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[Suresnes Cités Danse 2023] Maldonne de Leïla Ka

Première tête d’affiche de la 32e édition de Suresnes Cités Danse, Leïla Ka a présenté à l’invitation de Carolyn Occelli sa dernière création, Maldonne, inaugurée à Cavaillon cet automne et programmée pour une longue tournée. Dans la droite ligne de ses pièces précédentes, la chorégraphe trace le sillon de la sororité, conjuguée dans un tableau hypnotique dépeignant les forces et les faiblesses du groupe au féminin. Dans un geste nerveux et tendu à l’extrême, Leïla Ka se plonge avec ses interprètes dans une transe remarquablement organisée, où l’on retrouve son vocabulaire et son goût pour les robes imprimées qui habillent les cinq danseuses. Elle y ajoute dans Maldonne une drôle de playlist qui fait redouter une forme de facilité. Mais la puissance de la chorégraphie l’emporte, confirmant la place de choix de Leïla Ka parmi les jeunes chorégraphes françaises.

 

Maldonne de Leïla Ka

 

Leïla Ka nous attire dans son univers déjà familier dès que le rideau de Maldonne s’ouvre. Elles sont cinq femmes, vêtues de robes de couleur, identiques d’esprit mais dissemblables de motifs. La chorégraphe a déjà utilisé ce schéma dans ses oeuvres précédentes. On pourrait craindre la répétition, la redite inutile. Mais cet incipit n’est que le point d’entrée du récit qui va brasser une thématique qui hante Leïla Ka. Comment est-ce que l’on se débrouille aujourd’hui en tant que femme avec ce que l’on porte et qui ne nous appartient pas forcément, s’interroge la chorégraphe dans la feuille de salle. Pour sonder cette problématique, Leïla Ka a amassé 35 robes chinées dans les friperies et qui constituent le seul décor et accessoire du spectacle. Le geste en soi donne une des clefs de Maldonne : porter des vêtements qui ne sont pas les siens, marqués par une époque qui n’est plus tout à fait la nôtre, mais qui nous rattache à des générations précédentes et à un rapport au monde où les femmes sont corsetées par un environnement résolument patriarcal.

Il y a quelque chose de l’ordre de la lamentation silencieuse dans cette entrée en scène magistrale, où les cinq danseuses alignées tendent subrepticement les mains, remontent les bras tournés vers nous telle une offrande. Pas tout à fait à l’unisson mais en brisant le silence par le souffle projeté en cadence, devenant ainsi percussion sur laquelle se rythme le mouvement. Leïla Ka construit des phrases qui se répètent comme une métaphore d’un monde qui résiste à changer, exprimant la colère, la rage, la détresse. Alors que le cercle s’élargit viennent les chutes inéluctables d’une grande violence, mais dont on se relève encore et encore. Leïla Ka ne se cantonne pas dans la description d’une féminité béate dont la clef serait le groupe. Elle explore aussi les violences qui peuvent s’immiscer entre les femmes, les jalousies qui n’épargnent personne.

 

Maldonne de Leïla Ka

 

Et à travers ces multitudes de robes et de blouses, elle fait surgir sur le plateau autant de personnages. Venue des cintres ou des coulisses, cette débauche de vêtements devient un enjeu en soi, participant de ce conflit, cette bataille qui se joue devant nous. Leïla Ka creuse dans les contradictions sans jamais que le rythme faiblisse, lorsque surgit inopinément la voix inimitable de Lara Fabian interprétant la chanson de Serge Lama Je suis malade. Moment tragique, poignant mais au risque de torpiller ce qui se joue sur scène. Ce sont les mots, la musique, la voix qui à ce moment nous emportent et nous bouleversent quand le play-back karaoké du plateau paraît tout à coup un peu fade. Il y a là une facilité regrettable car elle brise le récit sans que l’on perçoive ce qui se joue.

Mais après cet étrange intermède, Leïla Ka retrouve sa boussole. Le chant de Leonard Cohen, puis la musique de Vivaldi qui succède, ne saturent pas l’espacé de pathos mais recentrent l’énergie du groupe. Ce final dans une débauche de fringues décoiffe et ajoute une note comique qui enrichit la palette de la chorégraphe. Tout n’est pas si sombre finalement dans ces vies de femmes qui, à l’occasion, peuvent s’affronter et savent se défendre.

 

Maldonne de Leïla Ka

 

Leïla Ka est une excellente nouvelle. Dans un paysage chorégraphique français où les femmes sont moins présentes qu’avant, elle a su s’imposer et défendre son écriture en seulement une poignée de spectacles. Elle présentait en 2018 son premier solo. Depuis elle remplit les salles partout où elle passe. En résidence au 104 de Paris et à l’Espace 1989 de Saint-Ouen, elle est partie à la conquête du monde avec une tournée qui déborde des frontières hexagonales. Maldonne est sa première création grand format après une série de pièces courtes. Elle y montre qu’elle ne manque pas de souffle et c’est tant mieux !    .

 

Maldonne de Leïla Ka avec Jennifer Dubreuil Houthemann, Jane Fournier Dumet, Leïla Ka, Zoé Lakhnati, Jade Logmo- Dimanche 14 janvier 2024 au Théâtre Jean Vilar dans le cadre de Suresnes Cités Danse.

Maldonne à voir en tournée en France et l’étranger toute cette saison.

Le festival Suresnes Cités Danse continue jusqu’au 8 février

 




 

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