devant toujours sonner comme étant créé dans l’instant. Arrivé au répertoire du Ballet de l’Opéra de Bordeaux en 2020, In the Night trouve joliment sa place dans la compagnie, permettant de mettre en valeur six solistes dans un admirable travail du pas de deux. Dès son entrée en scène, Riku Ota, la nouvelle Étoile de la compagnie, marque de sa danse si élégante et soignée. Il s’avère être un très beau partenaire pour Marini Da Silva Vianna, voilà un couple que l’on aimerait voir évoluer. Et toujours, le geste est chez lui musical et signifiant. Dans le jeu, il se montre néanmoins encore un peu sur la réserve dans le jeu. Car In the Night n’est pas juste trois beaux pas de deux si merveilleusement chorégraphiés sur la musique de Chopin. C’est avant tout trois couples – ou peut-être est-ce le même à différents stades de la vie. Et le premier, c’est celui de la jeunesse, de la fougue, de l’amour naissant avec toute son euphorie. Et c’est plus Marini Da Silva Vianna qui porte cet état d’esprit dans ce duo. 

 

In the Night de Jerome Robbins – Riku Ota et Marini Da Silva Vianna

 

La réflexion pourrait se porter sur les deux couples suivants. Diego Lima et Oleg Rogachev furent tous les deux d’admirables partenaires, à l’élégance musicale assurée. Mais ce sont plus leur partenaire qui ont apporté le sel de ce ballet. Anna Guého fut ainsi altière, un peu hautaine, un peu lassée, dans le deuxième couple qui peut être celui de la litanie du quotidien, lassé et restant pour la forme. Lucia Rios apporte pour sa part une ampleur dramatique bienvenue au troisième couple, celui du “Je t’aime moi non plus”, qui se déchire pour mieux se retrouver. Le final, sur le si connu deuxième Nocturne de Chopin sonne comme d’harmonieuses retrouvailles, avec chez chacun comme un petit air de ne pas se prendre trop au sérieux. Cet In the Night était ainsi plus annonciateur de belles promesses que véritablement abouti. Le résultat n’en était pas moins un vrai beau moment de danse, montrant des solistes épanoui-e-s et trois partenariats qui donnent l’envie d’en voir plus.

Changement de ton avec Johan Inger. Le chorégraphe ne cache pas sa filiation avec Mats Ek. Son duo Now and Now, qui glisse dans l’intimité d’un couple, n’est pas sans rappeler sur le papier Solo for Two du maître. Et comment ne pas y voir un clin d’œil quand les deux protagonistes de Now and Now s’échangent leurs vêtements sur le plateau ? Mais sur scène, Johan Inger est loin de faire une copie, bien au contraire. Il se démarque par un rapport au sol particulier plus appuyé, une gestuelle plus fluide, un humour aussi, un sens de l’absurde flirtant avec des émotions contradictoires, une poésie omniprésente, moins de trivialité. Même si Now and Now est un duo profondément intime, presque impudique. Le danseur démarre seul, sur une lumière sans fard. La danseuse prend sa place pour une autre phrase chorégraphique. Puis c’est la présence ensemble, le temps de la rencontre, l’apprivoisement, la séduction. Les sentiments qui naissent peut-être, le désir sûrement, un long moment d’intimité – créé à la fois de façon crue comme avec une grande poésie – le temps de l’hésitation, de la séparation, de l’après. C’est en vingt minutes le cheminement d’un couple, dans sa plus belle banalité.

Pour se laisser aller à un duo si personnel, il faut un partenariat qui fonctionne. C’est le cas lors de cette première avec une complicité évidente entre Ashley Whittle et Vanessa Feuillatte. Lui marque par sa mélancolie poétique omniprésente, sorte de clown triste un peu candide qui apporte toute l’épaisseur à ce pas de deux. Elle va peut-être dans une dimension un peu plus attendue. Mais sa sincérité, son intensité du geste emporte le tout. Et que de beauté dans son abandon, lorsqu’elle se laisse s’endormir avec plénitude sur le corps de son partenaire.

 

Now and Now de Johan Inger – Vanessa Feuillatte et Ashley Whittle

 

Retour aux pointes pour l’entrée au répertoire The Shimmering Asphalt de Pontus Lidberg. L’on connaît un peu ce chorégraphe suédois en France par ses créations contemporaines ou audiovisuelles, mais il ne rechigne pas à revenir aux sources, lui qui a été formé à l’école du Ballet royal de Suède. Voilà ainsi une pièce néo-classique, sur une musique de David Lang, comme on en voit beaucoup aujourd’hui sur la scène internationale. Costumes simples, décors minimalistes : tout se joue dans la danse et les ensembles complexes entre ensembles, pas de deux et solo, tout en poussant la technique classique dans sa grande virtuosité. Pontus Lidberg avait créé cette pièce pour le New York City Ballet en 2017. Et cela se voit : la rapidité d’exécution, les légers déhanchements, les changements de direction à toute allure, cet art de porter la danse classique abstraite, tout nous ramène au NYCB. D’autant plus pour le rôle principal féminin, créé pour Tiler Peck, danseuse emblématique de cette technique !

Il n’est ainsi pas forcément facile pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux de se glisser instantanément dans cette nouvelle façon de faire. Tout est en place et assuré techniquement, mais tout est encore un peu sage. Il manque ce jeu dans les changements de directions, cette façon de jouer avec la musique. D’autant plus que, si Pontus Lidberg ne révolutionne pas le genre dans la technique, il dresse une chorégraphie en lien profond avec la musique de David Lang, jouant des contrepoint et comptes mélodiques. C’est justement en accentuant ces effets dans l’interprétation que la pièce prend toute la dimension… et qu’elle garde un petit goût de fadeur si cela n’est pas assez marqué. La compagnie n’a toutefois pas à rougir de cette première, et l’on sent que la pièce gagnera en fluidité au fur et à mesure des dates. Belle rencontre aussi que celle de la troupe avec Pontus Lidberg, qui a croisé là un chorégraphe qui lui convient bien.

 

The Shimmering Asphalt de Pontus Lidberg – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

 

Cette soirée Now and Now a ainsi offert trois visages fort différents de la compagnie. Néanmoins, avec tout juste une heure de danse au compteur, le programme fait un peu chiche – tous les artistes de la troupe ne sont d’ailleurs pas en scène pour le programme, c’est un problème dans une saison qui compte un nombre de dates limitées. Et si les trois pièces sont toutes passionnantes en soi, elles restent un petit peu trop dans le même état d’esprit, teintées d’une présente mélancolie, voire d’une certaine aridité. Une quatrième pièce de groupe, plus explosive par exemple, aurait peut-être donné une dynamique toute autre à la soirée. Un regret, qui n’empêche pas cependant de profiter pleinement de la grande qualité proposée en scène sur l’ensemble du programme.

 

Soirée Now and Now par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux. In the Night de Jerome Robbins, avec Marini Da Silva Vianna et Riku Ota (premier couple), Anna Guého et Diego Lima (deuxième couple) et Lucia Rios et Oleg Rogachev (troisième couple) ; Now and Now de Johan Inger, avec Vanessa Feuillatte et Ashley Whittle ; The Shimmering Asphalt de Pontus Lidberg, avec Vanessa Feuillatte, Ahyun Shin, Lucia Rios, Marini Da Silva Vianna, Anna Guého, Clara Spitz, Hélène Bernadou, Émilie Cerruti, Riku Ota, Ashley Whittle, Evandro Bossle, Ricardo Zuddas, Kohaku Journe, Kylian Tilagone et Tangui Trévinal. Jeudi 5 octobre 2023 au Grand-Théâtre de Bordeaux. À voir jusqu’au 15 octobre, les 18 et 19 octobre 2023 à La Coursive de La Rochelle.

 



Poster un commentaire